Les boites de montres de forme coussin
Avant proposOn a l'habitude de s'intéresser aux cadrans et aux mouvements, quelques fois aux aiguilles mais bien plus rarement à la forme des boites. Il suffit d'explorer la période de 1880 à 1913 pour se rendre compte que l'art comme l'horlogerie furent habités par une soif de renouveau, de création et d'innovation. La révolution des modes, l'évolution des mentalités, le goût immodéré pour une autre culture ont apporté une forme d'émancipation dans la manière de regarder, de comprendre et de vivre cette société au tournant du siècle. Les montres sont passées de la poche au poignet, ont été ainsi adoptées par les hommes comme par les femmes, dans un esprit de révolution culturelle, sexuelle, littéraire et artistique. Le temps tend à tant faire oublier que cette page d'histoire n'a qu'un siècle qu'il parait utile de regarder cette folle époque comme un détonateur qui fit éclater, il y a 100 ans et de manière durable, une bulle ou l'horlogerie était avant tout masculine et logée dans la poche. On croit parfois aujourd'hui à tort que ceux qui ont inventé la montre d'hommes se comptent sur les doigts d'une seule main, et c'est une erreur, car c'est davantage l'inspiration collective qu'une idée isolée qui est à l'origine d'une conception moderne de la montre. L'histoire de la montre moderne a mélangé les objets des hommes et des dames bien avant que l'égalité des deux sexes ne soit une revendication. La montre fut alors un marqueur, une provocation, un souffle de reconnaissance imposé à la force du poignet, un poignet garni d'une montre bien sûr et d'une montre d'homme avant tout. La montre a fait tomber, à ce moment précis, une barrière et avancer d'un grand pas l'idée que l'alchimie qui relie les femmes et les hommes ignore la supériorité de l'un ou de l'autre et ne connait que l'être humain. Il est vrai que le temps nous est commun.
Préambule Il est des choses dans l'horlogerie dont l'origine s'égare dans la nuit des temps et dont l'invention n'appartient vraiment à personne en propre car, s'il existe bien quelques brevets pour des spécifications particulières, nul n'est en mesure de déterminer avec précision l'origine formelle d'une forme ou d'un système. C'est le cas des boites de montres de forme dite "coussin" si caractéristique des premières montres bracelets.
Si l'on ne peut poser un nom sur l'inventeur des boites de forme coussin, on peut situer dans le temps la présentation des premières boites de montres qui ont participé à l'inspiration des boites coussin. Les montres bracelet existent depuis le 16ième siècle. Leur évolution est plus ou moins discrète au cours des deux siècles suivants où elles sont considérées comme originales et marginales. Les pièces, dans cette période, sont toujours joaillères avant tout. Le 19ième siècle fait passer les montres de la forme dite "Oignon" à une forme plus plate des boites propre aux montres dites à "gousset". Le gousset est une poche du gilet ou de l'intérieur de la ceinture du pantalon destinée à loger une montre.
La forme de la montre s'est ainsi adaptée à la manière de s'habiller, plus légère et favorable aux mouvements du corps au 19ième siècle qu'au siècle précédent. La forme générale de la montre ne va plus beaucoup évoluer ensuite jusqu'au 20ième siècle mis à part l'intégration de la couronne qui s'est substituée au milieu du 19ième siècle au remontage à clé. En tout état de cause, c’est bien la manière d’utiliser et de porter sa montre qui est et restera l’élément fondamental qui en dicte la forme.
La boite de la montre : Une identité visuelle fondée sur une constante La boite de la montre comporte tout au long du 19ième siècle et sauf exception quatre parties :
- la lunette sur laquelle est fixé le verre
- la carrure dans laquelle se loge le mouvement
- le cache poussière ou cuvette qui protège le mouvement à l'arrière de celui-ci
- le couvercle qui ferme la boite
Pour jouer sur l'épaisseur de l'ensemble, les fabricants peuvent alléger la quantité de métal mais cela nuit à l'impression de qualité qui se dégage des pièces. A la fin du 19ième siècle et surtout au 20ième siècle lorsque les métaux employés deviennent plus rigides et lorsque leur usinage est fait avec une meilleure précision, certains fabricants vont supprimer la cuvette et ainsi gagner en épaisseur.
