Cette histoire s'est déroulée à la fin des années 1960. Les noms sont changés pour éviter toute intrusion dans la vie de qui que ce soit. Vincent et Sylvie Camus vivent en province dans une petite ville du sud de l'Aisne. Il a 37 ans et elle en a 35. Ils ont deux enfants, Edith et Philippe, âgés respectivement de 9 et 7 ans. Il vivent très heureux dans l'univers tout à fait classique d'une famille unie. Il est médecin, elle est infirmière en disponibilité pour élever ses enfants et envisage de reprendre son métier dans un ou deux ans.
Un jeudi matin, à l'époque le congé scolaire du milieu de semaine existe encore pour les enfants et a lieu le jeudi, Sylvie en faisant sa toilette constate la présence d'une grosseur dans l'un de ses seins. Inquiète elle en fait part à son mari qui immédiatement imagine que la tumeur est ce qu'il redoute le plus. Le mode de soin en 1960 n'est en France pas très efficace et Philippe appelle un ami de faculté spécialisé dans ces questions. Ce dernier lui propose une consultation dans l'après-midi à Paris, là où il exerce.
Le couple s'interroge quant à la garde des enfants car personne n'est disponible pour les surveiller et se rendre libre dans un délai aussi bref. Une voisine chez laquelle les enfants vont jouer est interrogée pour éventuellement s'en occuper et celle-ci devant la situation, accepte et rassure les parents sur leur heure de retour et le fait qu'elle assurera le repas du soir. Apaisés Sylvie et Vincent prennent la route après avoir fait déjeuner les enfants un peu plus tôt qu'à leur habitude. Vincent a le visage marqué par l'inquiétude, Sylvie dit ne pas ressentir de douleur et s'en rassure. Le visage fermé de Vincent l'inquiète et elle en fait part à sa voisine en déposant les enfants.
Cette voisine ne dispose pas du téléphone car à l'époque, son raccordement reste d'un coût élevé. A plus de minuit, ayant couché les enfants au mieux, elle répond à un coup de sonnette pensant être celui des parents. C'est un gendarme qui sonne. Alertés par les parents de Vincent, ils sont à la recherche des enfants dont personne n'a été prévenu du lieu où ils se trouvent. Le gendarme, les larmes dans les yeux explique que Vincent et Sylvie ont eu un accident de voiture sur la route de Paris et que leur voiture, une DS a été pulvérisée par le choc. Il sait que Sylvie a été éjectée et est décédée lors du transfert à l’hôpital et Vincent a été extrait mort de sa voiture.
Le gendarme propose à la voisine de garder les enfants jusqu'au lendemain et de faire venir les grands-parents qu'il se charge de rassurer. Ces derniers sont évidemment prêts à recueillir les enfants mais ils grandiront finalement chez une tante, la sœur de Sylvie et son mari, qui ont déjà un enfant. Les affaires des parents sont mises en vente et les fruits de la vente sont gelés sur un compte jusqu'à la majorité des enfants.
Quelques jours après les obsèques, un gendarme se présente chez la tante qui a recueilli les deux enfants et remet à la tante une boite en carton, plus petite qu'une boite à chaussures et une grande enveloppe. La petite fille est déjà rentrée en classe mais le petit garçon très choqué est sujet à des crises de larmes. Il reste avec sa tante quelques jours avant de reprendre la classe. Il assiste à la visite du gendarme qui énumère ce que contient le carton : un collier en perles de culture, deux alliances en or, une bague avec un diamant, une montre de dame en or avec des brillants et une montre d'homme de type plongée ainsi qu'un porte feuille et divers papiers. Dans l'enveloppe, un sac à main.
La boite est rangée dans une armoire sur un palier. C'est une de ces grandes armoires normandes qui exigent des plafonds à 2,80 mètres pour être placées. Le gamin raconte à sa sœur après quelques jours, que sa tante a mis dans cette armoire des affaires de papa et maman. La fillette explique à son frère qu'il ne faut pas aller fouiller. Le gamin laisse passer les années sans oublier cette boite et lorsqu'il a dix ans, juché sur un tabouret, il s'aperçoit qu'il n'atteint pas encore le fond de l'étagère située dans l'armoire où sont déposées les affaires de ses parents. Il se saisit d'un escabeau en acier très lourd et finira par accéder à la boite. Il y retrouve les affaires portées par ses parents lors de l'accident dont la montre de son père. C'est une très belle Omega Seamaster dont la boucle tordue ne ferme plus.
Pour sa communion un an plus tard, on lui demande ce qu'il désire. La montre de son père est son seul souhait. Sa tante en fera réparer la boucle et ajuster le bracelet en expliquant au gamin que cette montre ne pourra jamais être remplacée s'il la perd. Il la portera fièrement en expliquant son origine.
Pourquoi est-ce que je vous raconte cette histoire triste ? Simplement parce que la grande sœur de ce gamin a disparu il y a quelques jours des conséquences du même mal que celui qui avait touché sa mère. Ses propres enfants ont 25 et 28 ans. Leur père est un peu perdu.
Le gamin qui est devenu un adulte, un père de famille et un brillant médecin porte toujours la montre de son père, une Seamaster qui tourne depuis la fin des années 60. Beaucoup connaissent son histoire. Pendant la cérémonie des obsèques de sa soeur, il a plusieurs fois porté la main droite sur sa montre comme pour lier les évènements. Il n'y a rien d'autre à en dire sinon qu'un objet et en particulier une montre, n'est pas un objet comme les autres.
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).