Un café et l'addiction s'il vous plaît ?

Répondant à des étudiants qui m'ont interrogé sur la passion des montres et l'addiction qui peut en découler, voici ce que je leur ai répondu et que j'ai transcrit ici…

Citation :

S'il y a bien un domaine où la notion d'addiction prend toute sa dimension, c'est celui de de la collection des montres. L'addiction, c'est ce phénomène cérébral qui fait que l'on en achète une à défaut de pouvoir s'en offrir une autre et puis comme on la regrette, on finit par acheter celle qu'on aurait du prendre la première fois mais là, on hésite avec une troisième et, de fil en aiguille, on a tellement de montres qu'on loue un coffre à la banque puis deux puis trois et ainsi de suite. On n'a jamais assez de pièces et l'on devient insatiable. La passion vous a envahi avant même que vous n'ayez le temps de vous demander si tout cela est raisonnable.

Bien sûr, la montre n'est jamais achetée avec un souci spéculatif mais on aime se rassurer en se disant que "si jamais", par hasard, on revendait une montre, non seulement on ne perdrait pas d'argent, mais mieux, on pourrait en gagner. Comme peu de modèles prennent de la valeur et que les révisions coûtent cher, la revente se fait, dans 90% des cas, à perte et lorsque la chute est vertigineuse, l'amateur éclairé a toujours une explication rationnelle. "Sa frénésie d'achat irrationnelle a toujours un fondement de rationalité mais il n'est jamais très solide".

La passion est irrationnelle car elle compense en général un manque, une case vide dans la zone affective ou dans la reconnaissance de soi par les autres. "Je possède donc je suis…" Trouver un collectionneur raisonné est oeuvre vaine. Oh bien sur, on trouve toujours des gens exemplaires pour expliquer qu'eux n'ont jamais sombré et qu'ils ont ici 2 Seiko et là 1 Rolex mais soit ils ne sont pas de vrais sujets mordus par le virus de l'addiction, soit ils sont des repentis. Des amateurs qui ont été secourus par l'âme charitable qui a su les défier d'arrêter ou simplement un contexte défavorable qui ne laissait comme alternative que l'arrêt des soins ou l'envoi en terre inconnue.

L'addiction ne consomme pas, elle consume, elle brûle lentement les énergies, le compte en banque, le livret de la petite, les vacances insouciantes. L'addiction transforme la vie ordinaire en cauchemar et fait de la normalité un rêve inaccessible. Quand tout se transforme en montre, quand la conversation doit tourner exclusivement autour des montres, quand les amis sont eux aussi des passionnés, quand la page consultée des réseaux sociaux est forcément horlogère, quand toute aptitude à tourner la tête demande un effort surhumain, quand la dépense à faire dicte ce que sera la soirée, quand les autres ne vous voient plus que comme un sujet de débat, vous résume à n'être qu'un collectionneur, quand vos enfants ne portent plus le besoin de vous parler, quand la montre est plus soignée que sa conjointe et que finalement tout le reste n'a plus d'importance, alors là, là il est temps de se pincer, de se réveiller, de faire le geste qui va rendre à son cerveau les fluides affectifs et sentimentaux qui n'auraient jamais du s'en échapper.

L'addiction demande, pour être chassée, un effort sur soi-même, un dédoublement de la personnalité, une volonté sans faille comme on cesse de fumer ou de consommer des sucreries, de boire parfois. Ceux qui prétendent qu'il faut combattre le feu par le feu, une addiction par une autre n'ont rien compris à moins que le rien ne soit lui-même addictif. C'est en rendant à ses pensées, à son esprit ses capacités critiques et aussi celle à garder une curiosité polymorphe qu'on peut espérer revenir dans le monde des vivants, celui-où l'on est avec les autres et où les autres sont avec soi.