La montre se fait alors plus discrète, une discrétion qui préfigure l'une des préoccupations de ceux qui vont vouloir faire passer la montre de la poche au poignet de leur utilisateur.
Le 19ième siècle est très créatif dans la décoration des boites. L'émaillage hérité du siècle précédent vient encore orner les modèles de qualité, le niel dit aussi, « émail du pauvre », moins onéreux s'installe dans la décoration des boites. L'art nouveau puis l'art décoratif vont créer au 20ième siècle un regain d'intérêt pour les belles montres.
La forme des boites est sur toute la période du 19ième siècle assez constante. Malgré tout, certains créateurs déposent des brevets pour des boites carrées qui peuvent à loisir être décorées, gravées et assorties à une ligne de collection. Ce serait une erreur de considérer ces boites comme des ancêtres des boites coussin qui viendront plus tard. En effet, ces boites ne font que transformer la carrure dans un format carré mais n'ont rien des boites coussin et sont plus proches des boites rondes qui leur sont contemporaines.
Les premières montres bracelet de série Les premières montres bracelet de séries suisses semblent bien être celles fabriquées par Girard Perrégaux soit 2000 exemplaires commandés en 1880 avec une grille de protection pour la Marine Impériale allemande. Paul Ditisheim et Longines à Saint-Imier s'engagent dans ce type de montres en 1890 et 9 ans plus tard Omega propose des montres bracelet. Lors de la guerre des Boers entre 1899 et 1902, la montre bracelet devient un équipement militaire largement répandu. Le marché civil anglais hérite directement le premier de cet instrument. En 1904, les militaires le plébiscitent comme un objet du paquetage militaire. La demande britannique est à l'avant-garde des attentes des marchés européens. Les premières années du 20ième siècle voient ainsi prospérer au sein des catalogues des grandes maisons des modèles de montres bracelets. La demande est encore très limitée car ces pièces sont considérées comme féminines et pas du tout masculines. Cette perception provient à n'en pas douter du fait que la plupart des fabricants ont créé ces montres à partir de montres de col et donc de montres de dames sur lesquelles ils ont soudé deux anses pour fixer le bracelet nécessairement étroit compte tenu de la forme ronde des carrures. Il a fallu faire tourner les cadrans pour laisser la couronne à trois heures mais la parenté avec les montres de dames est indéniable.
Longines vers 1918Il apparait très vite que le seul moyen de pouvoir fixer des bracelets plus larges est de pouvoir fixer les anses sur des boites carrées. En outre, les boites rondes des modèles de dames adaptés ont tendance à tourner sur le poignet et à s'accrocher facilement sur la moindre aspérité. Surtout, les montres bracelet s’encrassent plus vite que les modèles de poche car la manière de les porter expose beaucoup plus les mouvements à la poussière et à l’humidité en particulier celle de la transpiration. Les montres doivent repasser beaucoup plus vite entre les mains des horlogers qui découvrent des mécanismes très encrassés voire oxydés. En outre, les utilisateurs se plaignent de la mauvaise précision des montres bracelet dont les mécanismes sont mal adaptés à subir des mouvements fréquents et des vibrations dont la poche les préservait antérieurement. Les horlogers enregistrent plainte sur plainte et voient revenir un grand nombre de montres en panne pour des causes récurrentes liées au déréglage et à l’encrassement fatal. La transformation des montres de col ne peut donc être une solution pérenne pour fabriquer des montres bracelets pour hommes.
Les premières boites de forme coussin Les fabricants planchent sur la création de modèles conçus pour les hommes et ils le font avec leur expérience des modèles pour dames mais aussi leur connaissance des boitiers des montres de poche. On ignore encore la seconde centrale et la nécessité de placer celle-ci à 6 heures tout en ménageant la position de la couronne à 3 heures contraint à adopter des mouvements de type savonnette en les réduisant au format d'une montre bracelet. Les Américains davantage libérés des conventions en matière d’horlogerie n’hésitent pas à conserver les mouvements tels qu’ils sont et à tourner toute la montre en soudant des anses sur les côtés à 3 heures et 6 heures de sorte qu’il faut tourner le poignet pour lire l’heure. Elgin propose ainsi des montres au positionnement inconfortable que personne n’aurait admis d’une maison helvétique.
