Actu: Les radiumineuses, petites mains radioactives de l’horlogerie suisse

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En mars, un rapport de l’Université de Berne mettait en lumière la contamination au radium et à grande échelle des bâtiments horlogers en Suisse romande. Le sort des centaines ou milliers de femmes qui ont manipulé ce produit hautement radioactif reste dans l’ombre

L’industrie horlogère est fière de son passé et de ceux qui ont contribué à le faire rayonner. L’histoire des «radiumineuses» est pourtant moins glorieuse. De 1918 à 1963, des centaines sinon des milliers de femmes ont eu pour mission d’enduire les aiguilles et les cadrans des montres d’une fine couche de peinture à base de radium, une lampe frontale sur la tête et un pinceau ou un pinçon entre les doigts. Leur travail méticuleux rendait les montres luminescentes, afin qu’il soit possible de lire l’heure dans le noir. Une véritable révolution technologique pour l’époque.

Mais cette innovation a légué un héritage encombrant. En Suisse, quelque 1000 bâtiments ont servi d’atelier de peinture au radium, dont plus de 200 à Bienne. Au moins 83 sites doivent faire l’objet d’un assainissement, selon un recensement de l’Université de Berne, lancé après la découverte de déchets contaminés à Bienne lors des travaux de l’autoroute A5. Les travaux de décontamination devraient coûter au minimum 7 millions de francs

La première utilisation officielle du radium dans l’horlogerie suisse est datée du 9 novembre 1918: une facture, émise par l’entreprise familiale Monnier-Radium, qui fait de cette société la première du pays spécialisée dans la pose de peinture luminescente. Elle faisait travailler une quinzaine d’ouvrières dans son atelier de La Chaux-de-Fonds.

L’euphorie du radium

«Après la découverte du radium par Marie Curie en 1898, il y eut une certaine euphorie, explique Michel Hammans, expert en radiations de la SUVA. On lui attribuait des effets positifs et c’est pourquoi ce nucléide s’est retrouvé ajouté dans de nombreux produits.» On attribuait à cet ingrédient extraordinaire de multiples bienfaits: plus de chaleur, moins de rides et une meilleure santé

Ainsi, les sous-vêtements radioactifs de la marque Iradia sont mis en valeur pour aller skier, les montres peintes par Monnier-Radium sont dites «impossibles à éteindre» et les crèmes pour le visage Tho-Radia à base de thorium et de radium sont vendues comme «embellissantes parce que curatives».

Le radium est également utilisé dans la production de vin, de soda, de chocolat, et parfois même dissout dans de l’eau potable pour redonner la santé, car «prendre de la radioactivité, c’est absorber de la vie», disait la publicité de Radiovie, un vendeur de pilules prescrites pour les anémiques et déprimés. Des utilisations multiples et peu précautionneuses, qui ont eu des retombées sur la santé de ses utilisateurs. «Heureusement, certains produits de consommation courante estampillés radium n’en contenaient pas du tout. La mention du radium était parfois utilisée comme argument de vente», rappelle Christophe Murith, chef de la section des risques radiologiques de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).

Des femmes flexibles et précises

Prisées par les militaires, ces montres qui brillent dans le noir ont rapidement séduit le grand public. Mécaniquement, les offres d’emploi se sont multipliées. Les journaux de l’époque, L’Impartial et la Feuille d’Avis de Neuchâtel, regorgent de petites annonces: «Recherche radiumineuse habile et consciencieuse.»

Les femmes étaient spécifiquement recrutées, car elles représentaient une main-d’œuvre bon marché, flexible et au geste précis. Les ouvrières des ateliers étaient essentiellement des jeunes femmes qui travaillaient avant de se marier. Celles qui travaillaient à domicile le faisaient quant à elles à temps partiel pour conjuguer leur profession avec leur vie de famille. Elles étaient rémunérées à la pièce. Les radiumineuses travaillaient dans des ateliers, chez des horlogers ou à l’armée, mais la plupart travaillaient aussi depuis «des places de travail à domicile situées dans l’Arc jurassien», précise l’OFSP.



