Cette histoire se passe sur un quai de gare, un banal quai de la gare Montparnasse le 1er juillet 1965. La locomotive à vapeur du train pour les Sables d'Olonne transpire déjà la graisse et sur le quai chacun porte sa valise pour la simple raison que les valises à roulettes ne sont pas encore dans la bagagerie des familles. Les Plantier, c'est leur nom, sont quatre. Deux garçons de 6 et 14 ans portent chacun une petite valise à leur dimension et le père porte deux valises. La mère quant à elle porte un sac. Tous les bagages sont pleins à ras bord. Les Plantier partent pour un mois aux Sables d'Olonne. Les voitures sont divisées par compartiments de huit places et avec eux, une autre famille, les Borand, part vers la même destination ou presque. Le couple Borand a deux filles de 16 et 8 ans. Eux iront à Saint Gilles Croix de Vie car c'est un peu moins cher. Les valises sont hissées sur les porte-bagages et Gérard Plantier décide d'aller chercher un paquet de chips pour les enfants et une bouteille d'eau en verre car la gourde préparée par madame Plantier ne contient qu'un litre pour quatre et puis le sirop de menthe qu'elle met à l'intérieur donne des haut le cœur à tout le monde.
Gérard Plantier regarde l'heure sur sa Breitling. Le train part à 19h17 et la montre n'affiche que 19h08. Il descend donc du train et laisse la famille installée à bord. Le départ est dans 9 minutes, temps largement suffisant pour aller jusqu'à l'intérieur de la gare acheter quelques victuailles. Gérard Plantier et Louis Borand ont commencé à sympathiser en s'entre-aidant à porter les valises. Louis Borand a un peu d'embonpoint, il est essoufflé, gêné par la chaleur et la course qu'il vient de faire à pieds pour rejoindre la gare. Il emboite le pas de Plantier mais peine à suivre la rapidité de sa marche. Il achète 4 sandwichs pour la famille et une bouteille d'eau en verre car à l'époque point de plastique ou de canette. Tout le monde est un peu énervé, sous pression. Ce sont les grands départs, un moment intense de travail pour le personnel et un moment d'excitation euphorique pour les vacanciers.
Tranquillement, presque en conquérants, Gérard et Louis se dirigent vers le train mais il n'est plus là quand ils arrivent. Gérard compare l'heure de sa montre avec celle de l'horloge sur le quai et pas de doute, sa Breitling est précise. Inquiets les deux hommes se dirigent vers un employé de la gare qui ne sait pas pourquoi le train n'est plus là. Le haut parleur annonce le départ imminent du train .... Ce n'est pas possible ! Un autre employé explique que le train a changé de quai. Il est désormais de l'autre coté de la gare "mais il va falloir faire vite car il part !" . Les deux hommes sont déjà loin. Gérard a pris de l'avance. Louis fait ce qu'il peut. Il court derrière mais se retrouve vite distancé. La loco commence à vrombir. Gérard est sur le marche pied ... Un employé lui demande de monter et de fermer la porte. "Attendez ! Il y a encore un homme qui court vers le train ... " Louis est sur le quai. Le coup de sifflet n'est pas donné par l'employé qui concède quelques secondes pour que Louis puisse monter. Louis ressent une douleur dans la poitrine puis dans le bras et enfin un point dans le dos. A 10 mètres de la voiture, il s'effondre terrassé par un infarctus.
Gérard se précipite avec l'employé de la gare ... Louis est pris de convulsions... sa femme et ses enfants redescendent du train ... "Il faut que je donne le départ" dit l'employé. "Nos bagages !" hurle une des filles. Gérard court les chercher et les descend avec l'aide de l'employé de la SNCF. Les secours arrivent. Un médecin qui partait en vacances et a aperçu la scène tente un massage cardiaque. Le train ne part toujours pas. Le conducteur de la loco est descendu pour aider au cas où. "C'est fini " dit le docteur. "Le coeur s'est arrêté". Madame Borand et ses filles sont en larmes et totalement démunies. Les Borand arrivaient de Nancy et madame Borand n'a jamais pris le train toute seule et encore moins le métro. Et tous ces bagages ! Comment faire ?
Gérard est choqué. son épouse interdit aux enfants de regarder. Le coup de sifflet est donné à 19h 28... Le train part ... Gérard regarde sa Breitling ... Vive les vacances !
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).