Je vous propose cet article du journal Le Monde, qui m'a intéressé:
Lettre de Russie
Moscou vaut bien une montre
Article paru dans l'édition du 30.10.09
Les fonctionnaires de l'Etat russe doivent travailler « comme une montre suisse », avait prévenu Vladimir Poutine en septembre 2007. La montre suisse, il est vrai, fait un tabac auprès de l'élite politique. Elle est devenue aussi indispensable à la panoplie de l'apparatchik que la voiture de marque étrangère, le gyrophare, les gardes du corps et le costume Armani. Le patriotisme, c'est bien joli, mais, quand il faut être à l'heure et en imposer à ses interlocuteurs, rien de tel qu'une montre suisse. Les marques russes - Vostok, Slava et même Poliot President - ne sont là d'aucun secours.
Une enquête publiée le 26 octobre par le quotidien Vedomosti en dit long sur cet engouement des fonctionnaires pour l'horlogerie de luxe. Dans ses archives photo, le journal avait accumulé quantité de clichés de personnalités du monde politique, montre aux poignet. « Les journalistes ont fait une recherche et nous avons décidé d'écrire à ce sujet », note Vedomosti, qui cite une trentaine d'exemples, tarifs à l'appui. Le président Dmitri Medvedev donne le ton. Il arbore une montre Breguet Classique Moon Phase d'une valeur de 32 200 dollars (21 466 euros). Il a opté « pour cette vieille marque française [aujourd'hui propriété du groupe suisse Swatch] aimée de Marie-Antoinette et du Petit Caporal », signalait le journal Kommersant en avril 2008, juste après son élection.
Svetlana Medvedeva, la première dame, reste dans le sillage de son époux avec un modèle Reine de Naples, de la même maison. Fidèles au président, le ministre des finances, Alexeï Koudrine, et le président de la Sberbank, Guerman Gref, ont eux aussi opté pour des Breguet, d'une catégorie inférieure il est vrai (respectivement 14 900 et 14 200 dollars).
Ils sont battus à plates coutures par Alexeï Miller, le directeur général de l'entreprise publique Gazprom, qui a « craqué » pour une Breguet Classique Grande Complication Tourbillon, au prix tourbillonnant de 112 100 dollars. Le président de la Vnechtorgbank (VTB), Andreï Kostine, fait mieux encore avec une Patek Philippe Sky Moon à 240 000 dollars. Le président tchétchène Ramzan Kadyrov les surpasse tous avec sa Bovet Fleurier en or 18 carats à 300 000 dollars, une vraie folie si l'on considère que son revenu annuel déclaré pour 2008 est de 118 000 dollars...
Mais la palme de la montre la plus chère revient à l'adjoint au maire de Moscou, Vladimir Ressine. Il a jeté son dévolu sur une DeWitt Grande Complication proposée sur catalogue au prix de 1 million de dollars (700 000 euros). Il fallait bien cela pour ce fonctionnaire chargé d'un secteur en plein essor - du moins avant la crise -, celui de la construction. Pour ses visites quotidiennes des chantiers, l'adjoint au maire se contente toutefois d'une GreubelForsey Double Tourbillon 30° à 360 000 dollars.
Les représentants de l'industrie horlogère helvétique se frottent les mains. D'habitude, ce genre de montres est prisé des vedettes du spectacle ou des familles royales, plus rarement des hommes politiques. Mais, en Russie, un nouveau créneau a vu le jour. Et la crise n'a guère entamé le goût du fonctionnaire russe pour la tocante de luxe. Cette année, la marque DeWitt a, à elle seule, vendu plus de mille montres de prix sur le territoire de la Fédération.
Plus qu'un simple thème d'article, la montre suisse est devenue un objet de légende depuis que le premier ministre Vladimir Poutine s'est mis à distribuer les siennes. Tout a commencé en août à Touva, une province reculée au sud de la Sibérie. Vladimir Poutine prenait le thé avec un berger et sa famille quand, au moment de partir, il s'est soudain séparé de sa montre - une Léman Aqualung Grande Date de la marque helvétique Blancpain et d'une valeur de 10 500 dollars - pour l'offrir au fils du berger. Des photos ont immortalisé le don du « bon Tsar ». On y voit le petit garçon juché sur un cheval au beau milieu d'un paysage de montagnes et le premier ministre qui lui tend sa montre. La photo a fait rêver de nombreux Russes.
En septembre, le premier ministre, une nouvelle Blancpain au poignet, visitait une usine d'armement à Toula, à 193 km au sud de Moscou, lorsqu'un ouvrier l'interpella : « Vladimir Vladimirovitch ! Offrez-moi quelque chose en souvenir de votre visite ! - Mais je n'ai rien à vous offrir », rétorqua Vladimir Poutine en levant les bras. « Votre montre, peut-être ? », osa l'ouvrier.
Difficile de refuser. Sous les yeux du collectif de travailleurs pétrifié, le « leader national » ôta la montre pour la donner à Viktor Zagaevski, ouvrier tourneur et père de deux garçons appelés récemment sous les drapeaux. Désormais, la Blancpain trône dans la vitrine du buffet familial des Zagaevski, à Toula. L'ouvrier l'a promis : jamais il ne mettra à son bras cette petite merveille. Elle sera transmise de génération en génération. Vladimir Poutine en a été quitte pour s'acheter une troisième Blancpain.
Objet de culte, la montre suisse peut être aussi ce petit grain de sable qui vient tout gâcher. C'est ce qui s'est passé récemment avec Kirill, le patriarche de l'Eglise orthodoxe russe. En juillet, le chef religieux a effectué un voyage à Kiev pour encourager le rapprochement entre les frères slaves. Son message n'a guère porté. Tous les yeux se sont fixés sur sa montre de luxe, une Breguet avec bracelet en crocodile d'une valeur de 60 000 dollars, malencontreusement dévoilée d'un revers de manche lors d'un prêche.
Marie Jégo
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Ca me donne une idée:
Si un jour, Nicolas Sarkozy se pointe à mon travail, je lui dirai: « Nicolas ! Offrez-moi quelque chose en souvenir de votre visite ! - Mais je n'ai rien à vous offrir », rétorquera Nicolas Sarkozy en levant les bras. « Votre montre, peut-être ? » oserai-je.
Difficile de refuser. Le président ôtera la montre pour la donner à Robinson Léon.
Et désormais, la Patek présidentielle ornera mon poignet!