La saga de la précision - Episode 6 : La victoire du quartz
Une guerre helvético-nippone Dès le milieu des années 1960, l'industrie suisse voit arriver du Japon, une nouvelle technologie dite à quartz. Les Suisses se sont déjà fait "griller" par le français LIP sur les montres électro-mécaniques en 1952 à peu près en même temps que Bulova imagine son système Accutron qui sera commercialisé bien plus tard.
https://forumamontres.forumactif.com/t114662-la-vraie-histoire-de-la-lip-nautic-skiCette fois, les Suisses veulent devancer l'évolution de l'horlogerie, une évolution qui sera en réalité une véritable Révolution. Les Suisses ne négligent pas l'intérêt du quartz mais en négligent l'ampleur des conséquences sur leur industrie fétiche. Il n'est guère qu'Omega toujours en pointe des technologies innovantes qui consacre un budget conséquent à la recherche et au développement de ses propres produits avec la 300 hertz et le Mega-quartz, F 2.4 MHz.
Le produit est un succès et la précision est au rendez-vous malgré une fragilité technique et avouons-le un taux de retour au SAV plus conséquent que les mouvements mécaniques. Les modèles Constellation d'Omega à quartz aussi élégants que les versions mécaniques séduisent. Ici, plus besoin de remontage ou de contrainte de porter sa montre sans la laisser plus de deux jours à peine de la retrouver à l'arrêt. Seiko présente dans le même temps son module Astron.
Module Seiko Astron 1969 Bulova avec son Accutron connait aussi un vrai succès et une précision, au moins quand la montre est neuve, assez bluffante. La première Accutron est produite en 1960. C'est la première montre électrique à diapason, une révolution technologique venue des USA mais inventée par un Suisse ! Son inventeur, Max Hetzel, né à Bâle, avait rejoint Bulova en 1948. Propulsé par un transistor et un oscillateur électronique, l'Accutron est la première « montre électronique ». Plus de 4 millions de pièces furent vendues mais la production subit elle aussi l'assaut du quartz et s'arrête en 1977.
Le quartz est un raz de marée pour l'horlogerie car il offre la précision et la désinvolture d'un porté quand on veut, sans aucune contrainte. Mais attention, tous les quartz ne sont pas égaux. Certains dérivent comme ces quartz chinois des années 1980/1990 qui peuvent avancer de 8 ou 10 secondes par jour ! L'argument porté par l'industrie horlogère suisse ne semble pas sérieux car même avec ces résultats, la précision est supérieure aux montres mécaniques.
Publicité Seiko vers 1970
Les maisons qui se sont faites une image de gardien du temps sont à genoux. Breitling, Ulysse Nardin sont au bord du gouffre et le personnel est licencié. Au début des années 1980, on les croit perdues ! Ulysse Nardin va même jusqu'à revendre à des récupérateurs ses étampes et machines. Chez Zenith, le propriétaire américain demande la destruction des machines… On se demande au conseil d'administration de Zenith s'il ne faudrait pas devenir une marque bon marché vendue dans les bureaux de tabac…
La précision passe par la fraction de secondeAlors que le dixième de seconde s'est intégré aux mécanismes des montres, le quartz qui offre le centième de seconde semble avoir gagné la bataille. Le quartz a surement gagné la bataille mais pas la guerre. Les Suisses se mettent à fabriquer des modules à quartz via Ronda (futur élément de SwatchGroup). Ces montres à quartz sont précises, plus précises que les montres mécaniques mais elles ne sont pas infaillibles. Les batteries ont une durée de vie assez courte au moins au début et il faut donc les ouvrir pour changer la pile… L'étanchéité rarement refaite par les bijoutiers conduiront des dizaines de pièces à la noyade.