Elgin boite argent adaptée avec un calibre de montre de poche vers 1910 La seconde étape est la création des boites. Les toutes premières boites coussin apparaissent une dizaine d'années avant la première guerre mondiale et se développent au cours de celle-ci. Ces boites ont l'avantage de ne pas tourner autour du poignet et facilitent donc un accès facile à l'heure. Cette demande caractéristique de l'époque de la première guerre est liée au fait que les montres de poche sont inaccessibles lorsqu'elles sont glissées au fond de la poche d'une redingote surtout si le porteur de la montre porte des mitaines pour protéger ses mains du froid.
Il faut alors s'entendre sur ce qu'est une boite coussin. La boite coussin est de forme dominante carrée mais sans angle vif, les anses qui sont soudées sur sa carrure prennent position aux extrémités de telle manière que le bracelet puisse être le plus large possible. Cela autorise des largeurs de bracelet qui selon la taille de la boite peuvent aller de 20 à 22 voire 24 mm. Le fond de boite non porteur d'angles vifs vient se clipser sur la carrure. Certains rares fabricants ont toutefois maintenu un système de charnière un peu plus contraignant à fabriquer. Le verre est enchâssé dans une lunette qui se clipse sur la carrure.
La dénomination de boite coussin est sans aucun doute lié à la forme générale de la boite dont le profil est celui d'un coussin. Ce type de montre connait un indéniable succès mais il ne détrône pas la montre ronde dont les fabricants améliorent les caractéristiques notamment en adoptant des couronnes mieux adaptées que celle des montres de dames car plus larges et en recherchant des bracelets plus larges.
Un succès sans frontièreLa boite coussin renferme malgré tout une modernité qui va séduire pratiquement toutes les maisons et cela durablement. D'abord cette boite est visuellement identifiable comme étant celle d’une montre d'homme ce qui est important dans la culture du début du 20ième siècle. Ensuite, elle libère la tenue vestimentaire masculine de la chainette de montre qui relie la boutonnière et la montre de gousset. Enfin, elle se veut plus étanche que la boite de montre de dame « reconditionnée » ce qui est à la fois faux et vrai.
Extrait Catalogue Waltham de 1917 En effet, la boite coussin n'a pas en général de cuvette ou cache poussière ce qui a pour conséquence que le fond serve à la fois à garantir l'étanchéité et lorsqu’il est suffisamment épais à assurer la rigidité nécessaire et la résistance à la déformation plus forte au poignet que dans une poche. Sur ce point, l'avantage est à la boite coussin car il est bien connu qu'une forte épaisseur est moins flexible qu'une double faible épaisseur. C'est en particulier le cas pour l'argent massif très en vogue à l'époque. L’étanchéité de la boite coussin viendra plus tard avec le modèle Oyster de Rolex en 1926.
Parmi les boites coussin les plus anciennes figurent celles de la maison anglaise Dennison qui en 1907 emboitait des mouvements et cadrans Omega. Ce sont probablement parmi les toutes premières montres coussin produites et en tous les cas les premières de la maison biennoise. Les boites Dennison étaient en argent ou or à 9 carats très courant à l'époque sur le marché anglais.
Boite Dennison pour Omega 1907 – Source Omega « Voyage à travers le temps » Sur le marché américain, lui aussi, vont être diffusées des montres bracelet coussin. La maison Fahys, spécialisée dans la fabrication des boites, propose ainsi en 1915, une boite coussin en argent massif à anse soudées. Cette même maison intègre en 1917 une grille de protection à la lunette pour un usage militaire. La grille non démontable réduit la lisibilité de l'heure. Les manufactures américaines semblent avoir développé les boites coussin davantage dans les années 1920/1930 soit après les Anglais et les Suisses.
Un souffle de modernité Dans le monde civil, l'Art nouveau adopte les boites coussin qui se répandent au poignet des dames comme des hommes. La culture de l’Art nouveau porte une révolution des esprits et une évolution des mentalités. Les années folles sont des années de libération des hommes et des femmes à l’égard des conventions qui ont enfermé l’éducation des générations précédentes. La sortie de la guerre accroit la soif de liberté de la pensée et des mœurs.
