Je ne résiste pas à l'idée de vous raconter l'histoire de Joseph. Ce n'est pas son prénom mais ses descendants sont bien vivants et comme nous lirons forcément des réactions de moquerie, je préfère les préserver.
Joseph est né en 1924 quelque part du côté de Lille. A 14 ans, il quitta l'école pour devenir apprenti dans une maison qui conditionnait et fabriquait des sirops. A 21 ans, il rencontra la femme de sa vie, Simone, une jeune et très jolie jeune femme qu'il épousa à la majorité de celle-ci en 1942. Joseph est un garçon brillant et lorsqu'il épouse Simone, il a déjà changé de métier, il est devenu fonctionnaire et comme il est doué pour la comptabilité, il est chef du service comptable dans une caisse de sécurité sociale. Il en deviendra le Directeur adjoint moins de 10 ans plus tard puis le Directeur au début des années 1960.
Joseph est un homme sympathique, à l'écoute des autre, généreux et convivial, il a avec Simone 3 enfants qu'il chérit avec une vraie passion. Il y a pourtant chez Joseph, un côté mystérieux. Joseph par exemple fait virer son salaire sur un compte où il a seul accès et cela durera toute sa vie. Il reverse ensuite une somme sur un compte commun mais conserve par devers lui une partie de son salaire que son épouse ne peut évaluer. Personne ne sait ce que fait Joseph de cet argent. Sa fiche de paie n'arrive jamais à la maison et Simone ignore tout de la partie cachée de la vie de Joseph. Rien, pas un courrier, pas un coup de téléphone, pas une conversation ne laisse transpirer le moindre détail. Il y a juste cet incident au début des années 1980 lorsque Joseph prend sa retraite qui perturbe Simone. Un jour du mois d'Aout, Joseph reçoit à domicile une lettre concernant sa retraite et celle-ci mentionne un chiffre qui laisse Simone perplexe car elle comprend que Joseph conserve entre 3000 et 4000 francs chaque mois. Certes, la famille ne manque de rien et les enfants peuvent faire leurs études mais Simone se prive parfois de vêtements qui pourtant lui feraient plaisir et ne seraient pas un luxe.
Simone tente plusieurs fois de faire parler Joseph mais son visage se ferme et il change immédiatement de sujet de conversation. En 1999 à quelques jours de l'an 2000, Joseph meurt subitement d'un arrêt cardiaque. Il s'effondre d'un seul coup et n'a même pas le temps de dire un dernier mot à sa femme. Joseph est inhumé quelques jours plus tard et le notaire appelle Simone pour régler les formalités liées à son décès. Elle se rend chez maitre Cinquante (oui je sais ce jeu de mots est pourri) avec ses enfants. Le notaire énumère les actifs et mentionne à cette occasion un coffre dans une banque mais celui-ci n'a donné lieu à aucune procuration et il faudra donc faire un inventaire lors de son ouverture. Tout le monde se rend à la banque à l'heure dite et avec un huissier, le coffre est forcé par un serrurier.
Le coffre une fois ouvert est vidé sur une table de la salle des coffres. Il y a quatre boites à chaussures et deux grandes enveloppes avec à l'intérieur des factures de ... montres. Mais attention, il ne s'agit pas de n'importe quelles montres. Ce sont des montres automates érotiques avec des scènes polissonnes dont certaines sont très évocatrices au point que le terme érotique n'est plus suffisant. Toute la famille tombe des nues (oui, ce jeu de mots n'est pas meilleur que le précédent) et tout le monde se regarde avec stupéfaction. Le dernier carton contient quelques couteaux dont le manche est la sculpture d'un corps féminin nu mais beaucoup moins évocateur que les montres.
Un expert sollicité évaluera les pièces à plusieurs dizaines de milliers d'euros. Les factures démontrent un investissement continu pendant plus de 35 ans. Joseph venait chaque semaine à la banque mais n'en sortait jamais aucune montre à la connaissance de sa famille mis à part quelques-unes dont les automates étaient cachés. Le fils aîné se souvient avoir vu plusieurs montres mais sans se douter de ce qu'elles renfermaient. Rien d'autre ne sera retrouvé. Pas une photo, pas une vidéo, pas un courrier, tout juste un catalogue d'une vente de l'Hotel Drouot où plusieurs montres étaient passées.
Le fils aîné de la famille se chargera de gérer ces montres qu'il finit par répartir avec les autres frères et sœur et chacun en possède ainsi une dizaine. Simone toujours très respectée par Joseph témoignera qu'il était très "prude" et ne supportait pas les conversations un peu salasses. Qu'est-ce qui animait Joseph ? L'érotisme torride des pièces, la mécanique poussée de celles-ci, leur valeur historique, la rareté ? C'est très difficile à dire. Que le goût de l'interdit l'ait un peu motivé est sans nul doute une réalité. En tous les cas, le partage n'était pas sa chose. Voilà ce que l'on peut dire de l'histoire de Joseph ...
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).