Petite visite de politesse

Je dois vous raconter une visite un peu spéciale chez un horloger, un vrai qui ne laisse en principe personne entrer dans son atelier mais qui a fait une exception assortie de 2 conditions : pas de photos, pas de nom diffusé à qui que ce soit. "Vous comprenez, je n'ai pas envie qu'on vienne me cambrioler ou m'emmerder dans ce qui est mon domaine privatif. Si cela vous chante, passez demain mais pas avant 18 heures et je dois être libre à 19 heures sinon ma femme m'hurle dessus.

A 17 heures 45, je suis déjà devant la maison de cet horloger ... Je mumuse dans la voiture avec mon smartphone le temps d'un quart d'heure quand la lumière de la façade de la maison s'allume. L'horloger en sort et s'avance vers moi. Il ne me reconnait qu'au dernier moment et c'est fort heureux car il m'explique qu'il allait me demander de dégager. "Vous comprenez, les gens mettent des coups de portière dans ma cloture. Mais vous pouvez rester"

Je me dirige vers la maison parce que la lumière vient de là mais non, je suis rapidement rappelé à l'ordre. "L'atelier est par là ... Vous collectionnez les Zenith ? Et quoi d'autre ? Les Omega ? Toutes les montres de poche ? "

Je reste évasif, pas question de cibler trop mes centres d'intérêt et de subir des prix plus lourds pour cause de collectionnite. Dans un bâtiment annexe de la maison, l'horloger ouvre la porte, une porte en bois posée sur une porte en fer. Je rentre, il ferme et allume. C'est une petite entrée avec un pot à parapluies oubliés et en épaves. Une gros chien moche en porcelaine est posé sur le sol et son collier est une montre bracelet. Une porte vitrée donne sur l'atelier. Au mur, un régulateur électrique donne l'heure. Il y a aussi un régulateur de parquet à l'arrêt. Une sorte de vitrine présente une cinquantaine de montres bracelet. Sur l'établi, 3 ou 4 montres en cours de travail. Le chronocomparateur date des années 70, le démagnétiseur est en 110 volts et branché sur un transfo.

Le siège de l'horloger est tout pourri ...

Au mur sur un clou, une Patek Philippe. Je regarde... "Elle n'est pas à moi. C'est de la belle mécanique, y'a pas à dire" Je lui demande s'il révise des Rolex... Question complètement inintéressante mais il faut nouer un dialogue ... "Oui, ça arrive. J'aime bien les anciennes. C'est une Rolex que vous avez au poignet ? " Il a repéré ma montre en 10 secondes. J'explique que je fouine un peu tout et que s'il a des montres de poche, ça peut être un début ... "Un début de quoi ? Je vends très peu et rarement. Vous ne m'avez pas répondu, vous collectionnez les Zenith ? " Je dois dire que oui car c'est ce qui l'a poussé à accepter ma venue. "Alors regardez dans ce tiroir..." Il y a sous mes yeux un entassement de montres de poche en épaves. A la louche, 200, peut-être le double. Toutes des Zenith. "De ça je suis vendeur mais du lot, hein ? pas de tri ! 1500 balles et c'est bon. Je suis certain qu'il y en a qui marchent ou n'ont pas grand chose." A vue de nez, il n'y a rien d'intéressant. Des boites en acier ou nickel, du plaqué or aussi mais ni or, ni argent. J'explique que je cherche des belles pièces. Il ouvre un second tiroir. Les montres sont alignées dans de petits espaces pour ne pas s'entrechoquer. Cette fois or et argent sont côte à côte. "Vous les vendez combien ?" Les "or" sont au poids et celles en argent c'est selon ... En les retournant, je vois des gravures en argent usées et des boites en or lisses. Les mouvements facilement accessibles car les pièces sont ouvertes ne laissent rien voir d'exceptionnel. "Ca ne vous plait pas ? " "Si, mais j'ai un peu déjà tout ça ... " Il sort alors une clé, va vers son coffre et sort une boite de 25 centimètres sur 15, boite en bois ancienne... "Et ça ? Il y a là une répétition des minutes et un chrono avec phase de lune et triple quantième...Tout cela équipé de boites épaisses en or". "Combien pour ces pièces ? " "Pour ça , il faudra demander à ma veuve . Je ne vends pas de mon vivant. " Je sens que je ne vais faire aucune affaire.