La plus belle des addictions est l'altruisme, l'amour du bon, du beau et de l'absence de valeur vénale donnée à des objets. Une sorte d'appréciation désintéressée des autres et de tout, pour finalement, ne céder à rien. C'est sans doute un discours de moine, mais les éléments matériels indispensables à notre épanouissement ne sont que des artifices, des trompe-l'œil, un écran de fumée qui nous sépare du miroir qui renvoie notre image, une image que l'on ne sait plus regarder en face. L'addiction est la fin du début, ou le début de la fin, c'est ce qui sépare l'homme de l'amour, le vivant du cadavre, la lumière de l'ombre.


Pourquoi dire tout cela ? La raison est simple, il faut savoir rester vivant et les montres n'ont jamais guéri qui que ce soit de l'égoïsme et de l'indifférence qu'il donne ou suscite. L'addiction finalement c'est un peu comme une drogue dure alors avant de sombrer, il faut apprendre à nager, à garder ses distances, son libre arbitre et ce sera comme cela que l'on deviendra un vrai passionné et non un cas pathologique.

Je trouve que c'est un texte extrême, aussi bien dans la folie du troisième paragraphe, que dans l'immense sagesse de l'avant-dernier. Donc peu de place à une passion raisonnée.

Pour ma part, je reconnais une addiction des 2-3 premières années de ma passion. Mais j'ai toujours eu des règles strictes : Ne jamais parler de montres dans la vraie vie, de garder cela par plaisir personnel, et échanger sur ce forum avec d'autres personnes qui partagent ce centre d'intérêt.

J'admets toutefois une lacune, c'est les vacances d'hiver en famille (6 personnes) sous les tropiques,... ça coûte une sacrée montre ! Alors je les avais remplacées par des vacances plutôt culturelles dans des grandes villes d'Europe, en voiture.

Mais ça n'a pas duré, la coupure hivernale est trop sympa (cette année ce sera l'Inde)

Et puis il y a un autre phénomène, c'est que je change peu souvent de montre (une fois toutes les deux semaines), alors quand j'avais 8 montres, c'était trop. J'ai décidé de revendre, d'acheter exactement celles que je voulais, et de ne pas m'en faire s'il ne m'en reste que 3 ou 4 à la fin. Je suis en ce moment en cure d'austérité, et ce qui m'étonne, c'est que même en vendant des montres qui m'ont beaucoup plu, il n'y a pas de sentiments, pas de regrets, c'est juste comme ça que ça doit se faire.

Donc oui, je reconnais qu'il peux y avoir addiction, mais généraliser un texte pareil à l'ensemble des passionnés de FAM, là je dis non, c'est trop extrême, quasi psychiatrique !

Les cinq premiers paragraphes du texte de Zen me semblent , au contraire , d'une totale lucidité et nullement excessifs .

Je n'adhère pas au dégagement sur l'altruisme , dans le paragraphe six , qui me semble un peu plaqué , comme s'il fallait , à tout prix , une note d'espoir .

Dans toute collection , il y a une part de folie .

Il est tout aussi " insensé " et futile de collectionner des fusils de chasse , des porcelaines , des timbres , des boites de bière , des poupées , des voitures anciennes , des coucous bavarois ...

Et l'addiction est partout : au sexe , à la boisson , au tabac , aux jeux , aux drogues , aux médicaments , au pouvoir .

Après , est-ce que cela indique , chez l'auteur , une remise en question de sa passion , un doute ?

Le temps retrouvé a écrit:

Et l'addiction est partout : au sexe , à la boisson , au tabac , aux jeux , aux drogues , aux médicaments , au pouvoir .

 
Une chose m'inquiète... On se connaît ? 

Pour le reste, je suis à peu près d'accord sur tout.
La prose de Zen me fait l'effet d'une synthèse par quelqu'un qui a amplement (et pour cause) fait le tour du sujet.

J'aime beaucoup ta plume en général mais je trouve ce texte vraiment excellent. Certes parfois extrême mais criant de vérité, il m'a beaucoup parlé en tout cas.

Merci 

Zen a écrit:

La passion est irrationnelle car elle compense en général un manque.
L'addiction ne consomme pas, elle consume.

