Cette histoire est celle de quelqu'un que je connais très bien. Je la raconte comme un clin d'œil ...
Dans les souvenirs de Philippe, il y avait la montre de son grand-père et pas n'importe quelle montre, une montre de poche de grand diamètre à complications, un quantième annuel avec répétition des minutes et affichage des phases de lune et de la date. La montre en or avait été achetée lors d'une vente publique à l'occasion de la liquidation de la succession d'un noble baron ou comte qui accumulait les objets anciens de qualité. Philippe n'était pas l'héritier direct du grand-père et son père avait possédé cette montre mythique durant près de 20 ans. Hélas, l'homme qui craignait les cambriolages cachait ses objets de valeur et avait loué dans plusieurs banques plus de coffres qu'il n'y a de jours dans une semaine. Sur la fin de sa vie, atteint par la maladie d'Alzheimer, une grande partie de ses objets s'étaient volatilisés sans souvenir de l'endroit où ils avaient été cachés.
Après le décès de son père, Philippe multiplia les recherches auprès des banques et retrouva les coffres de son père mais la montre restait introuvable. Il fouilla la maison mais rien, non rien ne réapparut et pourtant Philippe avait la certitude que les objets n'étaient pas loin… En dégageant les meubles, il retrouva scotchée sous un tiroir une clé de coffre. Un commerçant spécialisé dans les coffres d'occasion identifia un modèle ancien et établit qu'il ne pouvait s'agir d'un coffre de banque. Des dizaines de fois, Philippe fit le tour de la maison et de haut en bas, chercha la cache. Il fallait hélas vendre la maison. Philippe avait un ami brocanteur auquel il fit appel pour vider les meubles et les quelques bibelots qu'il ne voulait pas garder.
Ce dernier fit le tour de la maison et Philippe lui expliqua qu'il n'avait retrouvé aucune trace d'un coffre dont il avait la certitude qu'il était quelque part dans la maison. Le brocanteur le regarda dans les yeux et lui dit " Il y a toujours trois possibilités pour ces coffres. Un conduit de cheminée désaffecté, un placard avec un double fond et les dessous d'escalier… Il faut regarder si l'architecture est cohérente. En quelques minutes, le brocanteur acquit la certitude que le coffre était sous l'escalier. "Tu vois, ce bordel de balais et ces parpaings plus récents que le reste des murs, je n'y crois pas. Ca c'est du parpaing de faible épaisseur … Il faudrait en casser un et regarder derrière…
Les parpaings étaient empilés mais pas scellés et le ciment qui les joignait s'avéra être un plâtre sali avec du ciment. Le coffre de 800 kilos était juste derrière et la clé ne suffisait pas à l'ouvrir. Il fallait en plus une combinaison à 4 chiffres … Philippe savait que son père usait souvent de sa date de naissance pour ces combinaisons. Il en faisait usage notamment sur l'alarme de la maison. Le premier essai fut le bon … Les 4 premiers chiffres de la date de naissance de son père.
Le coffre contenait une petite fortune en objets divers dont la fameuse montre. Le lieu avait été fermé 15 ans plus tôt et une lettre listait le contenu avec une évaluation en francs et une affectation pour chaque pièce. Il y avait en outre une enveloppe, un message destiné à Philippe. Son père y révélait une relation avec une femme et exprimait le souhait qu'une partie de sa fortune lui fut donnée. Elle l'avait accompagné secrètement durant ses 30 dernières années. Philippe fut très embarrassé quand il découvrit l'identité de cette femme qui n'était autre que sa tante, la femme du frère de son père décédé à 40 ans. Elle comme lui avaient dissimulé cette relation. Bien sûr, tout le monde savait qu'ils se connaissaient et prenaient le thé de temps à autre mais personne ne savait que la relation était beaucoup plus poussée. Ils l'avaient tue.
La montre fonctionnait encore, beaucoup moins belle que dans le souvenir de Philippe et surtout la lettre demandait qu'elle soit donnée à un neveu éloigné sans autre explication. Ce dernier, conseiller financier dans une banque avait aidé le père de Philippe à récupérer ses fonds après un mauvais placement pourtant, il savait que Philippe tenait à cette montre. Il le savait tellement qu'il avait mentionné dans sa lettre que cette montre aurait du échoir à son fils mais qu'il en serait autrement car il n'avait pas été invité à Noël l'année des 10 ans de son petit fils…
Philippe fut atterré. Même après leur mort, les personnages nuisibles gardent une sorte de présence que la maladie ne peut excuser. Il porta donc lui-même la montre au neveu qui la refusa au motif qu'elle avait toute légitimité entre les mains de Philippe et aucune dans les siennes. D'abord touché par cette marque de hauteur de vue, Philippe malgré tout se désintéressa de la montre qui avait perdu son attractivité à cause du comportement de son père. Il la donna directement à son fils qui la lista parmi des objets volés à son domicile avec quelques bijoux.
Personne ne sut pendant 2 ans où la montre était passée. Le fils de Philippe n'en fut pas remboursé car les bijoux n'étaient pas assurés et puis … Il y a quelques semaines, il décida de changer son bureau de place, pour le déplacer il en vida intégralement le tiroir. Dans une boite métallique de pastilles pour la toux qu'il s'apprêtait à jeter car la date de péremption était dépassée, il sentit un poids. Dans la boite, il y avait la montre emballée dans une pochette en cuir d'agneau. La montre n'avait donc pas été volée… Philippe l'a redécouverte avec son fils et ils l'ont fait fonctionner ce qui émerveilla le petit fils de Philippe.
Philippe a mis le comportement de son père sur le compte de sa maladie et puis, finalement il est passé outre. La montre est beaucoup moins grosse que dans son souvenir et surtout la sonnerie est beaucoup moins forte.
"Le temps brouille l'écoute." -Mosbilo - Ma pensée complexe - 1999 Verset II - Tome 3 - Livre IV
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).