Montre Zenith « Art nouveau » vers 1920 La boite coussin fait souffler un vent de modernité sur la manière de porter l'heure. La montre d’homme en général et celle avec une boite coussin en particulier sont perçues comme unisexe dans une époque porteuse d'une évolution significative de la culture occidentale. On chante, on danse et on s’encanaille avec une montre au poignet que l’on exhibe quand on est une dame comme une sorte de conquête de la femme sur l’homme.
La plupart des cadrans ont conservé l'émail à l'aspect parfait des montres de gousset, seule la taille a été réduite et la qualité est perceptible car les cadrans parfaits lors de la fabrication des montres le sont restés un siècle plus tard. Les aiguilles bleuies, dorées, en or ou remplies de matière luminescente au radium de forme lance, pommes, feuilles de sauge, Mercédes rivalisent d'originalité. L'année 1911 a vu apparaitre le traitement des cadrans et des aiguilles au radium pour assurer une lisibilité des montres de nuit. Les civils et en particulier les dames s'amusent de cette caractéristique lumineuse dont les dangers ne seront connus que plus de 15 ans plus tard.
La boite coussin est soit en métal blanc, soit en argent, en plaqué or ou or massif. Il ne semble pas qu'elle fut produite en grande série en acier sans doute à cause de l'oxydation potentielle du fond au contact de la peau. Très clairement si les mêmes montres sont portées par des femmes et des hommes, les grandes maisons s'attachent aussi à créer des modèles exclusivement féminins.
Omega boite coussin avec cadran et aiguilles radium vers 1911 Les fonds des boites ont un ergot intérieur pour être remontés systématiquement dans la même position sur la carrure.
https://www.artofmanliness.com/articles/mans-guide-wristwatches-history-wear-one/
L’éclipse La boite coussin disparait progressivement dans les années 1940 avec l'émergence de l'exigence de boites étanches qui induit des fonds vissés en attendant que l'industrie soir en mesure de garantir l'étanchéité avec des fonds clipsés. Ensuite la manière de visser les fonds non pas en construisant ceux-ci sur la base d'une cylindre muni d'un pas de vis et monté directement sur la carrure mais avec des micro-vis a permis à plusieurs maisons de proposer à nouveau des boites coussin. Edox dans les années 1960, Panerai, Vacheron & Constantin figurent parmi les maisons les plus connues qui ont ressuscité ces boitiers.
Chaque maison adapte sa boite coussin en y associant des anses avec des systèmes qui facilitent le montage ou le démontage des bracelets grâce à des pompes amovibles. La fixation des bracelets grâce à des pompes amovibles induit une rigidité des anses et de la carrure qui ne doit pas se déformer lors de la pression exercée pour monter le bracelet. L’aspect visuel de la boite s’en trouve sensiblement modifié d’où le choix de certaines maisons comme Panerai de préserver l’identité visuelle complète de la boite coussin et d’opter pour un mode ingénieux de fixation qui implique un démontage complet de l’anse puis son remontage pour adapter le bracelet. D’autres maisons ont également opté pour un tel procédé. On constate que lorsque ce choix n’est pas fait, il est plus complexe de conserver un profil de boite coussin au boitier de la montre.
Le choix de ce type de boite pour des montres modernes conduit souvent à opter pour des montres sans trotteuse ou avec une petite trotteuse à 6 heures plutôt qu’une trotteuse centrale dont l’identité visuelle est plus contemporaine. Malgré tout, les designers se sont assez souvent affranchis du passé depuis une vingtaine d’années et le recours à des mouvements mécaniques génériques de grande diffusion a contraint certaines maisons à accepter une trotteuse centrale.
La boite coussin et la montre du poilu Nombre de montres militaires réglementaires et montres civiles de poilus de la première guerre mondiale furent des modèles à boite coussin. Le fabricant français LIP est sans doute l’un des fabricants parmi les plus productifs de cette forme juste avant, pendant et après la première guerre mondiale. Les montres LIP à boite coussin avec leur cadran et aiguilles traitées au radium sont parmi les plus renommées. L’image du poilu est quasiment indétachable de celui de ce modèle de montre. Consciente de cette association, LIP produisit dans les années 1960 un chronographe moderne avec une boite coussin. Beaucoup de montres coussin de poilus étaient anonymes soit parce que les fabricants laissaient aux détaillants le choix d’inscrire leur nom sur les cadrans ce que la plupart ne faisait, soit parce que ces montres étaient vendues à très bas prix et montées à domicile par des ouvriers qui les livraient à un grossiste. On peut estimer qu’au cours de la première guerre mondiale une montre de poilu sur 4 était de forme coussin.
