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MONTRE. La course aux certifications
L’Express Par Vincent Daveau, publié le 08/12/2015
Premier label horloger, le "Swiss Made" est reconnu comme une garantie de sérieux et de qualité. Mais cette indication appliquée en bas des cadrans ne suffit plus à rassurer les consommateurs exigeant le meilleur.
En général, les amateurs d'horlogerie sont sensibles aux labels. Cela les rassure. En parallèle, les marques traditionnelles, attachées à leurs valeurs, multiplient contrôles et réglementations en vue d'assurer une qualité et une précision conformes à leur réputation. Mais ces labels ne sont pas là que pour aider les consommateurs à faire la différence entre une montre de qualité et un garde-temps ordinaire. Leur existence doit aussi contribuer à empêcher la contrefaçon.
Lancé au XIXe siècle, le Swiss Made a longtemps été synonyme de qualité absolue en horlogerie. Mais, au fil du temps, ce label apposé sur les cadrans des garde-temps semble avoir perdu de son sens. Voilà pourquoi, à la demande de nombreuses marques, la fédération horlogère a entamé une refonte du label Swiss Made dont la structure, telle que nous la connaissons aujourd'hui, date de 1971.
Appelée "Swissness", cette révision votée par le parlement suisse le 21 juin 2013 consiste, en substance, en un renforcement du critère de valeur minimum sur la montre dans son entier, et non plus seulement sur le mouvement. Ainsi, pour pouvoir porter la mention Swiss Made au plus tôt à partir de 2016, il faudra à cette pièce, montée dans sa totalité en Suisse, satisfaire à l'exigence de 60% de valeur suisse, contre 50% aujourd'hui. Et pour corser le tout, les coûts de recherches, développement ou certifications s'ajouteront au calcul de la valeur suisse. Ainsi les plus malins pourront-ils atteindre le pourcentage requis, sans rien changer.
Soit dit en passant, le problème de l'origine n'est pas nouveau. À la fin du siècle des Lumières déjà, des artisans n'hésitaient pas, pour vendre rapidement, à signer leurs réalisations du nom d'horlogers célèbres ou à indiquer des lieux de fabrication reconnus pour la qualité de leurs productions. C'est pour lutter contre ces pratiques qu'à Genève, la Société des Horlogers a obtenu en 1886 l'adoption par le Grand Conseil d'une loi établissant le "Poinçon de Genève". Ce label, réaménagé au fil du temps, n'est octroyé qu'aux seuls mouvements assemblés et réglés sur le territoire genevois et aux maisons horlogères ayant leur siège social dans le canton.
Le Poinçon de Genève et ses avatars
Le Poinçon de Genève a connu une révolution avec la sécession de Patek Philippe, qui a mis en place en 2009 une certification bien plus exigeante à l'usage de ses créations: le Poinçon Patek Philippe. Ce départ a eu l'effet d'une bombe. Il a imposé une refonte en profondeur du Poinçon genevois à laquelle les marques ont dû s'adapter. Ces maisons sont au final assez peu nombreuses -Roger Dubuis, Vacheron Constantin, Chopard et Cartier et d'autres de façon plus marginale-, mais cette estampille vaut de l'or car le très haut niveau de qualité exigé pour l'obtenir garantit un positionnement "luxe" justifiant des tarifs de 35 à près de 45% plus élevés par rapport à des références mécaniquement identiques, mais non terminées selon les standards du Poinçon de Genève.
Évidemment, ces réglementations, appréciées pour le caractère exclusif qu'elles confèrent à des produits de luxe édités en série, ont donné des idées à d'autres marques. Ainsi, la Fondation Qualité Fleurier a été mise en place le 5 juin 2001. Son obtention n'est pas conditionnée à un critère géographique comme le Poinçon de Genève. Ce label a pour objet de garantir au client final la qualité de son acquisition en termes de précision, de solidité et de qualité de finitions. Il ne concerne que quelques maisons pour le moment -Parmigiani Fleurier, Bovet 1822, Chopard, Vaucher Manufacture-, mais l'intention d'offrir plus de transparence et de certifier la qualité est bien là.
On aurait tort de croire que les labels horlogers sont une exclusivité helvétique. La France dispose elle aussi de son poinçon de qualité appelé Tête de Vipère. Il a été instauré à la demande des horlogers franc-comtois suite à la création, le 11 mars 1878 à Besançon, d'un observatoire astronomique, météorologique et chronométrique. Devenu organisme certificateur en 1885, il a été ranimé en 2007 sous l'impulsion de différents fabricants de montres de prestige dont Laurent Ferrier, L. Leroy et Pequignet, mais demeure un standard marginal et surtout incomplet puisqu'il ne garantit que la précision chronométrique.
Les amateurs prennent toujours plaisir à observer, par le dos ouvert de leur montre, les finitions de leur mouvement. Cependant, ces mêmes puristes le maudiront, aussi beau soit-il, pour peu qu'il vienne à manquer de précision ou qu'une panne mette un terme à son fonctionnement. Pour éviter cela, les horlogers ont deux solutions: faire appel à des organismes extérieurs spécialisés dans la délivrance de certificats de conformité destinés à valider la qualité des produits soumis, ou mettre en place des procédures à l'interne, destinées à vérifier à la fois la précision et la bonne marche de leurs créations.
