A l'occasion de la nouvelle année, je vous propose de jeter un coup d'œil dans le rétroviseur de notre propre histoire vu sous l'angle horloger …
On sait ce que sont devenues les montres de nos aïeuls, en 1920 la montre bracelet "naissante" était minoritaire et nos ancêtres avaient des montre de poche dites de gousset. Les plus répandues étaient en acier bruni, en métal blanc et en argent. Les plus riches les possédaient en or avec des boites plus ou moins épaisses et lourdes. On pouvait encore, en 1920, composer sa montre à sa guise. Choisir une boite en or avec un mouvement entrée de gamme de 7 rubis ou une version en métal blanc avec un calibre de qualité chronomètre (on disait alors "avec bulletin de marche") et 23 rubis.
Cela renvoyait chaque client à sa propre définition de ce qu'est une belle montre. La montre était en 1920 un objet utilitaire, un instrument de précision et pas un bijou, pas un objet de luxe mais un instrument indispensable aux travailleurs qui devaient se "synchroniser" avec son emploi, ses collègues et son employeur. En 1920, on ne regarde plus l'heure sur le beffroi de la mairie ou le clocher de l'église. On détient individuellement l'heure et on règle sa montre sur le chronomètre de vitrine de l'horloger. La précision a changé de camp. L'heure précise et fiable n'est plus celle de la mairie ou de l'église, l'heure précise est celle que détient le spécialiste, l'horloger de la commune.
Les montres des années 20 sont aujourd'hui des reliques qui contentent des collectionneurs. Des marques devenues ou restées prestigieuses sont déjà celles qui occupent le terrain. La concurrence est âpre, dynamique. On se bat à coups de réussites aux concours de chronométrie des observatoires de Genève ou Neuchâtel en particulier. Les champions s'appellent Longines, Omega, Zenith, Ulysse Nardin et plus rarement d'autres marques. Donner le sentiment au public de l'excellence de la précision des montres est le message à faire passer. La publicité affiche déjà les performances comparatives des marques (jusque dans les années 60). Les innovations sont techniques plus qu'esthétiques car on considère que tout a déjà été inventé sur le plan du design. Les variables d'une maison à l'autre sont donc à la marge. Les montres d'hommes sont les plus répandues car les femmes portent encore peu de montres et leurs montres de col sont directement issues des montres d'hommes.
La montre de dames est, en revanche, plus fréquemment faite avec des métaux précieux et l'or jaune en particulier. Ces montres étaient incroyablement résistantes et précises. Les spiraux en acier sont toujours efficaces 100% après et peuvent toujours garantir des précisions chronométriques. Les cadrans en émail étaient insensibles à la lumière. Ce qui les abimait était les chocs physiques ou thermiques et pouvait les lézarder (l'expression du cheveu est assez réaliste), de même les horlogers qui voulaient les nettoyer à l'essence effaçaient du même coup la tampographie notamment des marquages en rouge des 24 heures qui ne résistaient pas à l'alcool ou l'essence. De même, en serrant trop les pieds de cadrans, les horlogers une fois sur deux créaient un éclat définitif sur les cadrans en émail. Les mouvements souffraient aussi du bricolage notamment sur les axes qui cassaient au moindre choc et qu'il fallait remplacer le cas échéant avec les pierres fendues lors du choc.
En 1920, on entretenait facilement sa montre chez l'horloger qui savait changer un ressort, démonter la montre, avait accès aux pièces de rechange et travaillait avec des équivalences quand il n'avait pas la pièce de rechange originale. Les maisons les livraient sans restriction. Une montre pouvait durer une vie mais la montre bracelet a renvoyé ces montres dans des tiroirs, au mieux. Elles n'avaient plus aucune valeur jusqu'aux années 1980 et n'intéressaient personne ou presque.
La montre bracelet relancée comme un objet de luxe a relancé les marques et les montres de poche qui portent les noms des marques en vogue sont du coup les bénéficiaires d'un regain d'intérêt. Une Omega de poche qui valait en 1985 50 francs vaut aujourd'hui 10 à 15 fois plus. Le prix excessif des montres neuves a relancé l'intérêt, la cotation des vieilles pièces. Malgré tout, la montre de poche reste un marché de niche et n'est pas appelé à prospérer pour aller vers de fortes valeurs. Les montres en or sont encore vendues au poids de l'or disponible. Ces montres sont peu "spéculatives". Leur production en très grands volumes, il s'en fabriquait 350 000 par an et par entreprise au début des années 1920, fait oublier la notion de rareté.
La montre de 1920 était d'une construction quasi-indestructible. Elle était fiable et précise, d'une esthétique commune à toutes les marques, d'un SAV accessible car de proximité. Elle était d'un prix accessible et ouverte à la possession de toutes les couches sociales. Elle était modulable et achetée pour longtemps sans perspective d'en changer souvent. La même montre servait à tout en toutes circonstances. Le chronographe de poche était quant à lui dédié souvent à l'utilisation d'une automobile dont il pouvait servir à mesurer la vitesse. Il y avait peu de fabricants de chronos, beaucoup de maison utilisaient des ébauches Valjoux pour équiper leurs chronos.
La guerre avait mis en place l'idée qu'une montre bracelet pouvait être virile. Cette idée allait révolutionner l'horlogerie en créant un nouveau besoin d'équipement. On ne le savait pas encore mais la montre bracelet à remontage manuel connaitra elle aussi une révolution avec l'émergence de la montre à remontage automatique qui touchera les chronomètres à partir de 1969. En 1920, l'horlogerie n'avait donc pas fait le tour de ce que l'industrie pouvait imaginer pour créer des besoins auprès du public ce qui est une grande différence avec la situation qui prévaut 100 ans plus tard.
En 1920, porter une montre était un moyen de bien être intégré dans la société, une sorte de conformité naturelle. On disait facilement la marque que l'on portait. On porte alors une "Zenith" ou une "Omega" ou une "Longines". Les marques deviennent presque des noms communs ou en tous les cas courants. La marque est associée à une image de qualité et de fiabilité et non à une forme d'expression du luxe. Tout cela a bien changé !
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).