Panerai agitateur de mémoirePanerai Radiomir L’exploitation de cette forme de boite n’a jamais vraiment cessé. La boite coussin a traversé les époques et les modes. Sans aucun doute, le modèle Radiomir de Panerai en a relancé l’intérêt. Le modèle fût créé en 1916 à un moment où les boites coussin étaient au milieu de la guerre parmi les plus recherchées. Panerai a su défier les difficultés d’étanchéité de ce type de boite et lors de la relance du modèle en 1938, lui donner une taille conséquente en respectant intégralement le design ancien de ce type de boite. Cela n’est pas pour rien dans son succès.
La Fondation de la Haute horlogerie dans un article publié le 28 novembre 2016 rappelait ainsi l’historique du modèle et de sa boite.
« De nos jours, Radiomir désigne la collection qui s’inspire des tout premiers modèles de montres militaires créés par Officine Panerai. Les boîtiers de grande taille sont tous de forme coussin, mais on distingue la Radiomir de base de la Radiomir 1940. La première a des particularités empruntées aux modèles de 1938 : anses à fil – autrefois soudées, elles sont actuellement amovibles – et couronne conique conçue pour faciliter la prise en main. Cette création est entrée au catalogue en 1997, avec une Édition Spéciale en platine, pour ensuite apparaître dans sa version subtilement modernisée en 2005, alors qu’elle accueillait le premier mouvement manufacturé par Officine Panerai. Quant à la Radiomir 1940, elle intègre les modifications qui ont rendu le modèle original plus robuste, en 1940 précisément. Avec ses cornes taillées dans le même bloc de métal que le boîtier et sa couronne cylindrique, elle enrichit les propositions de la marque depuis 2012 »
https://journal.hautehorlogerie.org/fr/radiomir-la-bonne-etoile-dofficine-panerai/
Panerai a très clairement travaillé à la rigidification des anses en les solidarisant avec la carrure. Cette condition était celle de la modernisation de la boite et de son adaptation aux besoins contemporains.
La luxueuse boite coussin chargée d’histoire D’autres maisons de haute horlogerie ont proposé récemment un modèle coussin dans leur collection. C’est le cas de Vacheron & Constantin avec ses collections Harmony et Historic American 1921» dévoilées en 2015. Cette grande maison résume ainsi cette collection : « La forme coussin réinventée, une allure contemporaine dotée de calibres inédits » https://www.vacheron-constantin.com/fr/montres/harmony.html#tab=0
La presse a qualifié cette forme « d’Icone des années folles ». Il faut dire que la marque a repris son modèle d’époque en poussant le détail jusqu’à placer la couronne « boule » de manière décentrée et la petite seconde à 4h30 l’ensemble étant fidèle à la version d’origine et pour cause, la version originale avait conduit à recycler le calibre savonnette d’une montre de poche d’où la position de la trotteuse et de la couronne. Si on tourne la montre en plaçant la couronne à midi, on retrouve cette architecture originelle. C’est ce que l’on appelle tirer parti d’un bricolage d’époque mais les débuts de la montre bracelet se sont ainsi construits sur des recyclages plus ou moins heureux de montre de poche et/ou de montres de dames. Vacheron & Constantin magnifie ce travail en offrant une boite en platine à son modèle de forme coussin.
Dès lors, la forme coussin n’est d’une part ni passée de mode, ni éteinte dans la production contemporaine. Bien au contraire elle est associée à une image dynamique, moderne et à un clin d’œil au passé, celui des années folles, même si la réalité historique fait débuter la production de cette forme de boite aux alentours de 1905, au début de la période Art nouveau et si son essor se situe au milieu de la période de la première guerre mondiale.
