On pourrait imaginer une fable de la Fontaine. "La rumeur chaque matin montait; Quand l'horloger, ses mouvements assemblait; De propos malsains l'auteur se nourrissait; Pendant que l'ouvrier à l'établi l'ignorait ..."
Chaque matin, infailliblement le soleil se lève, et des centaines, des milliers d'ouvriers et personnels des maisons horlogères comme partout dans toutes les industries et dans le monde actif, embrassent femmes et enfants avant d'aller prendre leur poste de travail.
Certains milieux industriels ou professionnels sont plus ou moins soumis aux rumeurs. La finance nage sur les rumeurs et d'une manière générale toutes les sociétés cotées en bourse sont sensibles à la rumeur. Elles y sont si sensibles que la valeur de leurs actions est en partie liée à la rumeur.
Dans l'horlogerie, il y a comme partout les sociétés cotées le plus souvent par l'entremise du groupe qui en est propriétaire et celles qui ne le sont pas. La cotation en bourse interdit de jouer avec la rumeur, c'est à dire de l'alimenter ou de la démentir en particulier pour les filiales des groupes cotés.
Le générateur de rumeurs prospère donc en milieu fertile puisqu'il ne risque pratiquement rien à hurler dès lors que ses interlocuteurs ne peuvent rien lui rétorquer. Tout l'art consiste ensuite à formuler les choses de la manière la plus habile pour pouvoir au cas où, démontrer que l'on tenait une information lorsqu'on véhiculait une rumeur.
"La pétanque jugée dangeureuse par le ministère des sports serait placée discrétement sous surveillance et une étude aurait été commanditée pour mesurer les effets d'une interdiction de sa pratique en l'absence du respect des normes de sécurité en vigueur. Le ministère a refusé de répondre à toute question sur le sujet et si l'on en juge à l'air géné des conseillers du ministre, il apparait bien que la pétanque soit dans le collimateur. Il est ridicule de nier l'évidence et jerappelle que j'avais expliqué avant tout le monde que les sports de boules pourraient bien faire les frais de la politique sécuritaire du gouvernement. La fondation internationale pour les jeux de pétanque qui se réunit une fois l'an, pourrait d'ailleurs limoger son président de 87 ans dont j'avais annoncé le départ en 2002 après son infarctus ..."
Avec rien, la rumeur peut enfler sans que personne n'en atteste ou n'en confirme le fondement. Notre horloger, lui, apprend la rumeur devant la machine à café quand son collégue lui dit l'avoir apprise en entendant "machin en parler" et plus prosaïquement aujourd'hui en jetant un oeil sur le net.
La rumeur s'ancre elle-même dans les esprits et la source "sûre" n'est autre que la confiance portée à l'écrit et que nos cultures reconnaissent dans un écrit du net autant que dans un écrit papier...
"Si on l'a lu, si on l'a vu" c'est que cela existe ...
On peut sans doute faire son métier de la fabrication des rumeurs, après tout, il n'y a pas de sauts métiers. La rumeur ne se stocke pas, échappe aux inventaires et n'est pas taxable ni éligible à l'impôt.
L'horloger sait tout cela. Quand la maison pour laquelle il travaille appartenait à une famille plus qu'à un groupe, il n'y avait guère que la rumeur des amours de la fille du patron qui nourrisait les esprits à l'heure du café. C'était tout de même un peu plus intéressant se dit-il, elle au moins vivait de vraies aventures... En parler ne faisait de mal à personne. Les auteurs des rumeurs ont bien changé, ils sont devenus carnassiers.
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).