Il me montrera ses Omega, quelques Longines et des montres militaires mais rien d'exceptionnel. Il voit ma déception... "Vous attendiez quoi ? " J'explique que je cherche des montres qui ont une histoire, un intérêt particulier, une différence ...Je lui racontre mon intérêt pour les montres de concours. " Oui, je connais ça j'en ai eu des brouettes mais les gens n'en voulaient pas, on les démontait pour les pièces. Il y en a dans ce carton ... Regardez. Effectivement, cette fois, il y a de tout et y compris des contours de montres de concours. Mais tout est en vrac, rien de récupérable. "Ca fait 20 ans que je n'ai pas ouvert ce carton... "Tenez, si vous identifiez ça, je vous le donne ! "Tiens, un Goliath Omega" ... "Vous êtes bien le premier à savoir ce que c'est ! Bon ben voilà, c'est à vous". Je repars, l'heure est passée, il m'emboite le pas jusqu'à la voiture. "Revenez un autre jour, en début d'après-midi... Vous connaissez des trucs, on doit pouvoir s'entendre...."

Rencontre et histoire sympathique... On attend le prochain épisode avec "l'horloger".

Tu nous présentera le "Goliath" ?

Je sens aussi que la prochaine rencontre va etre sympa !!

l'horloger a été "amadoué" , il va pouvoir s'ouvrir un peu plus

Pas facile le bougre ! Hâte d'avoir le compte-rendu de la prochaine visite... il a peut-être d'autres petites boites...

ZEN a écrit:

Vous connaissez des trucs, on doit pouvoir s'entendre...."

Ho, si peu...

Belle histoire et bien racontée comme d'hab

"Vous connaissez des trucs" à ZEN, il faut en avoir un paquet sous le pied pour dire ça

Merci Zen pour cette "tranche de vie" mais présente nous vite cette "Goliath", nous restons sur notre faim !
Olivier

Grand prix du "roman a suspens horloger" pour....... Zen !
vivement le tome deux , que va t'il nous sortir de derrière les fagots ? ...
la suite au prochain épisode !...

Belle histoire, et un personnage haut en couleur, vivement la suite et des photos de la Goliath.

ah! les visites de "politesse" en province, c'est quand même aut'chose, y'a du sous entendu et du non dit de partout..

Jazz

Fermé comme une huitre , l ' horloger . . . , pas la montre !

Ben dis donc, il faut savoir l'apprivoiser un horloger comme lui !!!

En vrai caméléon, tu sais t'adapter à beaucoup de situations!

Et là, ce n'était pas vraiment gagné d'avance!!!

Chapeau!

Histoire et horloger sympa
J'aime bien l'évolution de la visite, il passe des pièces quelconques aux pièces d'exception...
Heureusement que Zen n'était pas un bleu

Un jour zen va tomber sur un serial killer, il ne va pas revenir de ses expéditions

C'est une Goliath 8 days

J'adore ce genre de personnages, hyper bourrus au premier abord et qui se dérident peu à peu au fil des conversations...

Zen a enfin rencontré Arno...

la belette qui tête a écrit:

Zen a enfin rencontré Arno...

[Mode humour ON]

Oooooooooooh toi ...

toi ...





[Mode humour OFF]

la belette qui tête a écrit:

Zen a enfin rencontré Arno...

Le loup est enfin sortit de sa tanière ?

al'1 a écrit:

Grand prix du "roman a suspens horloger" pour....... Zen !
vivement le tome deux , que va t'il nous sortir de derrière les fagots ? ...
la suite au prochain épisode !...

Zen ne nous contera pas la suite, si prochaine rencontre il y a...

Voici ce Goliath d'Omega nu ...

David n'a plus qu'à bien se tenir...

Superbe mouvement!

