Je réservais cette histoire pour un article "presse" mais elle me séduit pour inaugurer 2020 … Je salue son inspiratrice !
Chaque été caniculaire fait oublier le précédent et imaginer que rien n'a jamais été pire que ce que l'on vit dans le présent. Pourtant, les saisons sont des phénomènes qui se répètent et les excès climatiques ont donné lieu au fil des siècles à des commentaires qui rapprochent leurs caractéristiques à l'apocalypse.
L'été 1934 fut en France une période caniculaire interminable avec des épisodes insupportables de juin à septembre où la température à l'ombre dépassait 35 degrés sur la quasi-totalité de la France et où les nuits ne rafraichissaient guère la journée.
Edmée a 24 ans en 1934, elle se marie le 17 février, un samedi, juste après la Saint Valentin, avec Paul, un ami de son père âgé de 46 ans. La différence d'âge heurte la famille d'Edmée autant que celle de Paul, un veuf désabusé qui est follement tombé amoureux de la jeune femme qui voue à la peinture une passion sans borne. Edmée et Paul ont longtemps caché leur relation mais le fait d'être tombée enceinte va accélérer l'annonce de leur relation. Paul est journaliste dans un grand quotidien. Il signe parfois des romans feuilletons sous un nom d'emprunt pour arrondir ses fin de mois.
Le 12 juillet 1934, Edmée alors enceinte de 8 mois s'effondre dans le salon de l'appartement qu'occupe le couple dans le 7ème arrondissement de Paris. Par chance, une femme de ménage vient chaque jeudi et découvre la jeune femme inanimée. Elle l'aide à retrouver ses esprits et comme elle refuse qu'un médecin soit appelé, elle appelle Paul à son bureau pour qu'il revienne. Paul jette un œil sur son chronographe de gousset et annonce à la cantonade qu'il repart pour l'accouchement de sa femme. Paul est en effet convaincu que sa femme va accoucher et qu'il y a une erreur quant à la date à laquelle elle est tombée enceinte. Pour lui, cela s'est produit à la mi-novembre 1933 et non à Noël.
Quand Paul arrive chez lui après avoir traversé Paris en métro en moins de 24 minutes, Edmée a à nouveau perdu connaissance. Toutes les fenêtres de l'appartement sont grandes ouvertes et la température dans le salon est de 31 degrés. Après avoir mouillé des serviettes, Paul rafraichit Edmée comme il peut et celle-ci revient finalement à elle. Le médecin appelé à la rescousse diagnostique un coup de chaleur. S'il n'est pas inquiet pour la mère, il l'est infiniment plus pour le bébé qu'il ne sent plus bouger. Il pose longuement son stéthoscope sur le ventre d'Edmée et livide, il préconise une hospitalisation immédiate. Edmée ressent des contractions que le médecin charge Paul de mesurer dans leur durée et leur écartement temporel.
L'ambulance toutes sirènes hurlantes est sur place très rapidement et Edmée est emmenée vers un hôpital parisien. Paul accompagne son épouse et lui tient la main tandis qu'elle hurle de douleur. Lors de l'arrivée à l'hôpital, une équipe de médecins prend la jeune femme en charge et le médecin dit à Paul "Je nous donne 15 minutes pour sortir de cette situation". Paul s'effondre sur un banc inconfortable situé dans le couloir non loin des blocs. Il sort son chrono de sa poche et le déclenche… Les minutes s'égrènent pendant qu'il guette le moindre son, le moindre mouvement et espère-t-il des pleurs de bébé. Le chrono a à peine franchi les 11 minutes qu'une infirmière en larmes sort du bloc.
De la porte entrouverte, Paul a entendu le médecin donnant des ordres. S'il donne des ordres pense-t-il, c'est que tout n'est pas perdu. L'infirmière repasse dans l'autre sens quelques minutes plus tard. Elle court avec une boite à la main. Les 15 minutes sont écoulées. Paul se lève comme pour aller réclamer à être informé. Il lui faut encore attendre 35 minutes de plus dans la chaleur du couloir et puis le médecin sort du bloc. Il a le visage grave … Paul tremble comme une feuille. "Je ne peux me prononcer avant demain" dit le chirurgien. L'enfant est vivant mais il a mis du temps pour respirer et son cœur battait beaucoup trop vite. Peut-être y aura-t-il des lésions mais c'est trop tôt pour le savoir. On verra dans 2 à 3 mois. Pour votre épouse, ce fut compliqué. Elle a perdu beaucoup de sang et ses jambes sont insensibles, non réactives. Cela arrive mais là, je ne sais pas. Il faut qu'elle se réveille et dans une heure, on saura plus ou moins mais il faudra 24 heures pour être certain." "Mais certain de quoi ?" demande Paul. "Nous saurons si elle a gardé l'usage de ses jambes"
Le bébé mal positionné, une déshydratation, un coup de chaleur, une constitution fragile et Edmée est dans cette situation incertaine. Paul vit le cauchemar qu'il a vécu avec sa première femme morte en couche avec le bébé. Il s'installe à l'hôpital et décide d'attendre sans sortir. Très vite, le médecin apporte des nouvelles rassurantes d'Edmée qui retrouve la sensation de ses jambes et qui ne nécessitera qu'une rééducation intense mais retrouvera 100% de son potentiel. Quant au bébé, il est devenu ingénieur diplômé de haut niveau et n'accusa aucun retard mental.
Il reste le chronographe ! C'est lui qui m'a permis de connaitre cette histoire quand la petite-fille de Paul m'a contacté après une recherche sur internet pour savoir où le faire réparer. C'est évidemment un Zenith. Un chronographe simple en métal blanc identique à celui-ci qui, lui, est en argent.
Le chrono n'avait en fait besoin d'aucune réparation mais avait besoin qu'on explique son fonctionnement. Cela m'a fait rencontrer cette personne qui m'a livré cette histoire. Paul et Edmée sont décédés dans les années 80 et 90, leur fils il y a 5 ans.
Le chrono a servi à Paul jusque dans les années 1950 puis est entré dans un tiroir d'où il sortait pour amuser sa petite fille ! Paul et Edmée avaient été traumatisés par cette histoire et n'ont à cause de cela jamais eu d'autre enfant. Paul, quelques mois avant sa mort a avoué que si Edmée était morte lors de la naissance, il n'aurait pas su vivre plus longtemps. Ils font partie de ces rares couples unis jusqu'au bout et soudés à jamais par un instant de leur vie...