Aegler et les molécules du succès au service de Rolex
Jean Aegler
Jean Aegler fut un horloger hors norme. Créatif et innovant, il releva les défis de la production industrielle de chronomètres de haut niveau. Leader dans le domaine de la précision, son association avec Hans Wilsdorf, le placera dans l'ombre de Rolex dont il fut le concepteur et le fabricant des mouvements. Ce n'est qu'en 2004, que Rolex se structurera pour unifier sous une même société commerciale son unité de fabrication de mouvements à Bienne et son siège social à Genève. L'histoire d'Aegler est étroitement associée à celle de Rolex, une épopée fantastique et unique.
Jean Aegler, conquérant de l'heure juste C’est le 25 janvier 1850 que Jean Aegler voit le jour en Suisse. Après avoir appris le métier d’Horloger, le jeune homme se marie en 1873 avant de créer sa propre compagnie horlogère avec sa femme, Anna Maria Ramser en 1878. La marque de fabrique sera tout simplement le nom de famille de Jean. « Aegler » devient ainsi une nouvelle marque dans le foisonnement des créations de manufactures qui sévit depuis la moitié du 19ème siècle en Suisse.
La manufacture Aegler en 1890 C’est l’époque de l’envolée des plus grandes maisons : Omega, Cyma, Longines, Zenith, Tissot, Ulysse Nardin, Patek Philippe, etc. L’échappement à ancre et les techniques de rationalisation des tâches liées à la fabrication des montres, l’interchangeabilité des pièces des mouvements, l’abaissement des coûts de fabrication, la conquête des marchés internationaux et la course à la précision figurent au premier plan des créateurs de manufactures qui se livrent une concurrence féroce sur des marchés en perpétuelle expansion.
La conquête sociale de l’heure a placé dans les gilets et les poches le symbole de la réussite des acteurs de la société bien au-delà de leur classe sociale. La montre reste un objet relativement cher mais elle devient accessible avec une garantie de précision dès les modèles d’entrée de gamme des collections.
Jean Aegler est très attentif au développement du marché. Il s’installe à proximité de Bienne en 1881 en rachetant un atelier industriel qu’il transforme en manufacture horlogère. Il estampillera ses mouvements du nom de Rebberg, lieu d’implantation de ses ateliers.
A côté des montres d’hommes, il comprend tout l’intérêt du marché des montres de dames et spécialise son catalogue sur les modèles féminins. Il met au point un mouvement de 20 mm de diamètre.
Publicités Aegler à la fin du 19ème siècle et en 1904
Le mouvement de montres de dames renferme un vrai potentiel pour devenir le moteur des montres bracelets faites pour les hommes. Jean Aegler décède le 2 août 1891 à Bienne et lègue son entreprise à ses deux fils Hans et Hermann.
La rencontre avec Hans Wilsdorf Hans Wilsdorf Parallèlement à l’évolution de l’entreprise créée par Aegler, Hans Wilsdorf né le 22 mars 1881 à Kulmbach en pleine Bavière, s’installe en 1900 à la Chaux de Fonds où il travaille comme clerc à des tâches administratives pour un exportateur de montres.
Rien, sinon une intelligence supérieure, ne prédestine réellement Hans Wilsdorf à s’intéresser de très près à l’horlogerie.
En 1903, il part pour Londres pour y exercer des missions de simple employé avant de créer en 1905 sa propre compagnie avec le soutien financier de son beau-frère Alfred Davis. C’est ainsi que naît la compagnie « Wilsdorf & Davis » qui a pour ambition de lancer sur le marché la montre de poignet qui, en sont convaincus les deux hommes, va supplanter la montre de gousset.
Calibre Aegler de montre de poche - 19 lignes
Pour fabriquer cette montre, il faut un mouvement de précision de petite taille. Si la fabrication des montres de poche dotées de calibres de grands diamètres est relativement aisée à obtenir sur un plan industriel, la maîtrise de la précision sur des petits mouvements s’avère moins répandue. Hans Wilsdorf lance alors un appel d’offres pour trouver le mouvement qui sera apte à lui permettre d’offrir sous sa marque des montres de poignet dont la précision rivalisera avec les montres de poche.