Garantir fiabilité et précision
La plus connue de toutes ces institutions est le COSC, acronyme de Contrôle officiel suisse des chronomètres. Fondée en 1973 dans ses structures actuelles, cette association de droit suisse -par conséquent totalement indépendante des marques- a pour but de mesurer et contrôler la précision des mécanismes horlogers pour leur décerner un titre officiel de chronomètre. Les marques déposant le plus de mouvements sont Breitling pour toute sa production, Rolex pour l'immense majorité de ses montres, et le Swatch Group pour une partie des collections de ses marques.
Apprécié du public, le COSC teste les coeurs mécaniques nus dotés de leur seule trotteuse afin de vérifier optiquement et durant quinze jours le décalage par rapport au temps de référence. Seulement, à force de dérives entre la précision théorique et la précision mesurée dans les boutiques, les amateurs pointilleux commencent à remettre en cause le bienfondé de pareilles mesures. Si les mouvements envoyés au COSC reçoivent des assortiments de qualité supérieure et sont montés plus soigneusement que ceux ne passant pas l'épreuve, la précision attendue n'est en revanche pas toujours présente. Il suffit de bien peu de choses finalement pour faire mentir le certificat.
Ainsi, le montage de la montre peut avoir une incidence sur la précision du calibre. Mais ces montres "chouchoutées" souffrent aussi dans des vitrines non aérées. Là, les températures -soleil, halogènes- peuvent parfois dépasser les 50°C, entraînant une dégradation des huiles et des qualités chronométriques.
La multiplication des labels internes
Depuis quelque temps, un certain nombre de maisons contrôlent elles-mêmes leurs créations plutôt que de les confier à autrui. Ainsi, en 1992, la manufacture Jaeger-LeCoultre mettait au point le Master Control 1000 heures. Ce principe a été repris chez Montblanc avec, cette fois, un temps d'observation de 500 heures, soit 20 jours. Pareillement, Patek Philippe -nous l'avons dit déjà- a introduit en 2009 son propre poinçon de qualité.
Évidemment, certains diront que ce type de contrôle peut être sujet à caution. C'est vrai, mais TIMELAB -organisme de certification indépendant- ne contrôle pas non plus toutes les montres portant l'estampille du Poinçon de Genève dont il est le garant. Dans les faits, le poinçon est accordé suite à l'analyse d'exemplaires de référence que le fabricant s'engage à reproduire jusqu'au moindre détail de finition. Et le suivi de la qualité est contrôlé régulièrement par l'analyse de pièces prélevées lors de sondages ponctuels.
En horlogerie, bien des choses sont basées sur la confiance que le public fait aux marques dans leur quête d'excellence. Ainsi, la manufacture Rolex, dont on sait le soin qu'elle met à faire certifier par le COSC l'essentiel de sa production -les mouvements nus sont individuellement testés-, a voulu aller plus loin en matière de précision pour ses pièces d'exception. Elle a donc choisi, depuis cette année, de contrôler à l'interne son tout nouveau mouvement référence 3255 une fois ce dernier enfermé hermétiquement dans le boîtier de l'Oyster Perpetual Day-Date millésime 2015. Le but n'est pas de remettre en cause les mesures du COSC, mais de garantir que ce garde-temps satisfait à des critères de précision, au porter, deux fois plus exigeants que ceux d'un chronomètre officiel. Ce contrôle, réalisé selon une méthodologie spécifique avec un outillage mis au point par Rolex pour son seul usage, a pour unique visée de satisfaire le propriétaire de la pièce en lui offrant l'opportunité de révéler combien sont élevées les qualités de ce mouvement automatique de nouvelle génération -14 brevets- en matière de chronométrie.
Bien sûr, toutes les maisons ne pourront pas s'offrir des bureaux de certification à l'interne. Mais elles pourront, comme Omega le fait pour sa collection Globemaster, faire appel au METAS, un organisme indépendant émanant de l'Institut fédéral de métrologie. Lequel propose un nouveau processus de certification pour les montres assemblées.
Un, deux, voire trois contrôles
On notera que la plupart de ces labels ne dispensent pas de faire certifier le calibre utilisé par le COSC -Contrôle suisse des chronomètres. Voilà qui est bien mais ce que l'on sait peu, c'est qu'en cours d'élaboration, beaucoup de marques font appel aux ateliers Dubois de La Chaux-de-Fonds pour valider la fiabilité de leurs garde-temps et de leurs calibres grâce à un protocole de tests connu chez les professionnels sous le nom de Chronofiable. Son rôle: vérifier le bon fonctionnement des éléments confiés à l'aide d'un cycle de vieillissement avec un facteur d'accélération de huit. Ces analyses parfois destructives pratiquées en cours de mise au point ou en phase finale d'industrialisation, servent à valider les choix effectués par les marques. Elles sont également une étape obligée pour l'obtention du Poinçon Fondation Qualité Fleurier.
Ainsi, un constat se dessine en matière de labels et de certifications: la tendance est à la redondance. Au fond, cette façon de faire laisse deviner une sorte de malaise de certaines maisons à l'égard de normes qui leur semblent ne plus correspondre aux exigences moyennes du public et aux capacités de leurs créations. Comme le veut le proverbe "On n'est jamais mieux servi que par soi-même", les horlogers les plus soucieux de répondre aux attentes de leur clientèle sont en passe d'intégrer les qualifications pour en faire des labels exclusifs qu'ils n'auront plus besoin de partager avec d'autres, et en particulier la concurrence. Le luxe est à ce prix, et cela se paye!