Swatch arrive sur le marché avec des quartz assez précis et va créer un engouement autant par le fait que ces quartz sont suisses que par la dynamique des designs des modèles. En outre, le changement de pile est sécurisé et accessible à chaque possesseur de la montre. Le quartz remporte ici une seconde bataille. Il est bon marché, à la mode et fiable…
Publicité Bulova 1968 La précision est encore une fois au rendez-vous ! Ces Swatch sont diaboliquement précises. La montre mécanique va pourtant profiter de l'élan donné par Swatch qui joue dans sa communication sur l'origine suisse du produit. Cela redonne un intérêt à la montre suisse qui historiquement est mécanique. Les années 1990 voient timidement revenir les montres mécaniques aux poignets et les investisseurs s'intéresser aux maisons horlogères. La montre sera un luxe, la montre mécanique sera un accessoire incontournable du luxe.
ETA toujours ETA... Du coup, les marques produisent avec les mouvements disponibles des montres dont le succès implique de ne pas regarder plus loin que le carnet de commandes. ETA est le fournisseur de mouvements et personne ne se pose de question. Après tout SwatchGroup est un partenaire puissant qui maitrise parfaitement la technologie de fabrication des mouvements. ETA débite des volumes considérables de mouvements et les marques emboitent au même rythme parfois en retouchant le réglage, parfois sans même y exercer le moindre contrôle. Les mouvements manipulés terminent dans des pièces qui dérivent parfois de près de 30 secondes par jour et souvent d'une quinzaine de secondes. Les justifications pour démontrer que 15 secondes est un score de haut niveau pleuvent partout mais sans convaincre.
Les clients admettent mal payer plusieurs milliers d'euros des montres peu précises. La fin de la première décennie du 21ème siècle voit naitre une nouvelle exigence des consommateurs qui ne veulent plus de montres à 15 ou 20 secondes près par jour. Si le quartz a bien gagné sur ce point, il faut alors réduire l'écart et proposer des mouvements plus précis. L'arrêt des livraisons de calibres par Swatch Group va booster l'effort créatif des marques qui multiplient les calibres "Maison" ou exclusifs. Mais la précision reste un vrai sujet pour des mouvements entièrement nouveaux qui n'ont pas encore eu le temps de vieillir et d'offrir aux concepteurs le retour nécessaire à l'appréciation de leurs qualités.
Les mouvements ainsi sortis ne sont pas plus précis que les calibres de grandes séries de chez ETA qui de son côté travaille autant sur les échappements de nouveaux mouvements que sur la durée de leur réserve de marche. Le groupe sort des calibres réglés à 3 secondes par jour et avec 80 heures de réserve de marche. La maison trace ainsi l'avenir de ce que sera l'horlogerie mécanique : Une réserve de marche allongée et une précision proche du quartz dans des montres à moins de 700 euros.
Calibre Powermatic de ETA pour Hamilton et Tissot
La Powermatic de Hamilton est un signe d'avant garde de l'horlogerie du futur… Un pari industriel et aussi une qualité de visionnaire propre à SwatchGroup mais l'horlogerie lance d'autres signes. Zenith avec son chrono au centième de seconde ou sa Defy Lab est dans une créativité technologique intense. Les réserves de marche de 10 jours d'Oris, ou les innovations de Panerai sont autant de pas avancés vers ce que sera notre horlogerie de demain mais ne nous y trompons pas, l'horlogerie de demain sera avant tout celle qui se vendra. Rien ne dit que la précision sera encore un critère et que la qualité mécanique et esthétique ne seront pas fondateurs du choix des consommateurs.
En la mécanique, espoir tu garderas (Yoda 1977) Si l'on considère que le quartz a gagné sur le terrain de la précision et de fait, il se rapproche pour les meilleurs quartz de celle-ci, il est matériellement et physiquement impossible d'aller beaucoup plus loin pour une montre ne faisant pas recours à l'énergie électrique. Les efforts potentiels futurs pour améliorer la précision risquent donc de placer la seconde à des milliers d'euros de plus que les -2/+2 secondes aujourd'hui admis comme excellents. Il n'est qu'une chose que le quartz ne ravira jamais aux montres mécaniques, c'est la beauté de la symphonie des pièces qui s'engrènent sans que le devenir de la montre ne soit suspendu à l'échéance de l'usure d'une pile ou d'une batterie.
Forumamontres - Droits Réservés - Joël Duval - août 2018