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Les équipements horlogers des nageurs de combat italiens sont des objets de collection, qui suscitent passions et convoitises : une montre "sauvage" rend hommage aux hommes de la Xe Flottiglia MAS. Mais ce n’est pas une Panerai…A La Spezia, la « Mecque » des plongeurs militaires italiens et de la légende des « hommes-torpille », la montre dont on parle n’est pas une
Panerai.
J’ai même personnellement constaté que la marque n’avait plus trop la cote auprès de la hiérarchie des
incursore, qui ne parlent plus que d’une marque totalement inconnue :
Xe MAS Strumento.
Xe pour « dixième », MAS pour
Memento Audare Semper (c’était la devise de cette unité d’élite commandée par le prince Borghese : « Souviens-toi d’oser toujours »),
Strumento parce qu’il s’agit là d’un « instrument professionnel » plus que d’une montre.
La montre est une grosse pièce en titane de 47 mm, directement inspirée par les prototypes de montres étanches à 1 000 mètres dessinées pour
Panerai par Alessandro Bettarini dans les années quatre-vingt.
C’est une montre de plongée originale, effectivement étanche à 1 000 m et même au-delà, dont la lunette tournante n’est pas graduée : on se contente d’un cavalier pour repérer les temps d’immersion.
Le cadran est peint à la main et les aiguilles ne sortent pas d’un catalogue. On sent que chaque angle des cornes et que chaque arrondi des courbes ont été pensés soigneusement.
Le cadran lui-même présente une alternance de chiffres romains et de chiffres arabes qui rappellent les Rolex livrées à
Panerai pendant la Seconde Guerre mondiale : on y remarque, à 10 heures, le Xe de la Flottiglia et, à 4 heures, la tête de mort à la rose qui servait d’emblème aux nageurs de combat.
L’avoir placé à la place du 4 – chiffre maléfique pour les Asiatiques – est une coquetterie marketing qui plaira beaucoup entre Hong Kong et Singapour.
Tout comme le fond ravira les amateurs : on y retrouve la signature d’Emilio Bianchi, dernier survivant des officiers italiens qui ont coulé le
Valiant et le
Queen Elisabeth, dans le port d’Alexandrie (Egypte), le 19 décembre 1941. Après la Seconde Guerre mondiale, Bianchi a été décoré à la fois par les Italiens et par les Britanniques (pas rancuniers !) pour cet acte de courage ! En profil, gravé, la silhouette du
Valiant et son tonnage, ainsi que la date de son envoi par le fond (19 novembre 1941).
Sans rien pasticher des
Panerai modernes, cette montre réinterprète avec brio l’esprit des
Panerai originelles. Elle a été créée par un cénacle de paneristi enragés – mais déçus – et de collectionneurs qui se retrouvent de moins en moins dans les collections récentes de la marque du groupe Richemont.
Réalisée avec le concours d’anciens collaborateurs de
Panerai pré-Richemont et légitimée par l’association des anciens de la
Decima MAS, cet « instrument » sera édité à 1941 exemplaires et vendu aux alentours de 4 200 euros, à travers un réseau capillaire de collectionneurs et des détaillants ultra-spécialisés.
Plusieurs sous-séries renforceront la curiosité des collectionneurs, avec différents mouvements mécaniques (actuellement, une base Valjoux, bientôt des Unitas ou des mouvements de poche Rolex), ainsi que des déclinaisons différentes en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. Les livraisons seront étalées sur trois ou quatre ans.
Mon analyse :
• En termes d’impact commercial, c’est négligeable pour
Panerai (dont les ventes explosent) et le management de la marque peut dormir sur ses deux oreilles.
• En termes de consistance du récit fondateur de la marque
Panerai, c’est plus grave pour la marque, qui se trouve partiellement
délégitimée par cet usage parallèle de la légende des
Incursore. D'autant plus que cette montre est née d’une demande insatisfaite de ses clients initiaux, ceux qui ont fait sa réputation : cette
Decima Mas pointe du doigt ce que les amateurs et les collectionneurs désignent comme une dérive par rapport à la « génétique » originelle de la marque.
• Dans l’univers horloger, cette Decima MAS « sauvage » annonce une nouvelle génération de pièces
consumer-generated, qui illustrent un nouveau rapport de force entre les amateurs et les marques.
Le site provisoire des initiateurs de la montre (certains d'entre vous connaissent Yves Odier, qui a été un grand collectionneur de
Panerai) :http://www.xamas.com/ (pour l'instant, on n'y trouve rien – ouverture prévue en octobre)
Chronique également disponible sur Business Montres :
http://www.businessmontres.com/breve_281.htm