Dominique Renaud, c’est le «Renaud» de Renaud et Papi, devenu Audemars Piguet Renaud et Papi (APRP), qu’il a fondé en 1986 avec son ami Giulio Papi. Ils ont joué un rôle très important dans la renaissance de la haute horlogerie dans les années 90, en développant des mouvements à grandes complications pour des maisons comme IWC, Audemars Piguet, Hublot, Jaeger-Lecoultre, Frank Muller, A. Lange & Söhne et bien d’autres.
Alors qu’APRP a assuré son assise, Dominique Renaud revend ses parts dans l’entreprise et part s’installer dans l’arrière-pays Montpellierain.
Après près de 12 ans d’exil loin de la vallée de Joux, il revient en 2013 pour fonder son entreprise Dominique Renaud SA et comme consultant pour la marque HYT avec qui il collabore.
Grand horloger animé d’un vrai esprit d’innovation, il revient aujourd’hui sur le devant de la scène avec un projet totalement révolutionnaire présenté début mars sous sa marque éponyme. Certains estiment que c’est la plus grande invention horlogère depuis Bréguet, d’autres ne comprennent pas et critiquent cette nouvelle montre, mais pas grand monde mesure encore réellement l’impact que cette invention peut avoir.
Quant à moi, j’ai eu le privilège de visiter l’atelier de Dominique Renaud, rencontrer son équipe et avoir un aperçu du génie créatif de cet homme et de sa passion et je peux vous assurer que c’était un grand moment.
Et pour une fois qu’on peut abuser des superlatifs, je ne m’en prive pas.
Je tiens à remercier particulièrement mon ami T.Dzi qui a permit cette rencontre, ainsi que Dominique Renaud et Luiggino Torrigiani, son partenaire, qui ont eu l’extrême gentillesse de nous recevoir dans leur atelier de la banlieue de Lausanne.
Bonjour Monsieur Renaud et merci de bien vouloir nous accorder cette interview.
Vous avez été impliqué dans beaucoup de grand projets horlogers, qu'est-ce qui vous a poussé à lancer une marque à votre propre nom?L’idée était de créer une petite structure dans laquelle je pouvais mettre au point les idées que j’avais depuis des années et pouvoir m’exprimer librement. Ca faisait des années que ce projet me trottait dans la tête et j’ai finalement décidé de me lancer en 2013. Ca correspondait aussi à mon parcours, mon état d’esprit, mon âge etc.
C’est une marque à mon image et d’ailleurs le logo que nous avons choisi, avec mes initiales DR, est celui que je gravais à coups de limes sur mes outils déjà quand je suivais ma formation d’horloger à Besançon. Mais avec ses angles vifs et ses arrêtes droites, il évoque aussi le savoir-faire de la haute-horlogerie avec ses angles rentrants, ses surfaces parfaitement polies etc. C’est donc ma signature…
Vous êtes pour le moment une équipe de 4 personnes, comment se compose-t-elle et quel est le rôle de chacun?
L’équipe est composée de 4 personnes dont Luiggino Torrigiani avec qui je me suis associé en 2013 à la création de Dominique Renaud SA, ingénieur EPFL et spécialiste de marketing et sponsoring, notamment fondateur de Solar Impulse, Andrea Furlan, diplômé de l’ECAL qui s’occupe du design et du graphisme des montres et Frédéric Magnard, ingénieur en micro-technique de l’EPFL. Nous avons les ingrédients nécessaires réunis dans une équipe de 4 personnes, pour me permettre d’exprimer pleinement ma créativité, avec des personnes de confiance et très réactives pour m’aider.
Est-ce que vous pouvez nous expliquer de manière simple le fonctionnement de ce nouveau mouvement?
Le rêve de tout horloger depuis très longtemps est de pouvoir utiliser les pivots les plus petits possibles pour diminuer les frottements au maximum et augmenter le facteur qualité. Pour diminuer les frottements, j’ai eu l’idée d’utiliser un tranchant de lame comme pivot. J’ai réalisé une toute première maquette avec de simples lames de cutter et des contrepoids et j’ai réussi à obtenir un système qui oscille de manière régulière avec comme axe de pivot le fil des lames, qui est bien plus fin qu’un pivot traditionnel d’horlogerie. On a tout de suite vu que la diminution des frottements était très importante puisqu’un bon spiral classique peut osciller seul pendant environ minute alors que la simple maquette que j’ai réalisé peut osciller seule pendant bien plus longtemps !
