Dans la série des formules agaçantes, cette période de confinement aura vu triompher le "J'espère que vous allez bien…" C'est fou ce que des gens qui n'ont strictement rien à foutre de votre état de santé peuvent fonder d'espoir de voir les autres bien aller. La formule est devenue si récurrente qu'on la reçoit plusieurs fois par jour parfois d'ailleurs d'un même interlocuteur qui par inquiétude, sans doute, s'inquiète fréquemment de notre "bien allitude".
Il ne faut d'ailleurs pas s'aviser de répondre que non, ça ne va pas car celui qui écrit est si habitué qu'on lui réponde "oui, et j'espère que vous aussi" qu'il ne verra même pas votre degré de souffrance dans le mail réponse. C'est que "Oui et j'espère qu'il en est de même pour vous…" a la cote ces dernières semaines.
Cette fois, on ouvre le dialogue à la con qui rentre dans un tel automatisme qu'on pourrait laisser les boites mails dialoguer entre elles et sans nous.
Certaines civilisations, notamment asiatiques, ne se demandent pas si leur interlocuteur va bien, non, cela est beaucoup trop intrusif, mais s'il a bien mangé en partant du principe probablement qu'un estomac plein est la condition du bien être. Il est vrai que pour que tout aille bien, nous avons chacun nos conditions individuelles et adaptées.
Comme il est incongru de demander à un aveugle "s'il voit ce qu'on veut dire", ou de dire à un sourd "A bon entendeur, salut", il est devenu déplacé de dire à un angoissé du Covid 19 "J'espère que tout va bien…" En effet, d'abord personne ne va vraiment bien s'il est confiné et ceux qui travaillent avec la peur au ventre ne vont franchement pas très bien. "Alors, confiné et en forme ? Vous avez les cheveux longs !" La formule est admettons le pour le moins malvenue .
Mais alors comment manifester à un tiers son empathie ? Comment lui dire qu'on se préoccupe de son état de santé, de son bien-être alors même que l'on s'en moque? Le mieux est peut-être de faire comme si tout allait bien. Evidemment ce souci de l'autre peut être sincère et empreint d'une compassion tout à fait honorable sur le fond des sentiments de celui qui veut l'afficher. Il faut alors s'adapter à l'autre et donc en savoir un peu plus sur lui au point craignons-le d'être intrusif. "Comment va ta femme avec son diabète qui peut la faire mourir si elle est contaminée" a évidemment la marque de la reconnaissance de l'autre. De même, "Avec ton hypertension et ton obésité, J'espère que tu tiendras bon " est sans doute imprégné de vérité mais ô combien démoralisant.
Non, décidément c'est de légèreté dont on a envie, un message personnalisé mais qui ne troublerait pas la psychologie de son destinataire. Un petit mot du style "J'espère que tu as pissé dru ce matin !" ou pour faire moins prostatique "Alors, Ta femme ? Toujours aussi bonne ?" . Non, n'imaginez ici aucune familiarité à connotation sexuelle mais regardez-là comme une forme de reconnaissance pour ce que madame sait faire, les gâteaux, la cuisine, le jeu de scrabble, bref, un sujet positif qui lui donnera le qualitif positif de bonne. Après-tout, une étudiante bonne en anglais, n'est pas forcément celle qui s'est tapée une équipe de rugby.
Il est concédons-le difficile de remplacer la formule "J'espère que vous allez bien" qui sonne juste car le "J'espère" ne présume pas d'une réponse négative et d'un message de compassion mais il faut l'admettre, 25 fois par jour du matin au soir, tous ces gens qui vont bien pendant que les médias nous servent du malaise, de la peur et de la mort, ça ne ressemble plus à rien. C'est comme cette femme interviewée à la radio qui crie son plaisir à retrouver le chemin du bureau parce que deux mois avec son conjoint, ça fait du bien de retrouver de l'oxygène.
A elle, on a le droit de demander " Alors ça va bien traitresse" ou " Dis-donc espèce de salope, ça va bien ? " C'est il faut le dire, assez défoulant de pouvoir se permettre de dire franchement ce qu'on pense. Un connard d'avant le confinement restera un connard après et on a le droit d'espérer qu'il ne va pas bien ce chef de service grossier, impoli ou libidineux. A lui, on voudrait dire " J'espère que vous êtes au plus mal " et de conclure " Je n'irai pas à vos obsèques".
Non, on n'espère pas que tout le monde va bien à proprement parler et en tous les cas, il y a bien d'autres moyens que de le dire par une formule toute faite en début de mail. Ceci étant, j'espère quand même que vous allez bien !