Depuis plus de 15 ans, bien plus même, je fouine, je fouille, je furète partout pour puiser ici une histoire, là un témoignage ou une trace d'une montre qui va permettre de reconstituer le passé de l'objet, de remonter dans le temps et qui sait de retrouver d'autres témoins de ce passé furtif qui va nous apporter une fois rassemblé, le plaisir d'embarquer à travers le ou les siècles pour mieux capter l'atmosphère respirée par nos ancêtres.
L'histoire que je vais ici vous raconter n'est connue de personne jusqu'à présent car, vous allez comprendre pourquoi, elle fait en général partie de ces moments que l'on conserve par devers soi, soit par doute, fausse pudeur ou simplement parce qu'il frôle une irrationnalité que nous ne savons pas où classer. Je vais tenter de la raconter de telle manière que nul ne puisse douter, j'apporterai la preuve de ce que je vais narrer, mais surtout pour se poser, sans doute, une question plus métaphysique sur ce que nous sommes, juste une donnée statistique ou un peu plus.
Mon histoire, je peux abuser du pronom possessif car c'est bien de mon histoire qu'il s'agit, mon histoire donc, débute il y a 6 ans presque jour pour jour. Un ami commun m'indique l'une de ses connaissances qui est en possession de montres de famille et souhaite y voir clair dans ce qu'elle possède. Notre ami ne sait pas précisément si elle souhaite vendre une partie de ces montres ou veut simplement identifier leur valeur ou leur intérêt. Bref, elle aimerait que quelqu'un lui explique et accepte d'y passer quelques heures.
Tandis que j'hésite beaucoup car les évaluations ne sont pas mon fort, je me laisse aller à la curiosité, après tout, une collection construite sur des années peut être intéressante au regard de ce que l'on peut y trouver. Les recommandations de mon ami sur la personne qui va m'accueillir contribuent à aiguiser ma curiosité et je me rends donc à l'adresse indiquée après un bref contact téléphonique.
La voix au téléphone est douce et le ton est enjoué ce qui me fait imaginer une personne de 70 ans ou plus. En outre, la manière de m'inviter à venir est celle d'un autre temps. Le rendez-vous est fixé au mercredi suivant vers 17 heures. L'appartement est situé dans un ensemble immobilier cossu de ce que l'on appelle un bon quartier. L'immeuble de trois étages dispose d'un petit ascenseur hélas en panne mais le lieu est soigné. Je gravis les escaliers et arrive pile à l'heure dite essoufflé au point de préférer patienter 2 ou 3 minutes avant de sonner. La porte de l'appartement s'ouvre malgré ma pause et une jeune femme d'une trentaine d'années me propose de pénétrer.
Comment refuser ? J'entre donc dans cet appartement qui sent bon le lieu franchement aéré mais avec un vague fond de fumée de cigarette ce qu'un non fumeur comme moi perçoit immédiatement. Convaincu d'avoir précédemment parlé avec une dame d'âge mur, je la cherche dans l'appartement mais la jeune femme qui m'accueille a bien cette voix et les intonations que j'avais entendues.
Elle est jolie, aimable, pleine d'humour et de curiosité et avant qu'elle ne présente quoi que ce soit, elle m'explique qui elle est et pourquoi elle engage une telle démarche. Je me présente à mon tour et lui explique mes motivations non pas dictées par l'achat mais par la recherche de pièces à histoires.
Après une petite heure de psychothérapie réciproque, j'ai l'impression de connaitre mon interlocutrice depuis longtemps, elle a dans le regard quelque chose qui me trouble, une manière de sourire qui me rappelle quelqu'un mais je suis incapable de dire qui, une proche, une actrice ? La sensation est bizarre. De son coté, elle me dit m'avoir déjà vu quelque part ce qui contribue à nos doutes réciproques. Elle sort enfin ses montres…
Le volume est important et le nombre de pièces assez imposant. Pourtant il n'y a pas grand chose qui attire mon attention. Beaucoup des montres sont des pièces très ordinaires et à part deux ou trois marquées d'initiales qui sont les miennes, je ne repère rien de passionnant jusqu'au moment où l'une des montres me semble se démarquer du reste.
La jeune femme, appelons là, Julie, m'explique qu'elle porte un numéro sur une étiquette collée par son père et que ce numéro renvoie à une liste qui fixe l'origine… Elle lit pour moi les explications fournies écrites par son père décédé quelques mois plus tôt. "Montre de mariage de Pierre-Jules xxx, grand-oncle de Célestin XXX Photo 24 page 17 de l'album numéro IV."
Julie plonge dans un meuble bas, une sorte de meuble Ikea où elle a rangé des DVD et des albums de photos. Elle sort de très vieux albums qu'elle me dit regarder souvent. Chaque album comporte une étiquette manuscrite avec un numéro et chaque pas dispose d'une petite étiquette revêtue de la même écriture. Sous la photo, un post-il donne les numéros des gens, leur place et leur nom et renvoie à une liste traitée sous Word et imprimée. La liste est en fin d'album.
La photo de Pierre-Jules a été prise lors d'un mariage. Julie me donne une loupe pour voir si l'on aperçoit la montre. Mais en y regardant de plus près, ce qui m'étonne est bien différent. Oui, c'est très différent de ce à quoi je m'attendais. Il y a parmi les invités à ce mariage une personne photographiée qui a trait pour trait, le physique de quelqu'un de ma famille qui est décédé et qui n'a pas vécu dans la période où la photo fut prise. Je regarde d'encore plus près et par le jeu des renvois et de la grille éditée sous Word, je retrouve les photos de cette personne seule et à trois âges différents. Je connais bien la personne qui m'était proche et aux trois âges, trait pour trait, c'est elle à s'y méprendre.
Je regarde du coup tout l'album ce qui passionne Julie qui sort les fours salés et des Shweppes. Elle reconnait à son tour un ami au travers d'un portrait d'une personne décédée en 1937. Ce qui nous faisait sourire nous interpelle. Dans un autre album, de 1913, je retrouve un jeune homme qui ressemble à mon père sauf que l'image a été faite plus de 30 ans avant que mon père n'ait atteint l'âge où il aurait pu être sur la photo. Les détails sont piquants, jusqu'aux lunettes, la coiffure et la forme du visage.
Julie est étonnée mais semble presque douter. C'est à ce moment que nous tombons sur cette autre photo. Elle est celle d'un jeune homme dont la montre a une histoire bien particulière… La photo va rappeler un acteur à certains :
Nous avons continué notre balade dans le temps avec Julie et ces coïncidences, car ce ne sont que des coïncidences, m'ont fait me demander si les sosies à travers le temps sont constants, autrement dit si des individus qui sont sosies enfants, le restent une fois adultes ou si des adultes sosies étaient déjà sosies au même âge. J'ai cherché pendant des années et ma conclusion est 50/50. C'est parfois bluffant quel que soi l'âge et parfois des gens qui sont sosies enfant ne se ressemblent plus une fois adultes et inversement. Comme pour les jumeaux, il y aurait donc les vrais et les faux sosies.
Je pensais m'être débarrassé de ce sujet et puis Julie m'a fait parvenir il y a quelques jours, une nouvelle image retrouvée dans un album qu'elle n'avait pas exploré et qu'elle a étudié dans le temps du confinement. Vous devinez ? Cette photo est celle de mon propre sosie en … 1903. J'étais belge, et j'avais entre 20 et 25 ans. Evidemment, je ne m'en souviens pas. Il y a quand même un truc qui me trouble sur la photo… Ce jeune homme a une chaine de montre qui mène à son gilet et il est mal coiffé. C'est tout moi, ça !
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