La boite des instruments militaires, une idée américaine Publicité pour Illinois Watch C° en 1918 Pendant la guerre, la montre est au poignet des soldats de l’armée de terre mais elle fait aussi son apparition au poignet des pilotes d’aéronefs, véritables pionniers de l’aviation qui s’en servent pour calculer leur temps de vol en sachant que leur réserve de carburant limite la durée de leur mission. La montre sert aussi à s’assurer du temps de chauffe des moteurs avant le décollage. Elle est un instrument incontournable y compris à bord des navires. La montre bracelet est vite adoptée par tous les corps militaires. La version coussin bien adaptée à la forme du poignet grâce à une ergonomie qui lui fait couvrir une plus grande surface de contact avec la peau devient la référence la plus appréciée.
Si les marques françaises dont LIP ou suisses parmi lesquelles Omega, Zenith, Longines, Tavannes, Alpina, IWC et d’autres ont fait un large recours aux boites de formes coussin pendant la guerre, les manufactures américaines sont allées encore plus loin en mesurant très vite dès la fin de la première guerre mondiale le potentiel commercial des montres bracelets spécialement créées pour être portées par les hommes. Elgin dès la fin de la guerre donne ainsi aux modèles de sa collection des noms de militaires que la guerre a transformés en héros. L’une des pièces les plus emblématiques est certainement le modèle « Black Jack » en hommage au général américain John Pershing . Cette pièce était vendue 25 dollars en 1919. La montre est en argent massif d’une dimension de 38 mm sur 30 avec un cadran noir en émail. Le mouvement, à ce prix, est un 7 rubis de référence 462.
Elgin « Black Jack » hommage à John Pershing 1919 Waltham Watch C° fera aussi de la montre de forme coussin l’un des modèles à succès de sa collection. En Suisse, IWC multiplie à cette même époque des pièces d’une version en or massif de cette boite emblématique.
https://www.etsy.com/listing/197766513/international-watch-company-schaffhausen
La manufacture américaine Hamilton fut présente sur toutes les catégories de produits. Très agressive au plan commercial, elle avait une réactivité élevée face aux demandes de la clientèle et surtout face à ses concurrents. En voyant les catalogues des autres maisons américaines, elle fit inscrire dans son catalogue dès 1919 des montres à boites coussin puis ne cessa d’en afficher jusqu’au milieu des années 1930 qui marquent le moment d’une certaine rupture avec ce style de boites aux Etats-Unis.
Extrait catalogue Hamilton 1919 On note, fait intéressant, que ce type de montre fut offert en dotation aux Forces expéditionnaires américaines et à l’US Navy. Elle apparaît comme la montre « outil » du moment ce qui la qualifie pour des usages professionnels.
Un site américain recense plusieurs générations de boites coussin produites pour Hamilton Watch C°. http://www.hamiltonchronicles.com/2012/07/early-hamilton-cushions.html
L’une des principales évolutions de la boite sera celle des cornes qui passent de l’attache filaire soudée à des anses classiques, d’abord à pompes fixes et plus tard à pompes mobiles. Certains fabricants ont fait comme Rolex directement des choix de cornes solides.
Modèle coussin IWC avec grille intégrée - 1918 La boite coussin appartient dès lors aux pièces de tous niveaux, populaires comme haut de gamme. L’image la plus luxueuse est toutefois récente même si une maison devenue prestigieuse a trouvé dans la boite coussin le terreau de sa notoriété à savoir Rolex.
En effet la Rolex Oyster née en 1926, fut remarquée autant pour la forme de sa boite que pour son étanchéité.
Et l’étanchéité lui donna l’éternité, les perfectionnements de Rolex Dès lors, la boite coussin qui était aussi peu étanche qu’une montre de poche devient un objet susceptible d’entrer en contact avec le milieu aquatique sans aucun dégât. Cela va asseoir la notoriété de Rolex et contribuer à forger l’image de la marque. Hans Wilsdorf, le fondateur de Rolex, fait preuve ici d’une clairvoyance exceptionnelle et il règle les deux problèmes endémiques des montres bracelets à savoir la précision, d’une part, et le défaut d’étanchéité d’autre part.
C’est avec une montre de forme coussin, l’Oyster, littéralement l’huitre, qu’il démontre qu’il peut surmonter facilement les critiques dont les montres bracelet sont l’objet. Pour ce qui concerne la précision, il profite de la boite coussin pour placer un mouvement plus grand et donc avec un balancier plus grand qui améliore sensiblement la précision de la montre et en facilite le réglage. L’étanchéité fut un peu plus complexe à gérer.
