Lassé par Rolex, il se tourne vers la haute horlogerie

C'est vers 14 heures ce jour-là que Escalier Mécanique (son nom a été modifié pour des raisons de confidentialité) se rendit chez son AD habituel pour prendre quelques nouvelles en toute courtoisie, ayant terminé un rendez-vous et un déjeuner à deux pas de l'échoppe et pour savoir si, par hasard, ils avaient quelques modèles de derrière les fagots à lui montrer. L'idée saugrenue qu'ils puissent avoir une pièce qui l'eut intéressé ne lui était même pas venue à l'esprit, il était plutôt d'humeur à discuter horlogerie en essayant quelques belles montres pour le plaisir et peut-être aussi, inconsciemment, pour ranimer la flamme qui s'était sinon éteinte, du moins atténuée ces derniers mois. Il avait en effet fait le tour de la question car, selon ses dires, sa collection quasi mono-marque le comblait pleinement et les modèles qui lui restaient à acquérir pour avoir la collection complète, comme avec les autocollants Panini, ne l'intéressaient guère. Quand aux autres marques, elles le laissait plutôt de marbre. Bref, il avait du temps à tuer.

L'horloger, une connaissance de longue date maintenant, se rappelant à son bon souvenir de quelques pièces soigneusement entreposées pour les fidèles clients, fit alors ce qu'il lui parut opportun : il les sortit et les présenta à la future victime.

D'abord interloqué quand il les vit arriver, Escalier Mécanique ne reconnut pas immédiatement un des modèles qui l'avait vaguement surpris quelques mois auparavant à la visualisation de quelque vidéo YouTube prise au hasard des recommandations du site, un soir de solitude. Il attendit donc que le vendeur lui présente les deux références pour qu'enfin le déclic se fasse dans son cerveau de carpochronophile encore éteint par la digestion du repas qui lui prenait une grande partie de son énergie.

Elle était là. La montre qui lui avait ranimé la flamme pour quelques instants furtifs au travers d'une vidéo sur Internet était devant lui. Simple, très simple même, elle ne hurlait pas son existence mais se laissait calmement contempler dans toute sa grâce et sa sobriété.

Il la prit en main. Ses deux aiguilles en or blanc se posaient majestueusement sur le grand vide d'un cadran sans autre marque que les initiales de la marque elle-même, à douze heures, appliquée et sobre, comme un chuchotement. Un discret "Swiss Made" était la seule autre littérature de ce cadran, guilloché à la main par un de ces rares artisans qui ont la patience de cet art.

Il comprit alors ce qu'il avait entre les mains et actionna sans plus attendre le bouton à 8 heures ; la magie opéra instantanément : une seconde aiguille des heures, en or rose, se fit alors entrevoir tandis que l'aiguille en or blanc sautait d'heure et heure à chaque pression.

Intrigué par les sentiments que lui faisait ressentir ce bel objet, Escalier Mécanique, avec la complicité de l'horloger, fit ce qui était inévitable : il passa la montre au poignet. C'est à cet instant précis que les choses tournèrent en sa défaveur, si l'on peut dire, car il eu l'impression sublime et universelle que cet objet avait été fait sur mesure, pour lui et lui seul.

Une pression rapide et ferme sur le bouton en or rose de la couronne fit disparaître la seconde aiguille des heures. Tout était redevenu comme avant sur la montre. En revanche, lui n'était plus le même.

Tout allait très vite dans sa tête. La petite voix qui s'y trouvait et qui, depuis quelques temps maintenant, l'avait laissé en paix, se mit à rire et à chanter, tandis qu'il essayait de la contenir pour conserver un semblant de dignité et de maintien de sa personne dans la boutique, alors qu'on lui proposait un café qu'il eu bon ton de refuser — il était déjà trop excité.

Il resta un bon moment à contempler son poignet, sur lequel était posé le boîtier en acier serti d'une lunette en platine. L'objet lui seyait divinement. La montre était pourtant silencieuse, elle ne hurlait pas comme ses précédentes acquisitions, elle était juste là à donner l'heure, sans même se soucier d'une quelconque date ou même des secondes qui passent — mon Dieu cela aurait instantanément détruit la poésie océane de ce grand cadran bleu.

Escalier Mécanique était à la fois désemparé et heureux car il venait de renouer avec sa passion d'une manière tellement inattendue et spontanée qu'il ne lui était pas permis d'appréhender toutes les subtilités des sentiments qu'il ressentait alors. Lui qui appréciait tant le minimalisme dans les arts venait de découvrir que celui-ci pouvait exister sous une forme qui l'enchantait dans le monde de l'horlogerie.

Il écoutait l'horloger lui vanter les qualités de la montre et le fin travail artisanal que représentait le mouvement qu'il admirait maintenant au travers du fond saphir, tandis que le micro-rotor s'animait au hasard de la manipulation de l'objet. Complice, l'horloger lui présenta une loupe 10x afin que le guillochage n'ait plus de secrets pour lui et que la montre se dévoile pleinement à son futur propriétaire, dans toute sa finesse et sa précision.

Qu'avait-il pensé là ? Futur propriétaire ? Il se voyait donc déjà en possession de la belle, discrètement attachée à son bras pour lui rappeler qu'être à l'heure ne signifie pas forcément être précis à la seconde près et que d'autres êtres qu'il côtoie vivent sous d'autres latitudes ? Etait-il possible d'envisager une montre ainsi ? tandis qu'il restait hypnotisé par son image dans le miroir de la boutique, le garde-temps revenu à son poignet.

Tout allait trop vite. Sa main droite, celle avec laquelle il avait l'habitude de sortir son portefeuille, se rappela du geste familier. Ses yeux brillaient. La petite voix hurlait dans sa tête.

