Le monde horloger est prudent. Avant d'investir, il faut être sûr de soi, certain que l'investissement sera amorti dans de bonnes conditions, que l'on a pris un risque mesuré, que l'entreprise est viable ... Quoi de plus normal, c'est la règle dans tous les milieux industriels.
Nous sommes pourtant placés devant un phénoméne assez exceptionnel. Depuis plus de 15 ans, la vague horlogére enfle sans discontinuer et la plupart des marques du paysage horloger ne s'émeut que depuis que le géant tentaculaire SwatchGroup a annoncé la cessation des livraisons des ébauches non terminées et le plafonnement des livraisons de mouvements terminés.
Dans beaucoup de milieux, la pression exercée par un géant oligopolistique entraine des réactions collégiales, pour ne pas dire collectives et de la collégialité du besoin naît un géant de substitution qui bien vite connait à son tour, une dissidence entrainant la naissance d'un autre géant.
Le monde horloger n'a pas réagi de cette manière. Si parfois, ici et la des groupes ou des groupements se sont constitués, c'est pour multiplier les effets d'annonce et avoir tout de suite une lecture marketing du problème en annonçant la création de nouvelles manufactures. Le mot est lâché et depuis deux ans, il n'est plus une semaine sans annonce de création ici d'une manufacture , là d'un calibre in house etc...
En y regardant de plus près, on voit vite que les calibres réputés maisons sont fabriqués le plus souvent pour tout ou partie en sous-traitance avec un développement pris en charge par des tiers qui se frottent les mains et rient sous cape de lire les présidents de marques vanter les qualités de leur direction "Recherche et développement".
De fait, si l'on visite la manufacture car là c'en est une, "Jaeger LeCoultre" où l'on voit des métiers très pointus cohabiter pour tout fabriquer de la vis de fixation à la roues, en passant par les bureaux de conception tout cela sur 25 000 mètres carrés, on s'interroge forcément quand une manufacture s'annonce sur 2 000 mètres de surface.
Evidemment, le questionnement est judicieux car très vite, on voit que beaucoup de choses de ces calibres dits de manufacture est fait à l'extérieur des entités qui en revendiquent la paternité. Mieux, on retrouve parfois mais ne faut-il pas dire souvent, des mouvements de conception ancienne tombée dans le domaine public et vaguement transformés.
Parfois avec un peu plus de pugnacité, une entité produit partiellement un moteur souvent imparfait parce que la conception sur ordinateur par de jeunes ingénieurs ne remplace pas l'horloger à l'établi. On voit donc des calibres automatiques sans date rapide dont on nous explique que la caractéristique est faite pour gagner en épaisseur en oubliant que des marques comme Longines ont atteint la perfection il y a 30 ans , on nous ressert des calibres Unitas aux ponts modifiés, des réserves de marches sur des calibres de souche Chinoise, des mouvements qui ne remontent pas etc...
Si l'on s'étonne, le monde horloger a ses réponses toutes faites " Le temps de développement d'un nouveau calibre est tellement long , comprenez-vous ". Et pourtant , ça y est , on y arrive . Pratiquement, on va réellement nous présenter des calibres de manufacture dans des montres 30 à 100 % plus chère, 30 à 80% moins fiables sur un marché qui pourrait régresser de 30 % selon les spécialistes.
Là, il faut reconnaître que la lenteur, le défaut de réactivité et le manque de souffle vont se payer très cher. Swatchgroup qui a investi sagement et finalement poussé les autres à se débusquer tirera forcément son épingle du jeux mais il faut à n'en pas douter craindre le pire pour ceux qui s'enthousiasment encore et on investi massivement. Il suffit d'aller en Suisse pour voir que tout le monde construit et agrandit ses locaux. Après 15 ans d'embellie, il était temps. Dommage de concrétiser ses rêves quand la bulle éclate.
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).