Etre cadre dans l'horlogerie et développer un projet personnel. Billet

Un cadre dans l'horlogerie ne se fait pas virer comme un vanupied, ça non. Il part pour développer un projet personnel. Notez bien que ce fameux projet personnel qui poursuit chacun de ses collaborateurs directs est différent de l'un à l'autre et mieux, aucun n'avait aucune idée de la nature de ce projet quelques heures avant d'apprendre qu'il ne ferait plus partie de l'entreprise. C'est qu'en Suisse, on dégaine très vite côté actionnaire et une chute du chiffre d'affaires entraine une multiplication de projets personnels élaborés dans les 5 à 10 minutes que dure un entretien de licenciement. Il faut évidemment intégrer dans ces 5 à 10 minutes, non pas le temps de l'argumentaire qu'aurait pu développer le cadre licencié car personne n'écoutera ses éventuels arguments, non, il faut intégrer dans ce laps de temps, les quelques minutes que le vigile aura mis à venir accompagner la récupération des effets personnels du salarié renvoyé auquel on demandera ses clés de voiture de fonction, son téléphone portable, sa montre en prêt et son Ipad. Il ne faudrait pas qu'il lui vienne l'idée de se payer sur la bête.  

Bien entendu, certains sont mieux lotis que d'autres et grâce à des contrats "blindés" vont garder quelques mois leur salaire ou la voiture voire tout, y compris le salaire sous réserve d'un mutisme absolu et que la seule communication faite sur leur départ, soit gérée par l'actionnaire. Cela explique que les départs les plus inattendus soient toujours dans le cadre d'une volonté de développer un projet personnel.

Ne vous avisez évidemment pas de demander en quoi consiste ce dernier car vous n'aurez aucune réponse. C'est normal, c'est personnel ! On connaît même des anciens CEO qui ont devant eux 4 ou 5 ans pour découvrir le projet personnel qu'ils pourraient bien développer car ils continuaient pendant ce temps, à toucher leur plein salaire et à vivre sur le dos d'une entreprise où ils n'ont plus le droit de mettre les pieds. La singularité de l'horlogerie est la séparation, le divorce devrais-je dire, pour "faute". Le CEO y compris si chacun des ses actes fut approuvé par la maison mère est le seul fautif du marasme constaté par l'actionnaire. Peu importe qu'il ait 20 ans ou 2 ans d'ancienneté, qu'il soit ou non diplômé d'une grande école, ami du président du Conseil d'administration ou non, s'il n'a pas fait son chiffre, il sera guillotiné !

Son projet personnel a conduit à la décapitation de son entreprise. Et tous les cadres sont en général entrainés dans le sillage du CEO.  Les survivants seront dans le prochain panier. Ce qui est le plus singulier est la capacité de ces acteurs autrefois essentiels à disparaître, encore un peu et il faudrait une alerte enlèvement pour en retrouver la trace. Il arrive qu'un ou deux rebondissent dans une autre maison et là le projet personnel est de changer d'employeur. Ce fut le cas pour Georges Kern mais pour un qui passe d'un groupe à l'autre, combien sombrent dans l'oubli cultivé ?

Tout cela pose la question de ce qu'est un projet personnel. C'est à cela qu'il faut répondre. D'abord, c'est un projet, c'est à dire quelque chose qui n'est pas encore concrétisé et ne restera peut-être qu'un projet et comme il est personnel, il n'est pas public. Sur cela, rideau de fumée et voile de discrétion. Nous n'en saurons pas davantage et l'ex-employeur s'en fiche car ce qu'il voulait c'était juste se débarrasser de ce salarié boulet qui ne convient plus à l'actionnaire tout puissant, celui qui s'empoche les dividendes et s'agace de combler les déficits. Lui, il n'a pas de projet personnel, il gère des projets collectifs, des charrettes et des vagues de licenciements. Son job à lui, c'est de gagner plus et encore davantage.