«Lorsque les Anglais sont venus observer leur méthode de travail, le patron leur a dit: «Messieurs, vous êtes des assassins!»»

Lors de la libéralisation du marché du radium et de l’émergence de postes à domicile, après la Seconde Guerre mondiale, «les ateliers individuels de pose de matière lumineuse fleurissaient à La Chaux-de-Fonds comme pâquerettes au printemps», se souvient Raymond Monnier, fils du fondateur de l’entreprise Monnier-Radium, dans un livre biographique sur son père intitulé La radioactivité et l’industrie horlogère. Selon l’étude de l’Université de Berne, sur 172 personnes employées par Monnier-Radium entre 1924 et 1971, 160 étaient des femmes, avec un âge moyen de 23 ans.

«Le moment est venu où il n’a plus été possible de continuer à manipuler la matière lumineuse comme de la farine ou du sucre en poudre», image Raymond Monnier dans son ouvrage. Il raconte que son père, qui collaborait avec le laboratoire anglais Brandhurst, est allé leur rendre visite entre 1948 et 1951. «Le premier choc fut de découvrir […] le luxe de précaution dont ils s’entouraient pour manipuler la matière lumineuse avec laquelle nous vivions, nous, et depuis des années, dans une familiarité quotidienne et bon enfant», peut-on lire. Il ajoute que lorsque les Anglais sont venus en retour pour observer leur méthode de travail, le patron leur a dit: «Messieurs, vous êtes des assassins!»

Cette phrase les a conduits à revoir leur organisation, à conserver les peintures dans des boîtes en plomb, mais aussi à alerter les autorités, le Département de la santé publique de Berne et l’Institut de cancérologie de Lausanne. «Nous avons jeté notre pavé dans la mare», résume-t-il.

Le scandale des «Radium Girls»

Cet épisode pose évidemment la question de l’impact sanitaire. Utiliser du radium au quotidien n’est pas sans risque. Et pourtant, il semble n’y avoir eu aucun cancer ou décès recensé de femmes ouvrières suisses. «Les statistiques des maladies professionnelles de l’époque tenaient compte de l’ensemble des rayons ionisants alpha, bêta, gamma et des rayons UV sans les dissocier – le radium 226 est un émetteur alpha. Il n’est donc pas possible de dire combien de personnes ont été touchées par une maladie professionnelle liée à la peinture au radium», soutient Michel Hammans, expert en radiations de la SUVA.

Aux Etats-Unis, le radium a eu des effets dévastateurs sur celles qui le manipulaient. Le scandale des «Radium Girls» est de notoriété publique. Les femmes qui ont travaillé dans l’industrie horlogère ont eu de sévères complications et ont développé des tumeurs cancéreuses sur plusieurs parties de leur corps. C’est un dentiste qui a lancé l’alerte en 1924 en voyant les dents des ouvrières se déchausser et des bouts d’os de mâchoire se détacher. Grace Fryer fut la plus célèbre des Radium Girls: sa colonne vertébrale gravement touchée l’obligeait à porter un corset en métal. Les jambes de plusieurs de ces filles se sont raccourcies, à cause de la friabilité de leurs os.

Lire:  Radium, à l’heure lumineuse et radioactive

Cinq Radium Girls se sont réunies pour poursuivre leur employeur en justice. Mais le temps de trouver un avocat pour les représenter, les médecins ont estimé qu’il ne leur restait plus que quelques mois à vivre. Un combat contre la montre qu’elles ont finalement remporté en signant un accord à l’amiable. Catherine Wolfe, peintre de cadran atteinte d’une tumeur à la hanche, poursuivra sa lutte dans l’Illinois jusque dans son lit de mort. C’est sur celui-ci qu’elle sera entendue en 1938. Ce procès retentissant ouvrira la porte à de nouvelles législations et à la création de l’agence fédérale de protection des travailleurs américains.

