Quelques mots sur Stepan SarpanevaFils d’un père créateur de bijou et neveu de Timo Sarpaneva, grand designer finlandais, Stepan est depuis petit un fan du travail de l’acier qu’il applique dans ses restaurations de vieilles voitures et de moto.
Il s’inscrira pour deux cours, un orienté bijou pour lequel il ne sera pas accepté, et un en horlogerie qu’il pensait suivre un an avant de revenir vers les bijoux, à l’école d’horlogerie finlandaise de Tapiola. Il a finalement plus accroché aux montres et comme le contexte économique n’était pas évident en Finlande, il s’est expatrié à la célèbre fondation WOSTEP en Suisse.
En 1994, après 2 ans de SAV chez Piaget, il a suivi les cours de grandes complications et a travaillé sur de la restauration de montres compliquées ainsi que sur la création de pièces uniques chez Parmigiani avec son compratiote Kari Voutilainen, puis chez Vianney Halter et Christophe Claret.
C’est en 2003 qu’il a commencé à proposer son travail à raison d’une dizaine de pièces, puis 20 l’année suivante… Il est aussi rentré en Finlande pour créer son atelier dans une ancienne usine de cables, en vendant sa moto !
En 2004, il crée une seconde marque de montres plus simples et moins chères destinées à être diffusée en plus grand nombre, S.U.F Helsinki (Sarpaneva Uhren Fabrik).
Les créations de SarpanevaLes réalisations de Stepan sont de 50 à 100 pièces par an, non pas dans le but de proposer des éditions limitées comme argument marketing, mais pour continuer à explorer d’autres méthodes et rester moderne. Il ne s’attend pas à créer plus d’une centaine de pièces d’un même modèle avant de passer au suivant.
Le design du boitier de la Korona a évolué au fil des créations. Au départ d’une montre ronde de 44mm avec lunette inspirée de la forme de la Loiste (elle-même inspirée de la Time Tramp inspirée d’un pignon de kickstarter de Harley Davidson), c’est le boitier qui a repris cette forme par la suite dans la gamme Korona en réduisant ses proportions à 42mm. Le premier modèle équipé de ce boitier était d’ailleurs en or, pour les 10 ans de Sarpaneva et en hommage à son père joaillier.
Un autre boitier existe pour la K0, de forme similaire mais en construction stepcase de 46mm.
Bien évidemment, des tas de variations existent pour quasi tous les modèles présentés en images.
La collection Korona :
• La K1 est le modèle de base, 2 ou 3 aiguilles et date ou no date.
• La K2 est la version « Kaamos », avec absence de cadran.
• La K3 est la version avec phase de lune.
La lunations (2019) est sa première montre à intégrer un mouvement maison construit autour de la complication. C’est le top du top chez lui avec phase de lune précise sur 14000 ans en fibre optique.
Sarpaneva K2.1On passe à mon modèle.
Pourquoi le choix d’une Sarpaneva ?
Parce que mon regard sur l’horlogerie a évolué et que je souhaitais une pièce qui ait du sens à mes yeux, une pièce pour laquelle je sais qu’un ou plusieurs bonhommes réels ont passé du temps dessus et une montre qui sorte du commun de ce que l’on voit et des standards de conceptions industriels.
Ma GMT2 est une super montre à 8k, quand elle a atteint les 12.5k sur le marché de l’occasion, j’estimais qu’elle ne les valait pas. J’avais l’opportunité « d’upgrader » ma déjà belle montre pour accéder à un graal pour lequel il m’était impossible de dépenser autant sans la plus-value générée par la revente de la Rolex.
J’ai toujours adoré la phase de lune si caractéristique de Stepan Sarpaneva, pour laquelle on reconnait instantanément la marque. Et j’ai eu un coup de foudre sur une photo de la Lunations.
Après une discussion avec Stepan, la Lunations étant à 32.000 HTVA, il a fallu que je revois mes ambitions ! Le modèle PDL était trop cher également, mais la K1-K2 envisageable ! Beaucoup d’éléments étaient similaires avec le design de la Lunations, je pouvais donc avoir quelque chose de ressemblant au modèle sur lequel j’ai eu un coup de foudre.
Nous sommes partis sur la base de la Kaamos (mot finlandais signifiant le sentiment que l’on peut ressentir avec une absence de lumière, souvent procuré par les longues périodes hivernales sans soleil).