Escalier Mécanique était enivré par la beauté celeste de l'objet et par la simplicité de la complication proposée. Il joua encore quelques instants avec celle-ci, laissa finalement l'aiguille des heures rattraper sa jumelle et finit d'admirer les subtils détails du bracelet parfaitement intégré au boîtier.

Il ne pouvait plus rester dans la boutique une seconde de plus.

Il prit congé en prétextant le besoin de réfléchir tandis qu'il se promettait de ne pas trop y penser justement. Il rentra rapidement chez lui, léger et anxieux à la fois. Il tenta de se calmer en regardant un film. Il se dit que ses prochaines vacances lui feraient sans doute du bien.

Une tres belle parmi que tu as essayé là

Jolie prose ! Hâte de lire la suite

Tellement bien écrit que je me suis sentie comme aspirée par ton récit ! Hâte de voir la suite !

PS : merci pour l'indice trinita, j'ai bien cherché pendant plusieurs minutes avant de trouver de quelle montre il s'agissait 

 trinita a écrit:

Une tres belle parmi que tu as essayé là

J’ai aussitôt pensé à ce modèle également (Tonda PF)

Oui, belle histoire que voilà. Même si on devine la suite, on apprécie !!!

Je pense aussi avoir deviné de quel modèle il s'agit et je comprends la CHI qui a démarré !

le ver est dans le fruit... 

La CHI est là et bien là. Escalier Mécanique ne dort plus, ne s'alimente plus, il prend des pastilles pour tenir le coup et passe ses journées les yeux rivés sur ses applications Hodinkee et Watchicity pour constater amèrement à quel point aucun autre garde-temps ne lui fait tant d'effet.

Il cherche, en vain, un palliatif.


… et merci pour vos sympathiques commentaires 

Escalator a écrit:

La CHI est là et bien là. Escalier Mécanique ne dort plus, ne s'alimente plus, il prend des pastilles pour tenir le coup et passe ses journées les yeux rivés sur ses applications Hodinkee et Watchicity pour constater amèrement à quel point aucun autre garde-temps ne lui fait tant d'effet.

Il cherche, en vain, un palliatif.


… et merci pour vos sympathiques commentaires 

Hélas, aucun espoir de guérison !!!
Une seule solution, verrouiller ses comptes bancaires. 

Vivement la suite des aventures d'Escalator, euh pardon je voulais dire Escalier mécanique....
Et merci aux autres pour les indices, superbe montre!

Cramix a écrit:

Hélas, aucun espoir de guérison !!!
Une seule solution, verrouiller ses comptes bancaires. 

Ah ben zut, mon banquier est en vacances 

Escalator a écrit:

Il cherche, en vain, un palliatif.

je devais etre le deuxieme ou pas loin sur fam a succomber a cette marque en 2007,
la premiere a continué sa route au poignet de Guy, la deuxieme m'accompagne régulièrement depuis,
malgré 15ans a entendre les mauvaises langues dire que la maison allait fermer cela ne m'a jamais détourné
de la marque et je suis très heureux de voir le fil des heureux propriétaires être aussi vivant, au plaisir de t'y
lire bientôt alors ...

Escalator a écrit:

...
Tout allait trop vite. Sa main droite, celle avec laquelle il avait l'habitude de sortir son portefeuille, se rappela du geste familier. Ses yeux brillaient. La petite voix hurlait dans sa tête.
...

À suivre…    

... seule solution = amputation de la main droite 

J'adore, merci pour ta prose.

Compte-tenu de ton pseudo et de l'expérience que tu vis, une seule référence me vient en tête : 

@Escalator : Un récit fort sympathique et agréable à lire. Hâte de lire la suite

Escalator a écrit:

... Il avait en effet fait le tour de la question car, selon ses dires, sa collection quasi mono-marque le comblait pleinement et les modèles qui lui restaient à acquérir pour avoir la collection complète, comme avec les autocollants Panini, ne l'intéressaient guère...

J'aime beaucoup cette phrase. Très représentative de la frénésie autour de la marque à la couronne
Obnubilé par la montée des échelons, la passion d'Escalier Mécanique se résumait à cocher les pages de son catalogue au fil de ses acquisitions.

Panini a écrit:

J'aime beaucoup cette phrase. Très représentative de la frénésie autour de la marque à la couronne
Obnubilé par la montée des échelons, la passion d'Escalier Mécanique se résumait à cocher les pages de son catalogue au fil de ses acquisitions.

quelle que soit la marque je n'ai jamais compris la monocollectionnite...

Et finalement quelle montre a fait chavirer Escalier Mécanique ?

Tekila a écrit:

Et finalement quelle montre a fait chavirer Escalier Mécanique ?

Il s'agit de la Tonda PF GMT Rattrapante.
Je n'ai pas encore chaviré, mais je tangue dangereusement !

Escalator a écrit:

Il s'agit de la Tonda PF GMT Rattrapante.
Je n'ai pas encore chaviré, mais je tangue dangereusement !

Elle est superbe et la complication GMT est géniale

Escalator a écrit:

Je n'ai pas encore chaviré, mais je tangue dangereusement !

IL

Magnifique cette montre, en effet, je comprends qu'elle fasse tanguer dangereusement Escalier Mécanique.

Merci pour le récit!
Super lecture. Cette PF a en effet beaucoup pour plaire.
Tu la décrit comment discrète, c’est une qualité intrinsèque de la montre (Matériaux,finition, cadran?) ou c’est par rapport à la marque à la couronne? Je n’ai jamais vu la PF en vrai, mais je me dit qu’elle doit être bien visible tout de même.

Excellent récit ! Escalier mécanique devrait songer à prendre l'ascenseur, la vie est trop courte

Très belle prose, merci de la partager avec nous, c'est un pur plaisir à lire !