Comme vous pouvez l'imaginer je suis retourné voir cet horloger, cette fois en lui apportant pour les regarder des pièces inhabituelles. Il trouve notamment les boites des montres américaines de type Railroad très belles. Mais le clou de ce qu'il voulait voir est le calibre inversé Omega. "En 40 ans, je n'en ai pas vu un seul. Mettez-vous sur ce tabouret. " Il me désigne un tabouret haut totalement instable sur lequel j'ai un mal fou à rester assis. Il sourit. "Prenez la chaise... et rapprochez vous" .
Il se dirige vers une armoire forte, pas vraiment un coffre mais une sorte d'armoire blindée. "J'ai quelques Patek Philippe accumulées au fil du temps quand c'était accessible. Les gens sont devenus fous, les montres intéressantes sont inabordables. Il me sort une Patek Philippe en or , très belle avec une grosse boite en or. Il l'ouvre... Et là, surprise, le calibre ressemble à un LeCoultre. Je n'ose pas le lui dire... "Vous ne remarquez rien ? " Il faut répondre mais je vais me faire virer ... Tant pis " Oui, le calibre ressemble à un LeCoultre..." "Non ! Un LeCoultre ? Non ! ... " Il sort un gros livre avec les calibres LeCoultre et il devient blanc ... " Merde alors !" Je lui dis que sur des pièces de poche, c'est arrivé mais que la qualité, les dents de loup, la finition..." Il a déjà remballé la montre.

Je lui demande ce qu'il fallait voir mais il refuse d'en parler davantage. Il referme la boite à Patek Philippe , enfin, c'est ce que je comprends. J'aurais dû me taire . Il se baisse et sort cette fois une Omega. Un chronographe sublime en or, une version à raquette de type qualité C. Une merveille de finition .. "Un client, il y a 20 ans m'a fait réviser plus de 10 pendules. Au moment de payer, il n'avait plus un sou. Il m'a donné ça en échange. C'était ça ou rien. J'ai pris alors que moi aussi j'avais besoin de manger. Je pose benoitement la question du bon fonctionnement de l'objet ... "Bien sur qu'il marche" . Il me le reprend des mains, le remonte et le déclenche ... Aïe ... Deuxième erreur de ma part. Le chrono s'arrête à 20 secondes . "Il est gommé, ce n'est rien. " Il remet l'objet dans son écrin et sort cette fois un chrono en Or de poche Ulysse Nardin.

Je lui évoque les Omega de qualité D... "J'en ai pris une avec moi avec calibre "normal et pas inversé" Il prend sa loupe, pose la montre sur l'établi, allume sa lampe ... "C'est la finition américaine ? " Je lui explique que oui et que les Suisses ne pouvaient pas vendre aux USA avec leurs propres emboitages. "Et vous écrivez dans une revue ? " Oui, la revue des montres... A oui, je connais, il y a un gars qui écrit des articles sur des montres anciennes. J'aime bien les lire. C'est pas vous ? " Il a un tas de revue dans un coin et m'en sort des anciens numéros. Je suis presque flatté ... "C'est bien mais c'esttrop court, il faudrait deux ou trois articles à chaque fois" ... J'explique que ça prend du temps et que c'est déjà bien. "Mon fils lisait tout ça ... " Et il ne lit plus ? Là où il est, non. Il ne lira plus. Fusillé par la maladie ... Saloperie. " Le visage s'assombrit. "Il faut profiter des enfants quand ils sont là... " "Il est parti il y a longtemps ? " "Une éternité qu'il n'est plus là ... pas une minute sans y penser. "

Je reprends mes montres, il est temps de repartir. Cet horloger ne vendra rien, il gardera tout jusqu'à sa mort. "Revenez quand vous voulez, vous n'êtes pas comme tous ceux qui veulent tout acheter... Vous ne m'avez même pas fait une proposition. J'aime ça. Je repars. Je n'y retournerai pas... Il m'a glacé le sang. Cet horloger est déchiré de l'intérieur, il n'a maintenu une activité que pour s'échapper ... Je l'avais senti plombé la première fois, il m'a transmis son angoisse. Je ne saurai pas gérer ...

Il m'accompagne jusqu'à ma voiture... Je suis sur qu'il sent que je ne reviendrai pas....

Cela finit tristement...

Un personnage prisonnier de lui-même, et de sa peine...