C'est gai, dis-donc.
Je ne sais pas si elle brule le compte en banque, mais j'imagine que tu as de très jolies pièces, parfois achetées il y a longtemps à très bon prix, je doute que ce soit un mauvais placement.

Et puis sans passion, la vie serait ennuyeuse.

Ce à quoi un psy répondrait après un long silence :
- hmmm ?
...

sympa à lire

Je peux fort heureusement affirmer que je ne suis pas addict. Pourvu que ça dure 

Je n'ai pas l'impression de croiser beaucoup d'addicts parmi les passionnés que je croise IRL

Attention, il faut bien dissocier "passion" et "addiction".

Si on parle de notre "passion" des montres, je ne partage absolument pas l'analyse de Zen. Si en revanche on parle bien d' "addiction", au sens psychiatrie clinique du terme, alors je suis un peu plus d'accord. Mais franchement, une telle "addiction" aux montres, je ne pense pas qu'on en trouve beaucoup. C'est très marginal et n'a rien à voir avec, par exemple, l'addiction au jeu. Car pour qu'il y ait addiction, il faut qu'il y ait le goût du risque, une certaine mise en danger. Or pour l'acquisition de montres, on serait plutôt dans un achat compulsif qu'une addiction.

Et que dire du paragraphe sur l'altruisme, sinon qu'à mon sens il est aussi hors-sujet que tarte-à-la-crème ? On introduit un jugement moral dans une présentation qui se veut analytique.

Marion Cobretti a écrit:

pour l'acquisition de montres, on serait plutôt dans un achat compulsif qu'une addiction.

Je suis d'accord sur l'étonnement qu'on peut avoir quant au discours sur l'altruisme. J'ai écourté la version originale de mon texte et il y avait 2 paragraphes intermédiaires avant d'en arriver à cette construction.  J'ai préféré les censurer car il étaient durs à lire et faisaient référence à 2 personnes qui ont sombré plus que durement à cause de leurs addictions dont l'une aux montres.

Mon objectif n'était que d'alerter et d'inviter à prendre un peu de recul. Ce n'est pas autobiographique, je vous rassure et je ne subis pas l'horlogerie ! J'ai gardé le contrôle même si parfois je cède à la tentation ! Mais ce n'est qu'une concession à mes envies .

Je revois Alexandre23, car je ne suis pas en accord avec le texte de ZEN.
C'est caricatural et cela manque même quelque peu de modestie à mes yeux.
Bref, ce n'est pas le meilleur texte de ZEN que j'ai lu.

Je ne suis pas toujours d'accord avec Zen (même si je ne dis rien), mais là, je peux dire que c'est une description très exacte du collectionneur passionné.
Chacun y verra très clairement des degrés divers, voire certains seront évidemment des passionnés raisonnables, heureusement, mais, pour avoir connu un passionné addictif, c'est exactement ça, sans d'ailleurs avoir détruit sa famille ou son compte en banque.
Et le contraire de cette addiction, à défaut d'être peut-être l'altruisme, c'est à minima de se tourner vers les autres, tellement une passion addictive fini par couper des autres.
Pour répondre à Léopald, non, même de belles vieilles pièces ne valent finalement pas grand chose. Sans doute plus cher que la valeur d'achat de l'époque, mais jamais la richesse annoncé. Il faut collectionner les Picasso ou les mercedes E300 "papillon" pour qu'une vieille pièce prenne vraiment de la valeur. En plus, les "modes" de collections changent, et comme indiqué dans un autre article de Zen, les montres n'ont pas le vent en poupe, alors si elles sont vieilles...

Quand on a fait toute sa vie une collection, mieux vaut bien la choisir au cas où. Surtout si l'on souhaite qu'un héritier ou un passionné prenne la suite.

Ado je collectionnais les timbres, j'aurais du garder des pièces... Même les séries limitées ne valent rien (parfois même pas la valeur faciale de l'époque). Pourtant, à l'époque, mes achats m'auraient permis d'amasser quelques Louis d'or à la place de "papiers collants".