L’idée est donc de remplacer le balancier/spiral, qui repose sur un axe pivoté et génère donc beaucoup de frictions, par un système qui va osciller autour d’un axe virtuel appelé «pivot spatial». C’est ce système de pivot spatial qui change totalement la donne. Grâce à lui, tout peut être repensé et réinventé au niveau de l’échappement, du ressort de résonateur (spiral), des fréquences, des amplitudes, de l’inertie etc
Ce système nous a permis de diminuer fortement l’angle de levée et de partir sur des hautes fréquences mais avec une consommation très basse d’énergie. D’autre part, avec ce système de pivot incassable, on peut se permettre d’utiliser des balanciers ayant une grande inertie. En l’occurrence, nous avons fait le choix pour la DR01 d’utiliser un oscillateur d’une taille très importante avec un couteau de taille proportionnelle pour bien mettre en avant le fonctionnement de ce nouveau système.
J’ai également développé un nouvel échappement à coups perdus pour tirer profit des avantages de ce nouvel oscillateur.
L’idée est de perturber au minimum les oscillations du balancier en lui donnant peu d’impulsions. Sur un échappement à ancre, il y a une impulsion à chaque oscillation. Sur un échappement à détente, il y a une impulsion toutes les deux oscillations et donc un «coup perdu». Pour l’instant, nous travaillons sur un échappement expérimental à 9 coups perdus pour une impulsion mais compte tenu de la grande inertie du système de balancier, tout est envisageable. Ceci n’aurait pas été possible avec un système de balancier/spiral classique qui présente une plus faible inertie et aurait donc tendance à trop ralentir sur les coups perdus.
Donc au final, on a une amplitude très faible, d’environ 30º, mais grâce au système de coups perdus, l’amplitude cumulée devient très importante avec un angle de levée de seulement 15º à chaque impulsion, c’est-à-dire une fois toutes les 10 alternances pour ce premier mode.
On se retrouve avec un facteur qualité décuplé, peu de frottements, des hautes fréquences et une faible consommation d’énergie. Tous les ingrédients sont réunis pour que ça marche très bien. Selon nos calculs, avec un simple barillet, on devrait arriver à une réserve de marche de deux semaines…
Pour ce qui est du ressort du système oscillant, tout est imaginable là-aussi. Pour l’instant, nous travaillons sur un ressort de forme arbalète réglé par une table XY, qui permet de régler la position du ressort et sa longueur active. C’est donc ce système-là qui permettra le réglage de la montre, à l’image de la raquette sur un échappement classique.
Où en êtes-vous dans le développement de ce premier prototype?
Nous avons fait plusieurs maquettes à différentes échelles, nous installons notre système d’oscillateur et d’échappement expérimentaux à l’échelle 1 sur un mouvement de montre classique afin d’étudier son comportement. Nous continuerons ensuite avec la fabrication du premier prototype de la DR01 qui sera livré d’ici un an.
Chaque prototype étant une sorte de laboratoire, quelle évolution imaginez-vous entre le premier et le douzième prototype?
Il y aura une évolution entre les 12 modèles. Il y a d’ailleurs déjà des différences entre ce que nous avons montré dans le teaser et ce sur quoi nous travaillons actuellement, comme le placement de la roue de secondes. Tout est imaginable, que ce soit au niveau de l’échappement, du spiral, du système de réglage, des fréquences... Mais évidemment, chacun des prototypes sera pleinement fonctionnel !
Ensuite, si les premiers acquéreurs veulent faire modifier leur montre avec les dernières modifications mises au point, ce sera évidemment possible mais je pense que c’est intéressant de garder chaque prototype unique comme pièce d’histoire horlogère.