Aegler répond à l’appel d’offres de Wilsdorf et devient naturellement au regard de son avance technique sur le terrain de la précision des petits mouvements, le fournisseur attitré de son nouveau client. La collaboration entre Wilsdorf & Davis et Aegler ne va plus jamais cesser. Les premiers mouvements livrés sont estampillés Rebberg, la marque déposée de Aegler.
Rolex: une association d'excellence En 1908, Wilsdorf dépose à Londres la marque Rolex dont le nom n’est autre que l’abréviation d’horlogerie exquise. Il demande à Aegler d’abandonner la signature de ses cadrans et de ses mouvements. La plupart des cadrans sont vierges de manière a autoriser une inscription par le détaillant et seules les boites et le mouvement portent la marque de Rolex de manière non systématique.
La précision des montres est telle qu’Aegler obtient avec Wilsdorf les tout premiers certificats de la Société Suisse de Chronométrie contribuant à porter Wilsdorf sur le terrain de la précision ultime. Cette logique de recherche de précision certifiée fait de Rolex un précurseur. Les montres Rolex donnent l'heure juste et elles le prouvent !
Bien sûr, toutes les grandes maisons se battent sur ce terrain mais Rolex va ajouter à la qualité et la fiabilité des calibres, l'étanchéité des boites et une insistante utilisation du poignet pour porter sa montre. Rolex balaie d'un trait la montre de poche et positionne les produits sur l'avenir ou tout au moins de la manière dont la maison le voit. Dès lors la marque ne suit pas la mode, elle la fait par ses créations.
Calibre de chronomètre Aegler En 1914, l’Observatoire de Kew Teddington près de Londres délivre aux montres Rolex équipées par Aegler d’un mouvement de 25 mm de diamètre, un certificat de précision de Classe A, certification réservée jusqu’alors à des chronomètres à usage militaire.
Le certificat fut consécutif à une série de tests de plus de 45 jours. La montre fut testée dans cinq positions différentes et à trois températures dont celle de l'air ambiant (65 degrés Fahrenheit), celle d’une étuve, et celle d’une glacière. Wilsdorf dénonça la journée d’annonce du résultat comme rouge dans le développement de l'entreprise tant la tension fut intense. L’évènement préfigura la certification en qualité de chronomètre de tous les mouvements livrés par Aegler. La firme des frères Aegler héritiers de Jean est cette même année rebaptisée Rolex Watch C°, Aegler S.A.
Avec la première guerre mondiale, les montres de poches passent aux poignets des militaires et les manufactures doivent rapidement s’adapter à une demande qui ne va cesser de grandir. Aegler et Rolex sont déjà très au fait de la production de montres de poignet grâce au calibre de petit diamètre qui est intégré dans toutes les montres bracelets. Cette vision moderne de ce que la montre va devenir donne à Rolex une image moderne et audacieuse. La marque y gagne ses lettres de noblesse.
L'Hexameter d'Aegler Le 17 janvier 1920, Wilsdorf qui a quitté Londres au vu de la taxe d’importation de 33,3% prélevée par le gouvernement britannique pour financer les coûts de la guerre, fonde la société Montres ROLEX S.A. à Genève, dont il est seul propriétaire et directeur. Les mouvements sont désormais fabriqués à Bienne sous contrat exclusif et le montage, le contrôle et la vente des produits Rolex se font à Genève. La vision moderne de ce que Rolex va devenir se forge ainsi après-guerre.
Un fournisseur discretL’usine d’Aegler changera de nom pour prendre celui de Manufacture des montres Rolex et ne sera rachetée par Rolex SA que le 26 mars 2004. En 2004, la manufacture biennoise, fournisseur quasi exclusif de la marque couronnée était encore contrôlée par les familles Aegler et Borer. Il y avait donc toujours deux Rolex avec le Biennois fournisseur de mouvements et à Genève, le fabricant de bracelets et de boîtiers qui prenait en charge l’assemblage et la commercialisation. La fusion des deux structures Rolex SA à Genève et Rolex Bienne Holding a mis fin a un montage industriel atypique héritier du passé de la marque.