La Kaamos parce que j’aime l’absence de cadran qui la rend mécanique et moderne ainsi que la profondeur de cadran que génèrent l’ensemble des pièces. Mais aussi et surtout parce que c’est ce modèle qui met sa complication en avant. On cherche souvent la date sur sa montre et pas ailleurs et celle-ci est en générale pas bien intégrée ou plus ou moins bien. Presqu’à chaque fois que je regarde un cadran, je me dis qu’il serait mieux sans date. Ici, la date est une composante essentielle du cadran.
Au fur et à mesure des photos fournies par Stepan Sarpaneva et de l’évolution de la montre, j’ai affiné les choix (vrai casse-tête quand les possibilités sont si nombreuses) pour partir sur le modèle présenté.
Le boitierLe boitier, comme évoqué plus haut, est une évolution de ses premiers modèles, moins atypique que les Loiste et Supernova et plus singulier et représentatif que les versions précédentes des Korona. Il puise donc son inspiration du pignon à rochet kickstarter d’une Harley Davidson.
- Il est en acier Supra 316L/4435 Outokumpu (acier de provenance finlandaise)
- Ses dimensions sont de 42mm, d’une « excroissance » du boitier à l’autre
- Ses dimensions sont de 39mm, d’une partie creuse à l’autre
- L’ouverture de cadran est de 35mm et le corne à corne est de 46mm
- L’épaisseur est de 9mm et des poussières
- Elle est étanche à 100m
Le boitier, constitué d’une lunette, d’une partie centrale et d’un fond, est intégralement poli à l’exception du dessus des cornes et du fond. Ce dernier est vissé par 8 vis et brossé circulairement. Il contient les marquages assez profonds : « SARPANEVA », « KORONA K2.1 » et « NO.1 », ce qui me laisse penser que je suis le premier à posséder une variante de la K2 Kaamos.
Le contraste de la brillance du boitier et du cadran plus sombre et mat donne l’impression d’un halo de lumière autour d’une planète. Coïncidence ? Le mot Korona signifie « couronne » et en astronomie, la couronne solaire est la partie de l'atmosphère du Soleil située au-delà de la chromosphère et qui s'étend sur plusieurs millions de kilomètres en se diluant dans l'espace. Lors d'une éclipse totale de soleil, elle apparaît autour du disque lunaire noir comme un anneau lumineux au pourtour irrégulier.
La couronne reprend cette même forme de pignon a 6 dents, elle est de finition polie, assez volumineuse donc très facilement préhensible et vissée.
Le saphir légèrement bombé est traité avec plusieurs couches d’antireflet interne et la marque est gravée sur le verre en suivant le flanc du boitier de 13 à 14h. Cette marque est « fantôme », elle n’apparait que sous certains angles.
Le cadranPartie supérieureJ’ai traduit les mots de Stepan qui expliquent les origines de sa « grille » :
«
Une nuit, il était très tard, en rentrant chez moi avec mes amis, la Lune était pleine et lumineuse et brillait sur les grilles de fer ajourées qui entoure les arbres de ma rue. Pour je ne sais quelles raisons, ces détails sont juste apparus dans ma tête et y sont restés. Alors, le lendemain, j'ai commencé à dessiner et à jouer avec la forme. J'ai fait des découpes de papier de la forme ajourée de la grille et j'ai commencé à les empiler l'une sur l'autre... Quand j’ai répété l’opération avec des pièces métalliques, un de mes amis a remarqué que cela avait quelque chose qui suggérait la 'couronne' (corona) autour du soleil pendant une éclipse solaire. C'est ainsi que le cadran de la gamme Korona a été formé ; juste un regard furtif sur quelque chose qu’on voit chaque jour, mais pour lequel on n’a jamais prêté attention avant. »
Et malgré cette origine pour le design de cette grille, elle inspire à son créateur une forêt, ou un ciel de nuit nuageux, ou encore le cosmos.
Le « cadran », c’est-à-dire ce qui se trouve au-dessus de la platine avant du mouvement, est composé d’un assemblage de 4 pièces.
Elles se superposent de gauche à droite, d’abord la structure supérieure des sur-index, les index, la grille principale et un support. L’ensemble de ces pièces est brossé et revêt un traitement de couleur gris un peu plus foncé que la platine du mouvement et bleu pour les index (pièce 2).
