Victor Paterson saisit la clé en laiton de sa pendule et la remonta lentement. Au onzième tour de clé, celle-ci se bloqua signifiant que le ressort était tendu au maximum. Victor compara l'heure de sa pendule avec celle de sa montre, un montre qu'il tenait de son père qui lui disait qu'il ne fallait pas la laisser s'arrêter. Après 10 jours depuis le réglage de la pendule, toujours pas une seconde d'écart. Rassuré, il se rassit dans son fauteuil club. Victor était un solitaire, un vrai. Un de ceux qui même au milieu d'un vingtaine d'amis pouvait avoir l'esprit qui s'échappe pour penser à autre chose. Un voyage, un amour passé, une histoire, une recette de cuisine ou un plat, une odeur, un geste, une intonation dans la voix d'un convive, tout était prétexte à ces évasions dont Victor se nourrissait. Machinalement, il sortait régulièrement son Omega de sa poche. Il savait qu'elle donnait l'heure à la seconde et cela l'amusaitde savoir qu'un objet détaché de tout pouvait à lui tout seul, mesurer le temps à la perfection. Cela ne servait sans doute à rien, mais l'idée de cette constance, de cette régularité lui était si douce qu'il aurait voulu qu'elle se traduisit dans le comportement des humains par une loyauté sans faille.
On parlait beaucoup autour de Victor et s'il n'écoutait rien , il savait à la perfection simuler l'intérêt en mimant l'étonnement, la peur ou ou le scepticisme comme s'il était captivé par la conversation, non pas qu'il vivait comme un sauvage mais simplement, ce qui l'intéressait au fond de lui était hors de portée des autres. Comment leur expliquer qu'il pouvait passer des heures devant un tableau, une photo ou quelques mots comme pour s'imprégner et qu'il ne voyait aucune forme d'intérêt à nourrir des discussions sur des sujets qui pour probablement captivants qu'ils fussent n'évoluait pas dans ses centres d'intérêt.
Sans doute aimait-il sa femme mais il ne l'entendait pas, il la regardait et l'écoutait sans vraiment l'entendre. Il avait parfois des discussions avec le chat qui passait des heures à le regarder. Les chats comprennent tant de choses. Une fois l'an, Victor plaquait tout le monde pendant 5 jours. Il disparaissait alors sans que personne ne sache où il partait. Il prenait un gros sac à dos mais ses chaussures étaient aussi neuve au moment de son départ qu'à son retour. Il prétendait marcher. La réalité était toute autre. Il se rendait à quelques enjambées de chez lui dans un monastère où il entrait par une porte dérobée. Il ne priait pas mais le prétendait pour justifier son accueil. Non, il se murait dans ses réflexions et se ressourçait l'esprit en méditant sur son passé et le sens qu'il voulait donner à sa vie. Dans son sac , il n'y avait presque rien, juste quelques linges de rechange et sa montre.
Victor était un méditatif sceptique. Il savait que sa vie avait pris un chemin dont il n'avait pas totalement choisi la direction mais peu lui importait car sa vie intérieures comptait davantage que les jours qui passaient. Combien de fois était-il tombé trop amoureux de filles qui avaient surgi dans sa vie aussi vite qu'elles en étaient reparties. Il avait pourtant marqué celles qui l'avaient connu. Esprit brillant, il pensait plus vite qu'il ne parlait de sorte que ses connexions mentales lui permettaient de construire des phrase dignes de la plus belle littérature, là où d'autres auraient dû passer des heures à écrire. C'est fou comme les esprit brillant s'ennuient rapidement avec des gens ordianaires. Victor et c'était là son problème s'ennuyait profondément de la vie quotidienne. Les anecdotes des gens sans vie conduisent inmanquablement à l'ennui de leur conjoint. Ah cette montre, Victor la tripotait dans sa poche. Depuis plus de 15 ans, elle tournait à la perfection ...
Comme il le faisait d'habitude au moment du dessert, Victor la sortit de sa poche et tandis qu'il l'avait sous les yeux, il fut pris d'un effroi terrible. Elle était arrêtée ... Comment était-ce possible ? L'esprit de Victor devint confus, il se mit à begayer en secouant sa montre qui avançait peniblement de quelques secondes. la couronne était bloquée, la montre arrêtée. Victor jeta un oeil sur la pendule. la panique se lisait sur son visage au point que tout le monde interrompit ses conversations. "Ca va Victor ? " ... Victor sans réponde se leva chancelant et s'écroula. Il suffoquait , son coeur était irrégulier et son pouls devint imperceptible. Il secouait encore sa montre serrée dans sa main droite. Il ferma les yeux, la montre avança de trois secondes, il rouvrit les yeux et les referma. La montre se bloqua. la main de Victor s'ouvrit et le médecin appelé sur les lieux ne put que constater le décès.
Un horloger se pencha sur la montre que la femme de Victor voulut faire réparer. "Vous avez retiré des pièces depuis le décès de monsieur Paterson ? " demanda l'horloger. "Pas une seule, non bien sûr !" Répondit la femme. "Je ne sais pas comment cette montre a pu fonctionner ! Elle n'a plus ni balancier , ni roue.." induqua l'horloger. "Mon mari l'a gardée des année et elle était très précise ..." affirma la femme. "Ca m'étonnerait" dit l'horloger, sûr de lui. " Le mouvement est incomplet et les platines ne sont pas percées. Cette montre était une pièce de vitrine mais elle n'a jamais fonctionné, je suis formel , jamais ! "
Au même moment, James Wright entra dans la boutique de l'horloger ...
-Ah monsieur Wright
-Oui mademoiselle Paterson ?
-Ce monsieur prétend que la montre de mon défunt mari n'a jamais pu fonctionner mais vous étiez chez nous le jour de son décès et vous avez bien vu qu'il l'utilisait ?
-C'est que mademoiselle, je n'étais pas là et je ne vous savais pas mariée ...
-Mais si enfin ! Vous étiez un ami de Victor !
-Non, je ne vois pas. Je ne connaissais pas de Victor Paterson...
La jeune femme repartit désemparée laissant la montre à l'horloger.
-Vous voyez monsieur Wright, en 30 ans d'horlogerie, je viens de récupérer cette montre pour la seconde fois. Il y a 15 ans, c'est une veuve qui était venue m'expliquer que son mari s'en servait pour son métier de conducteur de locomotive. Il était soi-disant mort dans un accident de train qui avait déraillé...
-Et alors ?
-Alors, aucun train n'avait deraillé nulle part depuis 10 ans ... La dame avait laissé la montre et je l'avais donnée à une petite fille pour qu'elle joue avec à Alice au Pays des merveilles ...
-Ah oui, le Lapin. Je vois ...
-Je crois que cette petite fille était cette demoiselle Paterson.
Vivre par procuration crée la dépendance ...
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).
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