On est en 1941 et les forces Allemandes chassent la population de certaines villes du nord est de la France. Les gens partent à pieds, en vélo , en voiture pour les plus privilégiés mais aussi dans des remorques tirées par des chevaux ou en engins agricoles.
La direction retenue est celle du Sud. Pour Jacques, 15 ans ce sera Realville. Ses parents lui ont dit de se débrouiller seul, alors sur son vélo il descend les 900 kilomètres de routes cabossées et pour la première fois se retrouve seul confronté à la vie, à cette solitude de gamin perdu, à cette peur de la nuit allongé dans la paille où les paysans l'autorisent à dormir à la belle étoile en lui donnant ici un bout de pain, là un morceau de fromage ou un fruit. L'enfers de la descente dure 8 jours. Et puis, le gamin s'arrête dans une ferme à Realville.
Une famille de fermiers comprend sa détresse et l'héberge ou lui offrant l'hospitalité et un réconfort comme s'il était un enfant de la maison.
Il raconte son périple, ses fréres ses soeurs laissés plus haut avec ses parents et il ignore que sa soeur a pris dans l'oeil un éclat de bombe pour avoir levé la tête trop tôt, un geste reflexe qui lui coutera la vue 40 ans plus tard.
Jacques repart de la ferme à la libération, on se promet alors de se revoir et de ne jamais s'oublier. Ces instants furent pour lui un moment important, un privilège du temps. Pour sceller l'amitié du gamin à de cette famille qui s'est ouverte à lui, le patriarche lui met dans la main une montre de poche en argent gravée de son prénom. Il l'a eue en 1919, juste après la guerre quand il fut récompensé d'avoir aidé une famille à s'en sortir après la disparition du père.
Jacques garde cette montre dans le tiroir d'une caisse en bois qui lui sert de table de nuit. Un jour, la montre disparait ...Un de ses jeunes fréres l'a prise et échangée à un autre gamin contre un appareil photo.
Jacques en est malade d'avoir perdu ce témoignage de fraternité. Il ne dit pourtant rien, habitué aux épreuves...
Il faudra des années pour qu'il raconte cette histoire de montre et le souvenir qui y était attaché. Rien ne la remplacera bien sur.
Il ne faut jamais s'attacher aux objets et pourtant ils racontent l'histoire des gens et témoignent de leurs souffrances et de leurs doutes. Jacques est mort il y a 11 ans sans avoir le temps de dire quoi que ce soit, il a perdu le souffle sans un mot d'adieux, sans un dernier message. il est mort comme il a vécu, secret et renfermé sur ses maux. On comprends mieux la souffrance des autres quand on la subit soi-même disait-il...
Il n'avait pas tort.
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).