Le secret des montres américaines de chemins de fer Dual Time
Les montres de poches à double fuseau utilisées par les personnels roulants de quelques compagnies de chemins de fer d'Amérique du Nord constituent une sorte d'énigme dès lors que les catalogues des manufactures américaines n'en portent que peu de traces. L'une des plus connues est l'Hamilton Railway Special mais il y eut d'autres versions sans qu'il ne soit possible bizarrement de les lister et de les identifier clairement. Cela semble impossible et pour cause, il semble qu'aucune marque n'ait accepté de livrer ce type de montre et que les montres existantes soient des adaptations faites par les compagnies de chemins de fer qui auraient procédé directement à ces transformations, Hamilton ayant fini par accepter de livrer ce jeu d'aiguilles mais seulement dans le cadre d'un service fait sur la montre vendue initialement avec une seule aiguille des heures.
Ces montres possèdent donc "visuellement" une seconde aiguille des heures qui est toujours de couleur rouge. Le mécanisme de la montre est en tout point identique à la version classique et en porte les références. La différence n'est dont aucunement mécanique mais simplement située au niveau de l'aiguille.
Cette seconde aiguille est solidaire par son canon avec l'aiguille "principale des heures" et les deux aiguilles ne peuvent donc afficher que l'écart sur la base duquel elles ont été assemblées, en l'occurrence une heure.
La montre est donc à double fuseau mais ne peut devenir "GMT" en ce qu'on ne peut élargir l'écart entre les deux aiguilles des heures. Le principe de ce type de montre et son utilité est de permettre de passer d'un fuseau à l'autre lors d'un trajet sans avoir à procéder à un réglage de l'heure en cours de trajet au moment du passage de l'un à l'autre des fuseaux. Cela est d'autant plus intéressant que le réglage de l'heure en roulant peut s'avérer acrobatique et que ces montres portant l'heure de référence ne doivent pas être déréglées par une manipulation intempestive en cours d'utilisation. Les risques sont d'autant plus forts sur les montres américaines que la mise à l'heure se fait par une targette située sous la lunette solidaire du verre et qu'il faut dévisser cette dernière pour y accéder. Le risque alors est de toucher les aiguilles, de les arracher et de ne plus pouvoir accéder à l'heure exacte. Il est à noter que les militaires de l'US Navy et de la Royal Air Force se feront fabriquer des montres spéciales avec des mises à l'heure au pendant, système usuel sur les montres suisses.
L'explication pourrait s'arrêter là mais il s'avère que les compagnies de chemins de fer étaient plutôt hostiles à ce type de montres en estimant qu'elles généraient des erreurs de lectures absentes lorsque la montre profitait d'un réglage lors du changement de fuseau. La montre ne fut donc pas autorisée par certaines compagnies de chemins de fer. La chose fut donc réglementée dès le 1er février 1929 dans les "Rules Governing Time Service For Employes in Train, Engine, Yard, Roadway and Station Service" des "Atchison, Topeka and Santa Fe Railway System".
"Article 3 : Les aiguilles des heures supplémentaires, peintes ou émaillées en rouge,
peuvent être utilisées sur les montres portées par les personnels ferroviaires, ingénieurs, pompiers dans les divisions occidentales, du 1er district du Colorado, des Plaines, Pecos, Albuquerque et Arizona, Central et Mountain, ou Mountain et Pacific où l'heure standard est en usage."
Malgré cela, les fabricants sont restés rétifs à adapter leurs montres. Si Elgin mentionne bien ce type de pièces dès son catalogue de 1915, c'est pour préciser que le produit ne peut être livré que sur commande spéciale. Il faudra attendre les années 1950 pour qu'Hamilton place ce type de montres dans son catalogue officiel. Beaucoup de celles qu'on trouve parmi les plus anciennes n'ont jamais servi pour les chemins de fer mais sont des adaptations faites à partir d'aiguilles retrouvées par des collectionneurs qui au cours des 20 dernières années ont adapté eux-mêmes des montres (produites en grande quantité). Ces montres furent en fait davantage tolérées qu'encouragées et en aucun cas imposées par les services ferroviaires des compagnies américaines.
Ces Dual Time ne sont donc aucunement des montres à complication et la seule complication qu'on puisse réellement leur reconnaître est celle de la lecture de l'heure finalement complexifiée par cette double aiguille dont la différence de couleur n'est perceptible qu'en pleine lumière. Les Dual Time constituent des curiosités car elles sont assez assez rares surtout en Europe. Il existe des versions suisses de ce type de montres et d'aiguilles mais elles sont extrêmement rares et ne sont venues que pour apporter une "équivalence" à l'offre américaine.
Droits réservés - Joël Duval - Janvier 2017 -