En Suisse, la technique utilisée a en partie protégé les ouvrières. «Elles n’ont pas souffert des mêmes maladies, explique Christophe Murith. Aux Etats-Unis, elles affinaient leur pinceau entre leurs lèvres pour avoir une pointe fine. Et comme il s’agissait de grosses pièces, la quantité de radium absorbée était plus importante qu’en Suisse. Monnier a pris conscience des risques de cancer. Ses ouvrières travaillaient avec un stylo ou un poinçon. Il n’y avait pas de contact direct, même si certaines d’entre elles se faisaient les ongles avant de sortir la nuit.»



«Certaines femmes ont reçu de manière diluée sur toute leur vie des doses plus grandes que ce qu’il a fallu pour tuer une personne à Hiroshima»

— Maurice Cosandey, ancien chef du Service de contrôle des irradiations du canton de Genève

Il n’y a pas eu de procès de ce genre non plus, «car il n’y a pas eu de cas de cancers directement liés à l’incorporation de radium», ajoute-t-il. De son côté, Raymond Monnier confie dans son livre qu’il soupçonne l’atelier de son père d’être responsable de la fausse couche de sa femme et du cancer de son père.

Une dose plus grande qu’à Hiroshima

En 1963, après l’entrée en vigueur de la première ordonnance sur la radioprotection, le travail à domicile n’est plus autorisé et les entreprises sont mieux contrôlées. La SUVA jouait le rôle d’autorité de surveillance. «Trente-trois entreprises étaient déclarées. Nous pouvons donc imaginer que 300 personnes posaient de la peinture luminescente au radium», estime Michel Hammans.

Pour obtenir l’autorisation d’exercer, il fallait désormais mettre en place «des mesures techniques, comme la ventilation du lieu, des mesures organisationnelles, dont l’information des collaborateurs, et des mesures personnelles, tel qu’un contrôle médical régulier», détaille-t-il. Avant cette date, rares sont les docteurs qui se sont intéressés à la santé de ces femmes.

L’un d’entre eux est le docteur biennois François Favre. Pionnier de la dermatologie du travail, il a documenté le travail de ces femmes à domicile, ce qui lui a valu quelques robustes inimitiés dans le milieu industriel. En 1959, il est le premier à signaler des cas de radiodermite sur les doigts des ouvrières. D’après ses observations, c’est le majeur, le doigt qui frôle le godet de l’ouvrière lorsqu’elle prélève de la poudre, qui est le plus touché. Chaque ouvrière utilisait une lampe frontale et «c’est pour cette raison que le godet et les cadrans doivent se trouver dans le même champ visuel», écrit-il dans son rapport. La faible distance godet-cadran favorisait le contact direct et donc l’apparition de lésions cutanées après cinq à sept ans de travail.


Leur corps s’est habitué»

Maurice Cosandey, ancien chef du Service de contrôle des irradiations du canton de Genève, a également rencontré une centaine de ces ouvrières dans les années 1970 pour mesurer et comparer leur taux de radioactivité. «Elles travaillaient toutes à domicile et avaient aménagé un petit bureau dans un coin de leur appartement sur lequel elles posaient leur matériel. Elles étaient lumineuses, mais d’une luminosité invisible à l’œil», se souvient-il.

Au cours de leur travail, ces femmes avaient absorbé des doses extrêmement élevées. «Deux d’entre elles avaient un cancer et l’une les os très fragiles, mais cela restait proportionnel à la population. Elles ont reçu de manière diluée sur toute leur vie des doses plus grandes que ce qu’il a fallu pour tuer une personne à Hiroshima. Le corps s’est semble-t-il habitué, car elles se portaient bien dans l’ensemble», se rappelle-t-il avec étonnement.

Ces ouvrières ingéraient de petites quantités de radium en affinant la pointe de leur pinceau avec la commissure des lèvres. «L’ennui, c’est que le radium est radioactif pendant plus de 2000 ans et il se fixe sur les os dès qu’il est absorbé par voie orale. Il a la même réaction chimique que le calcium et le corps humain ne les distingue pas. Ces ouvrières étaient devenues radioactives», explique-t-il.