Rolex s’est ainsi bâti sur un partenariat dans lequel une grande partie de ses mouvements étaient livrés par une manufacture où la maison genevoise n’était que minoritaire. Il n’est pas habituel que dans une activité industrielle le succès d’un produit unique repose sur un partenariat de si longue durée. Sans aucun doute, la détention partagée des droits sur la marque et les bénéfices a permis au partenariat de résister sur une aussi longue période. L’obsession qualitative de part et d’autre aura donné le sens commun de l’image des montres Rolex mais il aura fallu toute l’abnégation des héritiers d’Aegler pour accepter de se situer dans l’ombre d’un succès dont l’histoire aura oublié cette petite manufacture soucieuse de précision créée en 1878 par Jean Aegler.
Le début du 21ème siècle est dans l’industrie horlogère celui d’une plus grande clarification des structures et de l’intégration verticale des entreprises. Après Swatch Group qui fait ici office de préfigurateur, les deux Rolex avant même le nouveau millénaire, se sont engagés dans une politique de rachat de leurs fournisseurs (fabricants de cadrans, bracelets, étampeur, décolleteur, éléments réglants…). La manufacture Rolex en se référant à l’acception la plus large du terme est donc une construction industrielle récente si l’on fait du principe de concentration de l’ensemble des activités qui contribuent à la construction d’une montre, le critère fondamental de la qualification de manufacture.
Par la même, on peut sans doute admettre que Aegler jusqu’en 2004, fut sous la marque Rolex Bienne Holding un acteur incontournable du succès de Rolex. La fusion des deux Rolex s’est faite dans une quasi indifférence tant la subtilité du montage échappait au public et tant le produit final ne fut en rien modifié par le nouveau dispositif mis en place par la société. C’est pourtant un siècle d’un partenariat exceptionnel qui a pris fin par l’intégration de la maison biennoise.
Si Jean Aegler dans sa dimension historique est sans nul doute l’une des clés de la réussite de Hans Wilsdorf, il reste à côté de la production de ses calibres de petit diamètre, le concepteur de mouvements de montres de gousset d’un niveau exceptionnel de qualité et de finition.
Ces mouvements vendus à des tiers et diffusés sous plusieurs marques de la fin du 19ème au début du 20ème siècle restent des monuments de précision que l’histoire a quelque peu oubliés au profit de l’expansion palpitante connue par Aegler avec l’envol de la société créée par Hans Wilsdorf.
Un empierrement généreux, souvent un montage sur chatons vissés, des anglages soignés et une architecture recherchée font des mouvements de montres de poche fabriqués par Aegler des pièces remarquables à la portée de bourse des amateurs les plus exigeants sans qu’il ne soit besoin de dépenser des sommes considérables pour en acquérir la propriété. Les marchés anglais et suisse de montres d’occasion offrent assez souvent des pièces équipées de mouvements Aegler emboîtés dans des carrures en argent ou en or car la manufacture livrait plutôt des marques proposant des modèles de luxe.
Porteuses de l’histoire d’une destinée humaine et industrielle hors du commun, les montres dotées de mouvements Aegler témoignent de ce que l’union des bonnes idées peut générer de fructueux et de ce concept qui veut que la somme des talents puisse déboucher sur une réussite extraordinaire sur laquelle un empire peut se construire.
Harry Borer, l'héritier de la fidélité à Rolex
Harry Borer a dirigé Rolex jusqu'en 2001 à Bienne. Il est décédé à l'âge de 89 ans. Il a dirigé la Manufacture des Montres Rolex de 1967 à 2001. Entré chez Rolex, entreprise fondée par son grand-père Jean Aegler, en 1961, il en prend la Direction en 1967, à la mort de son père Emil. La manufacture est alors l'une des plus modernes de Suisse, capable de créer elle-même tous les composants stratégiques des mouvements. A son départ en 2001, il remet la direction opérationnelle à sa fille Franziska et la présidence du conseil d'administration à son fils Daniel. Rolex Bienne sera reprise 3 ans plus tard par Rolex Genève. Les deux entreprises ont toujours collaboré, mais sont restées juridiquement séparées durant plus de 80 ans. Harry Borer est décédé en juin 2017 à l'âge de 89 ans.
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