En quelque sorte, on se donne 12 étapes pour faire la meilleure montre possible. L’idée à terme est d’avoir une montre avec un bulletin de marche certifié. Comme je l’ai déjà dit, tous les ingrédients sont réunis, ce n’est pas une question de «si» mais une question de «quand».
Quelles sont les difficultés techniques que vous avez rencontré pour l'instant et quelles sont celles qu'il vous reste à surmonter?
Le principal chalenge est de réaliser le couteau et ce pivot spatial de 0,01mm avec un alignement des fils de lame parfait. Nous avons toute la technologie moderne à notre service et on ne peut qu’arriver à la solution... Les finitions seront faites à la main dans la plus pure tradition horlogère.
Comptez-vous développer des mouvements à complication sur la base de celui existant?
Ce n’est pas notre objectif pour cette première série des TWELVE FIRST, où on se concentre sur l’essence même de l’horlogerie, la mesure du temps. C’est très plaisant de revenir sur le coeur de la montre, l’organe réglant et d’en faire quelque chose de totalement nouveau. Pour les séries suivantes, nous continuerons à revisiter certains fondamentaux de l’horlogerie mécanique et restons ouverts pour y intégrer des complications…
La DR01 aura une seconde morte, ce choix a-t-il été purement esthétique ou est-ce une contrainte inhérente à ce nouveau mouvement?
Comme vous l’avez compris maintenant, c’est bien quelque chose de propre à l’échappement expérimental sur lequel on travaille. Avec le système à coups perdus, on a une impulsion pour 10 oscillations. Dans ce mode, on est sur une fréquence de 5Hz (soit 36 000 bph ou 10 par seconde), on a donc une impulsion par seconde. La roue de secondes fait un saut par seconde, ce qui en fait une vraie seconde morte. Mais la fréquence ou l’échappement peuvent venir à être modifiés selon les prototypes. On pourrait imaginer aussi, grâce à l’échappement réglable, avoir 18000 bph avec 4 coups perdus et une impulsion.
Quelles seront les possibilités de personnalisation pour les heureux acquéreurs?
Au-delà de l’aspect esthétique de la montre (matériaux et forme de l’arche, cadran, bracelet, etc), nous souhaitons que les acquéreurs, s’ils le souhaitent, prennent une part active dans l’élaboration de leur prototype, qu’ils viennent à l’atelier, discutent avec nous et prennent part au développement de leur montre. Ils pourront avoir leur nom sur la montre puisque chaque TWELVE FIRST représentera une étape importante dans le développement de ce nouveau chapitre de l’horlogerie. En cela, les acquéreurs peuvent eux aussi être considérés comme des pionniers de l’horlogerie…C’est donc une expérience inédite, une odyssée horlogère avec nous que nous leur proposons.
A quoi doit-on s'attendre après la série "Twelve first"?
Nous avons prévu une série de « saisons » avec nos innovations et travaillons déjà sur la suite. Nous avons déjà fait des simulations et des plans pour faire des montres plates ou même extra-plates avec le même type d’organe réglant. Comme je vous l’ai expliqué, on a fait le choix pour la DR01 de prendre un oscillateur et un couteau de tailles conséquentes pour bien mettre en avant ce «coeur qui bat». Mais le système de couteau et les pierres qui lui correspondent peuvent être miniaturisé et adapté de beaucoup de manières différentes. Nous travaillons déjà sur la DR02, la DR03,…
Quel est votre plus grand moment horloger?
Sans aucun doute la rencontre avec Monsieur Günter Blümlein, CEO d’IWC, le premier à faire confiance à Giulio Papi et moi-même lorsque nous nous sommes lancés avec Renaud & Papi. C’est de là qu’est née la Grande Complication d’IWC, pour laquelle nous avons développé le premier module de répétition minute qui fut adapté sur un mouvement développé par Mr Kurt Klaus. C’était totalement nouveau et le système que nous avons inventé avec Giulio n’avait rien à voir avec tout ce qui avait été fait avant en termes de répétition minute. C’est grâce à Mr Blümlein que Renaud & Papi a pu vraiment démarrer.
Merci encore infiniment à Dominique Renaud, Luiggino Torrigiani et Andrea Furlan pour leur accueil.