Des femmes lui ont confié avoir mis de la peinture au radium sur les murs de leur appartement, sur les cheveux des poupées ou sur les interrupteurs. «Des appartements et objets sont donc radioactifs en ce moment. A l’époque nous l’avions signalé, mais personne n’avait réagi.»

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https://www.letemps.ch/suisse/radiumineuses-petites-mains-radioactives-lhorlogerie-suisse

Très bon article ! Totalement flippant et qui fait une très bonne synthèse de la réalité suisse du radium.  En France, il faudra un jour regarder du coté de ce qu'étaient les réveils Bayard.

Citation :

La première utilisation officielle du radium dans l’horlogerie suisse est datée du 9 novembre 1918: une facture, émise par l’entreprise familiale Monnier-Radium, qui fait de cette société la première du pays spécialisée dans la pose de peinture luminescente. Elle faisait travailler une quinzaine d’ouvrières dans son atelier de La Chaux-de-Fonds.

Par contre il y a une erreur manifeste sur un détail qui place en 1918 la première montre suisse au radium. On retrouve des traces dès 1913. Il faudrait regarder du coté de chez Barbezat Baillot (devenu Le Phare).

J'ai des documents très officiels  qui font état de cette fabrication bien avant novembre 1918 en Suisse. Ces documents militaires sont sans appel. La fabrication de ces montres y compris bracelet démarre en 1913 sans aucune précaution partout en Suisse … Tout le monde s'est mis à peindre du radium sans discernement. En 1918, il y a déjà des précautions mais nombre de maisons prenant connaissance des dégâts commencent à se méfier et à sous-traiter.  Certaines dissimulent leurs archives.

Cette montre par exemple …

1915

La date du journal est visible sur celle-ci

ZEN a écrit:

1915

Avec le recul le "Pour sa sécurité" ne manque pas de sel...

Merci pour le partage. Vraiment édifiant, et en même temps révélateur du long moment nécessaire pour comprendre les implications des nouvelles technologies. Dans le même registre, le haut-commandement US avait envisagé de bombarder à l’atome les plages japonaises puis de débarquer les troupes, avant de se raviser bien heureusement.


Et maintenant? Est-ce que dans cinquante ans, on se rendra compte que les smartphones qui nous entourent étaient en fait terriblement néfastes ? On aura droit à des excuses et des ‘on fera attention maintenant’.

Savons, crèmes, boissons, vêtements, montres... Incroyable d'imaginer ça aujourd'hui quand on connait les effets néfastes de la radioactivité. 

A préciser quand même que les dangers pour le propriétaire d'une telle montre sont minimes à courts termes (bien qu'aucune exposition ne soit anodine). Les doses mises en jeu sont très faibles et la radiotoxicité est difficile à évaluer à cette échelle.

Citation :

Et maintenant? Est-ce que dans cinquante ans, on se rendra compte que les smartphones qui nous entourent étaient en fait terriblement néfastes ? On aura droit à des excuses et des ‘on fera attention maintenant’.

Difficile de prévoir des dégâts avant d'en avoir constaté. Marie Curie aurait probablement pris plus de précautions si elle avait su...

Citation :

Utiliser du radium au quotidien n’est pas sans risque. Et pourtant, il semble n’y avoir eu aucun cancer ou décès recensé de femmes ouvrières suisses. «Les statistiques des maladies professionnelles de l’époque tenaient compte de l’ensemble des rayons ionisants alpha, bêta, gamma et des rayons UV sans les dissocier – le radium 226 est un émetteur alpha. Il n’est donc pas possible de dire combien de personnes ont été touchées par une maladie professionnelle liée à la peinture au radium», soutient Michel Hammans, expert en radiations de la SUVA.

Le radium suisse serait donc neutre:Vx¤*: .

