Ulysse Nardin, horloger et visionnaire
Ulysse Nardin, né en 1823, fonda en 1846, à 23 ans, sa propre manufacture au Locle. Il avait été formé à l'horlogerie par son père qui était lui-même horloger régleur. Le père du jeune Ulysse avait érigé la précision au rang de culte et en avait fait sa passion et son métier. Lorsqu'Ulysse fonda sa manufacture, c'est avec en tête qu'il fallait faire mieux que tous ses concurrents et que la meilleure manière de se démarquer était de faire des montres plus précises et plus fiables.
Ulysse Nardin fondateur de la manufacture au Locle en 1846
Ce n'est pas immédiatement vers le développement de mouvements qu'Ulysse Nardin se tourna dans un premier temps mais à la terminaison et à la finition d'ébauches qu'il élevait au rang de ce que l'on appellerait aujourd'hui des chronomètres. Etre capable avant 1850 de produire une montre d'une précision supérieure à 1 minute par jour sans électricité, sans moyen de contrôle de fabrication et de réglage par extrapolation sur la base d'une mesure ponctuelle, est à l'époque une gageure.
Le contrôle se fait alors en testant la montre en temps réel et en examinant son fonctionnement sur une lanterne, sorte de planche murale où les montres sont accrochées les unes à côté des autres pour vérifier, à l'œil, visuellement, la dérive de chacune. Ulysse Nardin instaure la tolérance la plus limitée, une tolérance de dérive réduite à l'extrême. Le mot "chronomètre" n'existe pas encore, on parle de montre dotée d'un bulletin de marche après 1860 mais les concours de chronométrie ne sont pas encore inventés. Ulysse Nardin est en avance, en avance de plus de 14 ans sur l'émulation provoquée par la Confédération suisse en vue d'une recherche avancée des manufactures dans le sens d'une meilleure précision des montres. Cette émulation prendra la forme des concours de chronométrie. On les appelle au départ des "Concours de Réglage". Ils récompensent les fabricants comme les régleurs qui ont préparé les montres parfois pendant des mois.
Les régleurs sont des techniciens autant que des artistes, des perfectionnistes, en tous les cas, qui développent la perfection du réglage des montres. Ulysse Nardin est un visionnaire et comprend avant les autres que le meilleur des réglages ne peut trouver son support que sur un mouvement dont la fabrication est irréprochable. Dès lors, il recherche les meilleures conceptions de mouvements, celles aux architectures simples, celles qui permettent une libération régulière de l'énergie du ressort. La notion de force constante est difficile à conjuguer avec l'usage d'un ressort qui par essence ne délivre pas la même force en début et en fin de remontage. De cela, il s'affranchira en adoptant des techniques qui limitent l'exploitation du développement du ressort sur se plage optimale. Il fait aussi avancer ses recherches sur l'échappement des montres, cet organe régulateur de l'isochronisme qui rythme le "tic et le tac" d'un mouvement et doit le faire avec une régularité absolue. La qualité de l'échappement sera ainsi privilégiée par Ulysse Nardin. Il y formera son propre fils David et fonde dans la manufacture un atelier entier dédié au seul réglage, là où il s'agit, chez ses concurrents, d'une simple étape de fabrication.
L'horlogerie est passée d'une précision de 5 à 10 minutes par jour avec les échappements à cylindre, à une précision de moins de trois minutes avec l'ancre droite, puis l'ancre suisse. Ulysse Nardin fait porter l'effort sur tout les organes réglant de la montre. Le balancier, le spiral, l'échappement, le polissage des pivots, il ne concède rien pour pousser le curseur de la qualité du réglage au maximum. Il va développer notamment avec le physicien Charles Edouard Guillaume l'échappement bimétallique, une fusion des propriétés de deux alliages qui rendent la serge du balancier insensible à la déformation liée aux variations de températures qui altérait auparavant les balanciers et anéantissaient les meilleurs réglages.
Le réglage ultime devient chez Ulysse Nardin une condition de sortie de la montre de la manufacture. La précision des premières montres que la maison locloise produit est bluffante. Elle devient un modèle, une référence qualitative presque une norme. La maison produit des montres en quantité avec cette même rigueur quand d'autres les font à l'unité avec un résultat inférieur. Le secret d'Ulysse tient à la qualité des composants, à la finition des pièces, à la formation des hommes et au temps passé à améliorer le réglage, un temps qui coûte cher et dont les autres maisons font l'économie au mieux avec l'œil fixé sur les prix de revient. Une montre Ulysse Nardin est un peu plus chère que les pièces des concurrents mais elle marche incomparablement mieux. En 1850, en général, on ajuste l'heure de sa montre sur les pendules. Ulysse Nardin inverse les choses et ses montres deviennent la référence pour ajuster sa pendule. Cela signifie que la maison a gagné sur l'essentiel et rendu l'heure juste accessible sur un instrument mobile. Cette vision là va révolutionner l'horlogerie en faisant prospérer le besoin d'une heure juste pour tous, une conquête sociale que la seconde moitié du 19ème siècle va élargir au plus grand nombre.
La Manufacture Ulysse Nardin en 1908 Ulysse Nardin va alors continuer à cultiver la précision de ses pièces, ce qui lui ouvrira les voies des besoins maritimes et celles des marchés du monde entier où la manufacture va s'imposer comme une référence y compris auprès de l'US Navy à l'aube du siècle suivant. Contrairement à une idée reçue, ce n'est pas Ulysse qui développa la fabrication des chronomètres de marine, qui fit en grande partie la réputation de la maison, mais son fils Paul-David qui lui succéda en 1876 après une mort brutale. Paul-David, formé par son père, se montre aussi méticuleux que lui et fera le succès international de la manufacture. Il fera notamment reconnaitre la supériorité des chronomètres de marine et des montres de bord par les armées du monde entier. En ce sens, Ulysse et son fils sont des pionniers du temps, des visionnaires capables d'offrir aux hommes, la détention individuelle de l'heure juste, autrefois privilège des rois au travers des horloges payées à prix d'or.
L'heure juste pour tous sera un outil des démocraties et sociétés modernes. Ulysse Nardin a assis sa réputation par un savoir faire qui a fait sa différence et a permis à la marque éponyme de traverser le temps, de rester dans la mémoire collective comme une référence toujours d'actualité quand on parle d'heure juste et de montre de qualité. Ulysse Nardin se conjugue à tous les temps de l'indicatif, au passé, au présent et au futur, tout cela d'un seul trait comme on trace la précision ultime sur les outils de mesure d'aujourd'hui. La manufacture Ulysse Nardin est un marqueur d'histoire, une valeur du patrimoine horloger, une référence à ce que le temps peut avoir de meilleur. Le futur du temps est éclairé par Ulysse Nardin car le temps avance toujours vers la lumière.
Forumamontres- avril 2020 - Joël Duval - Droits Réservés