La Saga de la précision - Episode 5 - La fin des concours
L'arrêt de mort des concoursA partir de 1966, les concours de chronométrie des observatoires suisses commencent à ne plus vraiment ressembler à ce qu'ils furent. Depuis déjà longtemps, des modifications du règlement en réécriture des conditions des tests, la tendance est à tenter de maximiser le nombre de récompenses afin de continuer à stimuler les marques à participer à ces concours et surtout à innover au plan technique pour faire évoluer la précision des montres.
L'un des chronométriers les plus actifs pour faire bouger les choses en maintenant une valeur scientifique aux concours est sans doute René Gygax, responsable du bureau de chronométrie chez Zenith. Il est excédé par les atermoiements des organisateurs qui voudraient ménager tout le monde et admettre la comparaison de pièces qui n'ont rien à voir entre elles. Le quartz est notamment un sujet de discorde. En 1968, il écrit un courrier très argumenté au canton de Neuchâtel pour expliquer pourquoi Zenith ne participera plus aux concours. C'est un coup de tonnerre qui va purement et simplement entrainer la fin des concours y compris à Genève.
René Gygax à l'établi C'est dire le poids qu'a encore une maison comme Zenith en 1968 au sein de l'horlogerie suisse.
Mais alors sans les concours, comment savoir qui fait des montres précises ?
Les concours ne vont donc plus attester de la supériorité de telle ou telle maison. Les fabricants n'auront plus que les bulletins de marche puis les bulletins du COSC pour attester de la précision de leur montres et de leur qualité de chronomètre.
En 1910, Georges-Favre Jacot alertait les autorités suisses sur l'utilisation du nom de chronomètre sur les cadrans pour n'importe quelle tocante de petite qualité. Le COSC fut créé en 1973 après avouons-le 5 ans d'atermoiement… Le COSC raconte lui-même son histoire …
Le COSC - Citation :
- Créé en 1973 par cinq cantons horlogers (Berne, Genève, Neuchâtel, Soleure et Vaud) et par la Fédération de l’industrie horlogère suisse FH, le COSC regroupe des laboratoires établis à l’origine indépendamment, cela dès la fin du 19ème siècle : le premier « Bureau de contrôle des montres civiles » avait été établi à Bienne en 1878 déjà.
Avant 1973, les cinq cantons horlogers avaient un ou des « bureaux d’observation », établis soit dans des écoles d’horlogerie, soit dans des écoles d’ingénieur, qui évaluaient la qualité des objets horlogers en fonction de multiples critères, lesquels pouvaient différer d’un canton à l’autre.
Au début des années 70, face entre autres à l’absence d’unité de doctrine et de solidarité des BO, à la menace sur le statut officiel de ceux-ci, la Commission d’inspection centrale des BO proposa la création d’une Commission réunissant les 5 cantons abritant les BO, la Chambre suisse de l’horlogerie et la FH. Démarche qui aboutit avec succès à la création en 1973, à La Chaux-de-Fonds, du « Contrôle officiel suisse des chronomètres ». Le COSC est depuis cette date une association à but non lucratif reconnue d’utilité publique, au service des marques horlogères suisses.
Alors que les cinq cantons conservent un certain nombre de prérogatives (notamment une présence majoritaire au sein de l’assemblée générale de l’Association), les objectifs des marques dépositaires sont atteints : la similitude des conditions d’observation et l’unification des tarifs. Et cela quelle que soit la quantité de pièces déposées, qu’une marque soumette au COSC 100.000 instruments ou un seul, le prix à la pièce sera le même.
A l’origine, le COSC gérait sept bureaux d’observation (BO). Au fil des décennies, l’entité s’est simplifiée pour aboutir en 2013 à une structure comportant trois bureaux d’observation situés à Bienne, au Locle et à Saint-Imier
https://www.cosc.swiss/cosc-du-passe-au-present/notre-histoire
J'avais interviewé son directeur en 2007, Pierre Yves Soguel aujourd'hui décédé … Certains propos aident à mieux comprendre l'activité et le fonctionnement du COSC qui ont changé. L'observatoire de Besançon est en revanche devenu très actif et délivre des certificats à la "Vipère" qui portent sur des montres terminées …
https://forumamontres.forumactif.com/t23463-interview-de-pierre-yves-soguel-directeur-du-coscLes tentatives de concours portées par le musée du Château des Monts ont tourné au fiasco. Le nombre de participants est si réduit qu'il n'est pas représentatif de l'industrie et finalement ce qui était une bonne idée au départ, idée que je revendique, n'a pu être correctement développé tant la baronnie horlogère est encore présente sur le sujet des concours. Tissot porteur de mouvements ETA y fait sensation avec un calibre à 80 francs, c'est dire si cela soutient l'industrie horlogère. ..
Faute de communication efficace et de dynamisme opérationnel, ces concours "modernes" sont restés insignifiants.
L'industrie n'est plus la même qu'en 1968. Les marques sont pour la plupart propriété de groupes qui recherchent des synergies et non des modes de concurrence entre marques d'un même groupe. En 1969, Zenith et Tag Heuer était des adversaires. Aujourd'hui ce sont des alliés au sein de LVMH. Longines et Omega étaient les marques les plus en guerre et ce sont aujourd'hui deux entités de SwatchGroup qui se complètent, etc …
Et la précision alors ? La précision est devenue une norme, celle du COSC que certaines maisons complètent par une norme interne associée à des tests (1000 heures chez JLC, un test interne chez Rolex pour déboucher sur une dérive de -2/+2 sec par jour) mais il faut admettre qu'entre les caractéristiques trop laxistes du COSC qui ne peut venir au -2 / +2 sans perdre ses autres clients et l'évolution des techniques de fabrication qui intègrent le silicium et des composants qui favorisent la précision, le consommateur est un peu égaré faute de véritable norme sur "l'ultra-précision". Aucun organisme ne s'avère capable de fédérer les marques pour édicter une nouvelle norme et les débats sont concentrés depuis plus de 25 ans sur le Swiss Made qui lui-même reste un serpent de mer…
Du coup, la précision est essentiellement aléatoire pour la plupart des fabricants même si certains s'engagent sur un résultat. Beaucoup ne sont engagés par rien et livrent des montres assez approximatives dotées de calibres d'origines diverses parfois sans que le consommateur ne soit conscient de l'imprécision de la montre qu'il a acquise.
Au delà de la période de garantie, la précision annoncée par le fabricant n'est plus elle-même garantie de sorte que ce dernier devra payer pour refaire placer sa montre dans un réglage qui restera aléatoire. Le client exigeant qui fait de la précision sa priorité, pourrait bien n'avoir comme issue que le choix d'une montre radiopilotée ou de son téléphone… Bien sur, certaines maisons proposent des quartz de haute qualité comme Longines vient d'en ressortir mais la précision annoncée à 2 ou 3 secondes par an est d'un intérêt réduit quand une montre radiopilotée ne dérive que d'une seconde tous les siècles…
La bataille de la précision est devenue dans l'industrie horlogère exclusivement une guerre marketing, une guerre d'image mais assez éloignée finalement de la logique normative que les observatoires portaient. Il faut toutefois noter que certaines maisons comme Omega ont une activité professionnelle de chronométrage notamment sportif et que c'est une branche complète de leur domaine commercial.
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