Razgriz a écrit:

Et maintenant? Est-ce que dans cinquante ans, on se rendra compte que les smartphones qui nous entourent étaient en fait terriblement néfastes ? On aura droit à des excuses et des ‘on fera attention maintenant’.

On sait déjà, et depuis plus de 15 ans, que les ondes téléphoniques sont néfastes si les émetteurs sont trop près du corps et l'exposition régulière. Les constructeurs, sous la pression de quelques scientifiques et d'associations, ont proposé le DAS il y a plus de 10 ans, mais l'on sait également que les valeurs sont pipeautées. Tout ça est librement disponible sur le net, contrairement au XXè siècle. 

Sinon, pensez vous que cette montre puisse émettre des rayonnements? Omega de 1915, aucune luminescence nocturne.  N'étant pas sur de son innocuité, elle est dans les tréfonds d'un sous-sol bancaire. Si quelqu'un à un compteur Geiger, je suis preneur !

Comme pour les oubliés de l'amiante, une pensée pour toutes ces ouvrières de l'horlogerie contaminées au fil des ans...

Merci pour le partage.

Article très intéressant. 

J’ai eu la même réaction que ZEN au sujet des différences entre les effets du radium aux États-Unis et en Suisse. C’est un peu comme avec Tchernobyl : les nuages auraient contourné la France, enfin... il semblerait. 

Je me souviens d’un sympathique vendeur de montres vintage, on prenait une tasse de thé à l’occasion d’une transaction, on se met à parler des montres des années 30-40. Je dis quand même de faire gaffe avec certains modèles radioactifs :
- C’est vraiment dangereux ?
- Oui, c’est dangereux vu que la radioactivité est suffisante pour contaminer un coffre voir une pièce entière et que la radioactivité persiste très longtemps
- Je vais faire gaffe alors, j’en ai eu eu dans le passé et comme j’ai un gosse chez moi...

Je précise qu’il n’avait pas l’air de simuler sa surprise. Le scandale des radium girls et de son emploi même après que sa dangerosité fut démontrée n’a pas atteint les oreilles de tout le monde. J’en vois encore en vente régulièrement...

Un bon rappel.

Sinon, pour ma part, esthétiquement, je n’aime pas du tout ces grosses marques de radium sur une montre, je comprends que c’est pour que cela soit bien ultra visible mais je trouve cela assez moche en plus d’être dangereux.

marmoot a écrit:

On sait déjà, et depuis plus de 15 ans, que les ondes téléphoniques sont néfastes si les émetteurs sont trop près du corps et l'exposition régulière. Les constructeurs, sous la pression de quelques scientifiques et d'associations, ont proposé le DAS il y a plus de 10 ans, mais l'on sait également que les valeurs sont pipeautées. Tout ça est librement disponible sur le net, contrairement au XXè siècle. 

Sinon, pensez vous que cette montre puisse émettre des rayonnements? Omega de 1915, aucune luminescence nocturne.  N'étant pas sur de son innocuité, elle est dans les tréfonds d'un sous-sol bancaire. Si quelqu'un à un compteur Geiger, je suis preneur !

J'en ai un 
Ce n'est pas parce que la montre n'est plus lumineuse qu'il n'y a pas de risque. Le radium à pu irradier la montre qui reste radioactive.
Il vaut mieux ne pas l'ouvrir 
MP si tu veux m'apporter ta montre pour la mesurer

Par déformation sans doute, je regarde tout ce que cette étude et cet article ne nous disent pas. A partir de quand les Américains ont-ils su que le radium posait problème. L'article mentionne 1924 et l'alerte donnée par un dentiste.

https://forumamontres.forumactif.com/t117629-les-radium-girls-victimes-de-l-industrie-horlogere

https://sites.google.com/site/hourconquest/les-histoires-de-l-horlogerie

La réalité de la connaissance des dangers du radium est antérieure. On a identifié dès 1919 des maladies inexpliquées sur les ouvrières. Brûlures, eczémas, maladies de peau, éruptions cutanées inquiètent les médecins américains. Il est logique que le sujet soit davantage connu aux USA car les ouvrières y travaillent en usine sur des lieux uniques quand la Suisse dissémine encore sous forme de travail à domicile ce poison pour le faire appliquer sur les cadrans des montres. Comment aller rechercher des typologies de maladies si les patients sont un peu partout mais nulle part en particulier.