La grille principale (pièce 3) de cette Korona est formée de 148 trous (plus 4 pour les vis), qui demandent des heures de travail manuel de limage et de polissage au tour horloger après avoir été coupées au laser. En effet, la première étape consiste à limer les petits dépôts filamenteux et les arêtes vives. Puis, tous les bords, et il y en a un paquet, sont polis afin que chacun ait le même angle pour assurer de jolis reflets.
C'est un travail qui requiert une main stable au vu de l'épaisseur de 0.3mm du cadran. Il en va de même pour le rotor et les autres éléments du cadran !
Par rapport à ce travail, Stepan m’a dit (je paraphrase/traduis) : «
ça se passe parfois plus facilement mais normalement non… ».
Partie inférieureLa partie inférieure du cadran est en fait le dessus de la platine du mouvement. Stepan crée un perlage sur l’extrémité, couleur acier clair que l’on voit également sous la date.
Cette dernière est, comme presque tous les éléments, revêtue d’un traitement DLC pour sa teinte et les chiffres de la police, unique car créée par Stepan, sont découpés au laser. Le disque fait 0.15mm d’épaisseur et se plie assez fréquemment lors du traitement de surface, ce qui signifie qu’il est bon à jeter lorsque ça arrive.
Enfin, le disque central avec perlage du mouvement est traité en bleu. Ce disque possède des découpes qui laissent entrevoir certaines parties du mouvement, comme l’incabloc, des rubis, certaines roues, etc.
Les aiguillesLes aiguilles heures/minutes sont colorées en bleu selon un traitement par PVD. Leur forme me fait penser aux aiguilles des montres F.P. Journe mais avec un décrochage des flancs au niveau du centre du cadran. Elles ont une moitié polie et l’autre sablée et sont en laiton pour être le plus léger possible.
L’aiguille des secondes est couleur acier clair, similaire aux extrémités du cadran, sablée sauf en son centre où le rond est brossé de façon circulaire.
Le luminova à l’arrière des aiguilles étant destiné à la Lunations, j’ai choisi de ne pas en mettre sur le devant des aiguilles.
Le mouvementLe mouvement est un mouvement Soprod A10 (SOP Alternance 10), maintenant appelé M100. Ce mouvement de 25 rubis battant à 4 hertz est doté une réserve de marche de 42 heures, d’un système antichoc par Incabloc et d’un balancier en glucydur. Il est entièrement conçu et produit en Suisse par la société Soprod et ses partenaires de la filiale Festina tel que mhvj qui produit l’échappement.
Le choix d’un Soprod A10, apparu avec la Korona, vient de sa fiabilité et du fait qu’il ne soit pas un ETA ou clone d’ETA. Ce mouvement permet également d’être travaillé comme le veut Stepan. A mon sens, c’est aussi un mouvement diffusé en large quantité, facile d’accès pour ses pièces, qui ne coutera pas grand-chose à entretenir et n’est pas captif d’un SAV particulier.
Pour la K2.1, la platine principale est plaquée en rhodium noir et les ponts rhodiés pour donner deux tons. Une finition en perlage décore l’ensemble et la platine est agrandie pour y insérer la date personnalisée (le système de fixation a été créé par Stepan). Une découpe est aussi faite au laser pour voir à travers la date personnalisée les oscillations du balancier.
Il est agrémenté d’une masse oscillante reprenant l’aspect de la grille, avec un revêtement DLC bleu. Deux masses en or grainées tiennent compagnies à la fameuse moonface également en or 18K.
Selon Stepan Sarpaneva, les gens en Finlande déambulent entourés d’une aura de légère mélancolie, donc créer une lune avec un sourire était hors de question. A la place, il a décidé de lui donner une aura de mélancholie aristocratique et de laisser le doute quant à savoir si le visage est heureux ou triste. L’expression de cette lune est la même que celle des gens, chez lui.
Cette lune mi-souriante, mi-grimaçante, de Sarpaneva prend forme via un processus complexe. La première étape consiste à créer un dessin dont la taille représente six fois la taille réelle, puis à découper un modèle grossier à partir de plaques, où une pièce correspond à chaque niveau d'élévation du modèle surdimensionné. Ces pièces sont ensuite fixées ensemble pour former la plaque modèle pour le pantographe, qui usinera les différentes formes en un petit morceau de cuivre de la taille réelle de la phase de lune. Cette version en cuivre, qui servira plus tard d'électrode, est ensuite nettoyée et « affinée » par un maître graveur avant que les contours ne soient électro-gravés par électroérosion (EDM) dans un bloc de pressage en acier, créant une image négative du visage. Enfin, les yeux sont modelés à la main dans l'image négative (grâce à cet outil d’estampage, la lune peut être créée à partir de n'importe quel matériau doux : or, argent, cuivre, etc.) et le tout est fini par un maître graveur et poli au diamant avant un durcissement sous couche, suivi d'un autre polissage.