Partir pour un projet personnel se fait donc sans pot de départ, sans fleur ni couronnes, à l'arrache, d'une heure sur l'autre parfois en prenant le bus ou le train pour rentrer chez soi et en reprenant conscience de ce qu'est la vraie vie avec les enfants qui pleurent pour avaler le petit déjeuner avant d'aller à l'école, madame qui râle car elle va être en retard chez le coiffeur et cette place dans le train où le voisin explique en parlant fort dans son téléphone portable, à sa femme qu'il a raté le train parce que sa maîtresse a allumé les chandelles. Avoir un projet personnel, c'est finalement reprendre pied dans la vie et devoir écouter le garagiste qui se plaint du prix du carburant et regarder dans les yeux la caissière de la Migro qui a forcé sur le maquillage. En d'autres termes, le projet personnel d'un CEO est de redevenir comme nous tous, un être humain comptable de ses dépenses et de ses actes. Il y a pire !

Allez ! Bises à Patrice, Françoise, Aldo, Suzanne, Thierry et à tous les autres développeurs de projets personnels !

Pertinent et si réaliste

L'avantage des grands groupes, c'est le montant de la transaction qui peut assurer d'arriver à la retraite sans bouger le petit doigt.

Il faut se taire en échange du chèque ce qui rend le projet personnel d'autant plus personnel que les dossiers sont embarrassants pour ceux qui restent

Pensez-y: c'est quand on est dedans qu'il faut se préparer à être dehors.

Tristement vrai.

Néanmoins, ce genre de pratique n'est pas uniquement dans le milieu hologer et touche quasiment tous les domaines d'activité.

Et ce n'est pas nouveau, un ancien collègue de mon ancien travail me racontait l'histoire de son père, cadre chez "bip" (entreprise colorée pour ne pas la citer ) à la bonne époque. Il avait 53 ans, un très bon salaire, des revendications.

Bref, rien de ce qu'il fallait à la nouvelle structure. Convocation à un entretien annuel et présentation des choses. Résultat, rupture conventionnelle avec 5 ans de salaire (hors bonus, faut pas déconner) pour penser à un projet professionnel. Entre cette somme placée et les indemnités chomage (les papiers ont été fait pour qu'il y ait droit), bah, ça lui a fait 7 ans de retraite en plus.

Au début il râlait de son éviction, du sentiment d'inutilité qui le rongeait (et à cet âge, là où il vivait, retrouver un job à son niveau, pas très facile), mais après il en a bien profité, surtout après avoir revu d'anciens collègues moins gênant que lui et à qui on n'avait pas fait une telle offre... et qui étaient déprimé par le nouveau fonctionnement.

Et ces deux là, leur projet personnel est volontaire ou forcé?

https://www.gorillawatches.ch/this-is-gorilla/

sans avoir les détails, difficile de savoir...

Au début, ça peut être perçu comme forcé puis après négociation être perçu comme une opportunité, selon le nombre de zéros !

Au moins leur projet personnel a abouti. Tout comme celui des deux compères de Bolido.

Ca me parait pas choquant se genre d histoire quant on connait le droit du travail extrement light pratique en suisse.

Qu elle firme internarional aurait interet a s installer dans un pays ou le niveau de vie et les salaires sont les plus elevé du monde sans contre partie ?

Quel interet aurait ces firmes de faire venir des milliers de frontaliers travailler dans leur usines plutot que de produire directement dans le pays frontalier ?

L interet est essentillement lié au cycle de l industrie horlogere qui connait de tres fort haut ou de tres fort bas (le cas acutel), ca permet d ajuster la main d oeuvre au cycle du marché.

Ca permet egalement de maintenir la paix sociale par le peur. bref que des avantages.

Joli billet!

Malheureusement, comme dit plusieurs fois dans les commentaires, le "projet personnel" est utilisé quasiment dans toutes les grosses boites de nos jours...
Pour être plus précis, c'est souvent "...Il a choisi de quitter l'aventure pour un projet personnel, on lui souhaite beaucoup de réussite".

De toute manière, ceux qui partent pour un projet personnel sont souvent ceux qui partent aussi avec un joli chèque, je m'en fait pas trop pour eux contrairement à ceux qui partent sans rien...

Une bise également à Daniel.

Brillamment écrit, même s'il me semble détecter une bonne dose d'amertume aussi...

En ce qui concerne les caissières: Faut éviter la Migros; celles de la COOP sont au top