Durant la guerre, les Américains sont à partir de 1916 parfaitement au fait des difficultés posées par le radium et l'armée américaine va faire réaliser ses montres par les Suisses pour les Corps of Engineers et les signal corps.  Non seulement cela va accélérer les livraisons mais l'industrie horlogère américaine aurait eu les moyens de fournir les montres et ce d'autant que le nationalisme américain savait s'exprimer haut et clair en interdisant les montres suisses sur le territoire américain. Les Suisses devaient donc au moins emboiter leurs mouvements et cadrans aux USA.

Ce protectionnisme forcené va comme par hasard ne pas concerner les montres militaires au radium. L'armée américaine qui a besoin de ces montres lumineuses va les faire réaliser en Suisse au mépris des connaissances sanitaires déjà connues aux USA. Les volumes de montres livrées par milliers justifient de faire réaliser par d'autres ces montres avec du radium.

Les cahiers des charges des armées mentionnent clairement la luminescence des montres. Les manufactures suisses dès 1916 font réaliser ces cadrans et peindre ces aiguilles empoisonnées à domicile par des mères de famille sans se poser la moindre question.

Il y a clairement un intérêt à exposer que ces fabrications n'auraient commencé qu'en novembre 1918 mais c'est faux, archi faux. Il y a bien eu des livraisons de peinture au radium à partir de 1913 et le doute est permis sur la provenance justement à la fin de la guerre. Une question se pose tout particulièrement : les Américains ont-ils importé en Suisse la peinture au radium qu'ils répugnaient à utiliser en Amérique.

La mission américaine où étaient livrées nombre de montres pour l'armée US était à ...Berne à deux pas de l'université qui a mené l'enquête et produit cette étude en mars dernier.

Si comme le prétend l'étude et le reproduit l'article, les premières factures de peinture au radium datent de novembre 1918, pourquoi en mai 1918 de grandes marques signent des contrats avec l'armée américaine ? Que l'on ne me dise pas que c'est faux, j'ai les scans de ces contrats.

Il y a eu à l'époque une énorme négligence des Suisses qui n'ont vu que l'intérêt économique de ces commandes tout comme certaines maisons fabriquaient en masse des obus avec du laiton horloger. Il faut avoir conscience que certaines maisons étaient devenus des consortiums d'armement. Les chiffres d'affaires (ceux de 1918 n'ont pas été détruits à l'image de ceux de la seconde guerre mondiale) ont explosé pour certaines maisons alors dans tout cela la santé d'une jeune mère de famille qui n'était même pas employée de l'entreprise ne pesait pas lourd.

Les cancers ont été attribués à d'autres causes mais ces femmes méritent bien que la vérité soit racontée un siècle plus tard. C'est sans aucun doute entre 1913 et 1925 que le pire fut commis pour des livraisons de gros volumes. La période avant 1918 est édifiante et doit aussi être mise en lumière.

Cela me paraît tout simplement effarant et écœurant : déplacer le problème dans les domiciles de mères de famille pour ensuite dire que les maladies ne peuvent pas être causées par l’environnement professionnel d’un atelier horloger...

Notre monde n’est pas celui des bisounours mais là c’est complètement scandaleux.

N'y aurait-il pas matière à une recherche approfondie, donnant sur un article de presse ?

J'ai depuis des années de quoi produire ce type d'article mais faire le procès un siècle après des marques qui ont distribué des montres au radium n'a pas de sens et puis, rien que pour contester ici les dires d'une étude universitaire manifestement incomplète, je serai sans doute brulé en place publique.

La question est sans doute de savoir qui veut la vérité et qu'en faire ? ...