Le packaging et braceletsLa montre a été expédiée en 23 heures de Finlande en Belgique à mon domicile via Fedex, chapeau ! (après 8 mois d’attente, elle pouvait bien). Elle vient dans une surboite noire ornée d’une Moonface et sa petite boite en bois est un vrai objet de décoration.
J’ai reçu de nombreux goodies, certes c’est un détail mais ça fait toujours plaisir : deux t-shirts, un papier journal dédicacé qui reprend l’histoire de la marque en anglais, des stickers et un sac en toile.
J’ai pu choisir mon bracelet parmi le stock qu’avait Stepan. Pas de bleu dispo donc j’ai pris un mauve histoire d’affirmer encore plus le caractère de cette montre. Les autres étaient trop classiques à mon goût. La boucle acier est bien faite et reprend légèrement le motif des flancs du boitier. Au final, j’ai reçu ce bracelet croco mauve, un autre noir sans boucle, un MN strap avec la Moonface sur le fermoir et un Hirsch caoutchouc noir ultra souple avec la Moonface estampée dessus.
Oui OK on a appris beaucoup de choses sur ta montre, merci, mais au final t’en penses quoi ? Le choix a été très difficile parce que toutes les possibilités existent et que peu d’exemples sont là. C’est compliqué d’imaginer le rendu final. Je voulais des aiguilles bleues, je voulais une grille acier, je voulais une date assortie à la grille, je voulais des index bleus. Au moins ça donnait un bon départ ! Le reste s’est décidé au fur et à mesure, selon aussi les recommandations de l’horloger.
Le disque central a été un casse-tête pour le choix final, j’avais opté pour un gris et Stepan m’a envoyé une photo d’un gris et d’un bleu… Juste un test… Ce bleu m’a fracturé l’œil droit mais j’ai longtemps été en hésitation avant de le choisir définitivement pour la touche qu’il apportait en plus, pour ne pas ajouter un troisième gris différent au cadran et parce que c’était le choix préféré de Stepan.
Au final, je suis ravi, je n’aurai pas pu mieux choisir !
La montre est cohérente, originale mais pas outrancière, elle est très moderne et poétique avec ce magnifique disque bleu comme le ciel ou l’océan caché derrière cette grille. Et quels reflets avec le perlage ! Elle me fait penser aux dessins animés « Le château dans le ciel » ou encore « le château ambulant » des studios Ghibli.
La profondeur de cadran créée avec la grille est superbe et ses reflets sont magnifiques (celle du dos également). Et puis cette lune au dos ! Quelle œuvre d’art, vraiment.
Il y a une multitude de détails à observer sur ce cadran. On peut voir le balancier vibrer derrière la date ou encore derrière la découpe d’un élément du cadran.
A la loupe X20, le travail est très bien fait, pas de grosse bavure, même si évidemment tout ne peut pas être « parfait ».
La question de la lisibilité s’est posée en fin de parcours, car en faible luminosité, la lecture n’est pas instantanée. J’ai conservé ces aiguilles malgré tout. Elles sont faiblement contrastées en soirée mais après quelques semaines je constate ne presque jamais avoir été gêné pour lire l’heure.
Après une première mesure, elle avance de 9 secondes de façon régulière, ce qui n’est pas extraordinaire.
Les +
- La qualité de réalisation et l’originalité de l’ensemble du cadran
- Ces aiguilles
- La Moonface est absolument sublime, l’ensemble du rotor aussi d’ailleurs
- Le boitier est original mais très facilement portable et fin
- L’expérience de la commande et du parcours avec Stepan Sarpaneva
- Mon graal horloger atteint !
Les –
- L’absence de luminova et donc de lecture de l’heure dans le noir
- La RDM du mouvement plutôt faible en 2020
- La précision qui aurait pu être affinée
- Allez Stepan, t’aurais pu foutre une boucle sur le deuxième bracelet croco !