Rolex Oyster 1926 Les premières tentatives de fabrication de montres étanches furent faites sur des montres dont les boites étaient de type monobloc et ne s’ouvraient qu’en dévissant la lunette et en basculant le mouvement monté sur une charnière. Ce choix réduisait le nombre de point d’entrée de l’eau et de la poussière mais il était incompatible avec l’utilisation de métaux précieux trop mous et dont l’usure compromettait à moyen terme le fonctionnement de la montre. Le salut vient de deux personnes de la Chaux de fond, Paul Perregaux et Georges Peret, qui ont déposé un brevet 114 948 lequel porte sur une couronne de remontoir vissée sur un tube fileté dépassant du boîtier. Wilsdorf n'a pas tardé à acquérir le brevet de ses propriétaires et, quelques mois plus tard, la Rolex Oyster était sur le marché.
La conception de la boite coussin de l’Oyster mérite attention car elle est très spécifique à Rolex malgré une apparente simplicité.
Rolex en 1912 Le mouvement de l’Oyster n’est pas attaché directement à la carrure du boîtier. Le boîtier est composé de trois parties : la carrure à laquelle sont fixés les anses, la lunette et le fond séparés, tous deux à visser. Le mouvement, le cadran et les aiguilles sont maintenus dans un anneau métallique à filetage extérieur vissé, une sorte de cercle d’emboitage perfectionné avec un trou à la position 3 heures et une goupille à la position 9 heures. L'anneau, cercle d’emboitage porteur du mouvement, est inséré dans le corps du boîtier et la goupille en forme de 9 s'insère dans un trou, sorte d’alvéole correspondant du boîtier. Le mouvement est ainsi calé dans la bonne position. La couronne et la tige de remontoir sont ensuite insérées dans le trou à 3 heures et la lunette et le fond du boîtier sont vissés. Le fond en soi ne comportait pas de joint et d’ailleurs Wilsdorf a bâti sa publicité en expliquant qu’il n’utilisait que le contact du métal contre métal pour obtenir une parfaite étanchéité. Cependant, un joint à l’intérieur du fond assurait au mouvement une totale étanchéité. Ce joint composé d’une feuille de plomb se déformait par pression au moment du vissage du fond et compensait les irrégularités de son usinage non pas sur le pas de vis mais sur l’intérieur du fond lui-même et sa partie plate.
Première Oyster Coussin en 1926 Rolex a exploité la forme coussin du milieu des années 1920 à la fin de la seconde guerre mondiale. Si Rolex a tenté de lancer un boitier octogonal pour élargir son offre, la boite coussin fut celle qui remporta le plus grand succès. La boite de forme octogonale fut donc retirée du catalogue moins de 10 ans après son apparition.
La boite coussin est associée pleinement au démarrage de Rolex dans la fabrication de montres outils étanches dont la marque n’a cessé de faire progresser la technologie de fabrication.
La manufacture Zenith qui fabriquait ses propres boites a inscrit dans son catalogue des boites de forme coussin dès le début des années 1920. On en retrouve encore dans le catalogue de 1934, signe de la longévité de la vie commerciale de cette boite.
Extrait du catalogue Zenith catégorie montres de messieurs 1934 On observe la diversité de designs des boites coussin et les variétés de cadrans avec comme constante la petite seconde à 6 heures. Même s’il en existe avec seconde centrale, la boite coussin est le plus souvent assortie de mouvements avec petite seconde ou pas de seconde du tout. Si cela peut s’expliquer dans les années 1910 par le recours à des mouvements conçus pour des montres de col, cette logique est mise à mal ultérieurement après les années 1920 quand des mouvements sont spécialement conçus pour des montres bracelets.
Il faut avant de conclure souligner que le terme de boites coussin est souvent utilisé à tort pour des boites qui ne sont en fait que des boites de forme « Tonneau ». Sauf à considérer que ces boites soient une évolution de la boite coussin, ce qui n’est pas exact, les boites de forme tonneau relèvent d’un design qui reste indépendant des formes antérieures des boites de montres. Fort utilisé dans les années 1970, le design Tonneau, est reproduit aujourd’hui pour réaliser des montres « hommages » ou des rééditions, c’est le cas par exemple, avec la marque Hamilton qui réédite son modèle militaire livré à la Royal Air Force mais oublie, outre qu’il fut essentiellement livré à l’Army britannique (armée de terre), que le design n’a jamais été de type coussin.