Il ne s'agit pas de faire un procès à mon sens, mais d'établir une vérité historique. A priori, l'enjeu est de découvrir si oui ou non, les directions des marques connaissaient la dangerosité du radium et exposaient sciemment les ouvrières. Le lien radium / maladie semble établi (et encore), c'est donc l'idée de responsabilité qu'il faut prouver... Et c'est certainement encore plus difficile.

Admettons que responsabilité il y ait. Il est certain que ça ferait du bruit, mais combien de révélations historiques en ont justement fait, du bruit? Les chercheurs s'exposent, ça hurle à droite à gauche, et ensuite, tout le monde reconnaît l'apport de la découverte. Les sciences humaines avancent rarement en faisant plaisir aux sujets qu'elles étudient.

Quant à ceux qui veulent la vérité, je pense que les victimes mortes ou vivantes ont droit d'être reconnues. Ca ne les ressuscitera pas / ne les guérira pas, mais leur mémoire sera sauve.

Par ailleurs, je ne sais même pas si, juridiquement, une marque de 2018 puisse attaquer quelqu'un qui prouve un fait commis par la même marque en 1913...

L'atteinte à l'image n'aurait pas d'âge sans doute mais tout dépend de la manière dont les choses s'expriment. Les Suisses se satisfont de l'étude bernoise. Les 5 ans avant 1918 sont fondamentaux pour comprendre comment le danger s'est installé davantage par ignorance suisse et laxisme que par volonté de laisser les gens dans un risque sanitaire avéré.

Pour comprendre l'histoire de l'horlogerie suisse, il faut regarder l'horlogerie américaine.  Des deux cÖtés, on se haïssait cordialement à coup d'échanges par presse interposée et de décrets et règlements interdisant les importations.

Je peine à croire à l'ignorance des Américains qui firent faire des volumes de montres au radium en Suisse. Les Suisses sont-il prêts à admettre qu'ils se sont faits berner (sans jeu de mots). Il est certain qu'on pourrait soulever une montagne en regardant les choses ouvertement.

ZEN a écrit:

En France, il faudra un jour regarder du coté de ce qu'étaient les réveils Bayard.

broncos a écrit:

Comme pour les oubliés de l'amiante, une pensée pour toutes ces ouvrières de l'horlogerie contaminées au fil des ans...

Tout le monde dans le département (en tout cas le pays de Caux) est au courant pour Bayard. Des articles paraissent dans la presse locale de temps en temps...

Les dégâts causés par Bayard ont touché les ouvrières, mais aussi les générations suivantes tant le site est contaminé. Après la cessation de l'activité, il n'était pas protégé et les gamins des environs allaient s'y amuser...

Merci pour ce sujet, cela m'a poussé à passer une petite vieille sous une lampe UV, résultat ca brille fort:

On parle d’émetteurs d'alpha. La portée est très réduite, de l’ordre de quelques centimètres, et c'est arrêté par la moindre matière, mais par destruction et activation de celle ci. Impossible que cela soit passé inaperçu. Les effets peuvent se voir en quelques jours voir quelques heures sur tous ce qui est a proximité immédiate, comme un cadran envoyé sous emballage papier déjà cramé en face des index a la réception.

On a clairement joué sur l'ignorance et le manque de clairvoyance pendant des décennies.
Il y a également eu une certaine forme de bêtise, il faut bien l'admettre. La encore, les effets ne pouvait qu'être constatable sur les ateliers, les outils, et tout l'environnement de ces matières.
Les producteurs de ces matériaux ne pouvaient que savoir...

...toujours pareil, c'est nouveau donc ça peut se vendre. La question de la dangerosité ne se pose pas.
Et comme il y a du pognon en jeu.

Aujourd'hui on sombre dans l'excès inverse. On condamne toute une zone sous caisson et ventilation pour changer un carreau de carrelage dont le joint contient potentiellement de l'amiante.
Le danger était un business, aujourd'hui c'est la sécurité.
Les temps changent... tant mieux pour notre santé, tant pis pour les devis.