La montre Omega d'Alphonsine Tranchant raconte bien plus que son histoire.
La montre d'Alphonsine Tranchant raconte sa vie et celle des Editions Hachette. Personne ou presque ne connait Alphonsine et pourtant, elle fit partie de ces petites mains qui ont aidé à la construction des grandes maisons d'édition. S'il a été possible de remonter le temps pour reconstituer son histoire, il n'a en revanche pas été accessible d'en retrouver l'image effacée par le temps ou jamais figée ailleurs que dans les mémoires de ses amours et de ses proches. Alphonsine était née à l'époque où l'on consacrait sa vie à un seul homme et à un seul employeur, une époque de haute fidélité à ses engagements et ses idées. L'histoire d'Alphonsine s'inscrit dans celle d'une grande maison d'édition, une aventure humaine qui a traversé le temps et les mémoires et s'est définitivement inscrite dans le patrimoine collectif de notre culture littéraire, éducative et artistique. Une aventure menée par un homme qui lui donna son patronyme et qui fait partie aujourd'hui de ces noms dont on oublie qu'ils furent celui du porteur d'un esprit d'entreprise hors du commun.
La création d'une maison d'édition au futur inespéré En 1826
Louis Hachette, né à Rethel dans les Ardennes le 5 mai 1800, rachète à Paris une minuscule librairie du quartier latin, 1 rue du Battoir-Saint-André (partie de la rue qui est devenue rue Serpente). Normalien de formation, il publie en 1827 son premier ouvrage, un dictionnaire de grec/français et une revue d'information destinée aux universitaires. Les éditions d'ouvrages vont alors s’enchaîner d'abord à vocation éducative puis davantage littéraire.
Louis Hachette (1800-1864)
Emile Littré
Le 1er janvier 1846, il crée la société "L. Hachette et Compagnie" et passe un contrat entre Emile Littré pour
la publication d'un dictionnaire dont les premiers volumes sortiront en 1863. Qui ne connaît pas le dictionnaire "Littré" ?
Il invente en 1851 la bibliothèque de gare et met en place en 1852 la bibliothèque des chemins de fer. Les livres manipulables et bon marché sont l'une des souches du livre de poche moderne et des boutiques Relay que nous connaissons aujourd'hui.
Les débuts d'Alphonsine Tranchant En 1848, Alphonsine Tranchant est embauchée par les éditions Hachette. La jeune femme a en charge la lecture des manuscrits et la correction des impressions. Ensuite elle participera à la gestion des collections jeunesse dans laquelle on trouve ces fameux livres de prix remis en fin d'année dans les écoles aux meilleurs élèves. Elle exercera cette activité 30 années durant avant de prendre sa retraite en 1878 après avoir traversé la commune et le coup d'état du 2 décembre 1852...
Elle découvre la première, en primeur de lecture, certains écrits d'auteurs illustres comme Adolphe Thiers, Michelet ou Balzac... Quelle chance d'avoir été leur première lectrice ! Alphonsine fait partie de ces collaboratrices qui, au sein d'une entreprise, savent trouver leur place et deviennent des expertes indispensables à la vie de la société… Alphonsine est inépuisable et à force de connaitre tout ce qui s'écrit dans ce siècle si riche de littérature, elle connait dans le texte tous les auteurs et reste fidèle à la maison Hachette bien au delà de la disparition de Louis hachette en 1864.
Le Monogramme rapporté est en or massif Contrairement à ce qu'une première impression peut donner, Alphonsine n'a pas quitté Hachette le 17 juin 1878. Elle a eu simplement ce jour-là 30 ans d'activités dans cette grande maison. Son départ sera plus tardif de chez Hachette. Il sera 3 ans plus tard une grande perte mais la maison d'édition lui témoigne ce 17 juin 1878 sa reconnaissance en lui offrant une montre de col à ancre de grande qualité, une Omega de chez Kirby Bird, la grande boutique de l'avenue de l'Opéra à Paris. Sur le fond de la montre, Hachette fait appliquer en lourdes lettres d'or massif rapportées, le monogramme d'Alphonsine Tranchant. Le mouvement est doté de chatons en or vissés et la raquette est pourvue d'un col de cygne. La pièce est de qualité à l'image de l'employée qui prend congé de l'éditeur. Ce présent est un nouveau défi au temps futur d'Alphonsine. Une montre pour célébrer et mesurer son temps. Un temps qu'elle consacrera encore à Hachette et puis ensuite en grande partie à la lecture qui lui a tant donné.
Un cadeau chargé d'émotionRarement en 1878 on offrait une montre à une dame sauf à avoir avec elle une intimité particulière. La montre était avant tout un objet masculin et les montres de col un objet intime qui prenait place sur la poitrine et ne pouvait en théorie qu'être le présent d'un fiancé ou d'un conjoint. La montre était un signe de non dépendance, d'émancipation de la femme qui devenait à l'égal de l'homme détentrice individuelle de l'heure, une conquête sociale encore inachevée pour les hommes à une époque où l'heure se partageait encore sur le beffroi des mairies ou le clocher des églises. Cette montre traduit l'intimité qui était née entre son employeur et Alphonsine, un témoignage évident d'un temps passé et consacré à l'édition. Un dévouement passionné pour un métier passionnant.
On aurait pu imaginer que cette montre se perdit à jamais, fondue ou éclatée dans le tiroir d'un horloger... Il n'en est rien, la montre est là, intacte comme au premier jour. Elle raconte elle-même son histoire et celle d'Alphonsine qui disparut au tournant du siècle en ayant vu l'exposition universelle de 1889 mais pas celle de 1900.
La montre donne toujours l'heure pour signifier que le temps ne s'est pas arrêté quand Alphonsine est partie. La littérature a bien sur continué à évoluer, les auteurs à écrire et les romans à raconter de belles histoires sorties de l'imagination. Alphonsine n'est plus là mais sa montre rappelle ce qu'elle a été pour des livres qui eux sont toujours là sur l'étagère d'une bibliothèque, dans notre mémoire, nos rires et nos émotions simplement parce que la littérature, elle, ne meurt jamais.
Remerciements à tous ceux qui m'ont aidé dans les recherches liées à ce récit. Spécial thanks to Marry !
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