En outre, Panerai par ses réinterprétation des boites coussins a inspiré nombre de grandes et petites maisons qui, elles aussi, ont produit des designs divers plus ou moins en rappel des boites coussin. Cet aspect visuel est souvent contredit par le fond des montres. Les vraies boites coussin ont des formes sans angles vifs dans la même approche que la lunette ou la partie supérieure de la carrure qui fait office de lunette et offrent un profil symétrique. La plupart des fonds des boites hâtivement désignées sous la terminologie « Coussin » n’ont aucunement cette caractéristique.
De même, nombre de boites carrées sont ou ont été qualifiées de boites coussin mais n’en ont aucune caractéristique mis à part le fait qu’elles soient carrées. L’absence de définition précise de ce qu’est une boite coussin et de détention par un seul auteur d’un dessin ou brevet rend la notion de boite coussin « fluctuante » et favorise les désignations exotiques de modèles qui n’ont que très peu de rapport avec ce design. De très nombreux fabricants se sont emparés de la terminologie coussin au point d’avoir fait perdre de vue l’histoire et l’évolution historique de ce type de boites. Il semble intéressant d’accompagner un lancement de produit d’une explication marquée d’exemples puisés dans des catalogues anciens de ce que fut cette boite, à savoir l’une des premières formes de boites de montres bracelets dessinées pour la clientèle masculine ceci à la différence des boites reconditionnées des montres de col de dames.
Cette situation a l’avantage de son inconvénient. Elle ouvre une très grande liberté créative dans la réinterprétation et les évolutions potentielles des boites. Elle permet d’ouvrir un « champ du possible » pour exploiter le nom et de créer un design original plus ou moins librement inspiré que l’on s’attachera à déposer pour éviter d’être copié.
Le recours à des boites coussin pour des montres de dames correspond à une émancipation de la femme à travers son choix de montres, un clin d’œil aux années folles, à l’art nouveau et à une époque faste. Une campagne de communication marquée par le recours à des œuvres issues de l’art nouveau (Alphons Mucha par exemple) peut être porteuse d’un accompagnement visuel au lancement du produit et un marqueur universel des esprits universel tant féminin que masculin.
Faut-il conclure ?Le fait d’avoir été et d’être encore exploité par des maisons de prestige fait de la boite coussin, une forme qui reste ancrée dans la mémoire et conserve ainsi une modernité et une image de produit de qualité qui a occulté la mémoire des pièces produites au début du vingtième siècle et embarquées au poignet des poilus dans les tranchées.
La boite coussin grâce à ses systèmes de fixation permet de choisir son bracelet rompant avec les premières boites à anses fixes qui contraignait à les porter sur un bracelet en toile dit aujourd’hui « Nato ». Les verres en saphir ou en matière minérale trempée voire en hésalite ou plexi sont garants d’une étanchéité en façade. La couronne munie de joint et parfois vissée ainsi que les joints de fond associés à la précision des usinages permettent d’accéder à des boites étanches à des profondeurs qui permettent au moins la baignade.
La boite coussin est en outre séduisante, agréable au porté et esthétiquement sans arêtes vives. Hors des modes et du temps elle ouvre la voie de la pérennité des montres, pérennité confortée par son existence depuis 5 générations auprès de maisons qui sont toujours là, porteuse dorénavant d’une image de luxe puisque l’horlogerie s’est développée depuis un demi-siècle en véhiculant son appartenance au luxe.
L’identité visuelle des cadrans et des aiguilles mais aussi des anses et des systèmes d’attache des bracelets participe à la différenciation des marques et impose une attention particulière pour être porteuse d’identité et faciliter la reconnaissance visuelle des produits. C’est là tout l’art de cultiver sa différence et son propre style dans un boitier qui a un siècle d’ancienneté dans le patrimoine commun de l’horlogerie.
Forumamontres - Janvier 2020 - Droits réservés - Joël Duval