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Quelles perspectives d'avenir pour le secteur du luxe ?
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La Rédaction de MoneyWeek, 08 janvier 2010
Quelles sont les perspectives d'avenir pour le secteur du luxe ?Hervé Thiard Tout d'abord, il faut savoir qu'il y a de plus en plus de millionnaires, entre autres dans les pays émergents, des millionnaires qui sont de grands consommateurs de produits de luxe. La deuxième tendance lourde se situe du côté des femmes : avec leur accession à l'indépendance financière et la hausse de leur pouvoir d'achat, elles consomment de plus en plus ce type de produits. Pour l'instant, 72% des cosmétiques dans le monde sont consommés par 14% des femmes.
Ensuite, je pense que la polarisation entre le low-cost et le luxe va se poursuivre. Le mélange entre les deux de la part des consommateurs va s'accentuer. Je pense également que le phénomène de déstockage touche à sa fin et que les prévisions de bénéfices vont continuer à s'améliorer. Concernant la croissance du secteur, pour 2010, nous prévoyons qu'elle sera nulle au Japon, de 5 à 6% en Europe et aux Etats-Unis et de 15% dans les pays émergents.
Isabelle Ardon A court terme, les groupes restent prudents et affirment ne pas avoir de visibilité pour Noël. Il est vrai que les clients achètent de plus en plus tard, tendance qui se confirme année après année. Les stocks chez les revendeurs sont bas, pour éviter de forts invendus, comme l'année dernière. Cela devrait avoir un impact positif sur les marges des distributeurs et également sur l'image des marques.
Nous envisageons actuellement pour 2010 une croissance mondiale du luxe d'environ 4%, hors effets devises. Les sociétés devraient bénéficier des effets positifs du restockage, après un déstockage massif en 2009. Les réductions de coûts qui vont se poursuivre au second semestre 2009 auront un impact positif en 2010 et nous attendons une amélioration des marges.
Si nous ne sommes pas très inquiets pour le cuir et les accessoires, le prêt-à-porter nous semble plus difficile. Les prix avaient beaucoup monté et beaucoup de marques, restées indépendantes, pourraient souffrir. Que ce soit dans les montres, la joaillerie, le cuir ou le prêt-à-porter, les grands groupes sortiront renforcés de la crise face aux petites marques.
Gérard Moulin En 2010, la croissance interne du luxe restera inférieure à ce qu'elle pourra être sur le long terme. Les groupes manquent encore de visibilité et l'avouent, comme l'a fait Richemont. Je suis moins optimiste qu'Hervé Thiard et je pense que la crise va laisser des traces durables sur le secteur du luxe. Je me demande aussi si l'image que les consommateurs "CSP+" [sigle désignant les catégories socioprofessionnelles supérieures] ont envie de donner aujourd'hui ne passe pas par moins d'ostentation – sauf dans certains pays émergents. En Californie, il ne faut plus rouler avec un 4x4 pour être à la mode, mais avec une Prius, voiture hybride.
Hervé Thiard Finalement, il est plus intéressant d'investir dans les marques qui représentent une véritable aspiration du consommateur plutôt que dans simplement le luxe. C'est par exemple le cas de Nike. L'aspiration des adolescents peut être si forte qu'ils sont prêts à payer plus pour une paire de baskets. Ainsi, dans nos investissements, nous privilégions les marques envers lesquelles les consommateurs ont une loyauté très forte.
Dans un tel contexte, quelles valeurs sélectionnez-vous ?Gérard Moulin Pour nos fonds, nous sélectionnons des valeurs en fonction du
pricing power, c'est-à-dire de la capacité des entreprises à fixer leurs prix. Dans les valeurs du luxe, la seule que nous ayons encore en portefeuille est
Tod's. Le luxe a longtemps été en position de force dans nos fonds, mais il est vrai qu'il a perdu un peu de son pouvoir avec la crise.
Quoi qu'il en soit, il est très intéressant d'observer les stratégies que développent les groupes de luxe dans la crise. Elles peuvent parfois être complètement opposées. Un bon exemple se trouve dans les champagnes. Ainsi, Laurent-Perrier a décidé de ne pas baisser ses prix, afin de conserver son image de marque auprès de ses clients et qu'ils reviennent vers lui une fois la crise terminée.
A l'inverse, Boizel Chanoine, après une forte chute de ses volumes, a décidé de diminuer ses prix. Ce genre de questions se pose également en dehors du luxe, et l'on retrouve cette même différence de stratégie entre deux géants de l'agroalimentaire, Nestlé – qui ne touche pas à ses prix – et Danone – qui les abaisse.
Hervé Thiard Nous regardons de près le pouvoir de détermination des prix, le niveau de marge opérationnelle et la génération de cash-flow. Cette dernière doit servir à bétonner le positionnement "premium" de la marque. Il s'agit d'une sorte d'alchimie du prestige. Si les conditions sont réunies, il peut alors y avoir génération de très forts bénéfices à long terme.
Notre top 5 se compose de
LVMH, dont les marges opérationnelles sont très intéressantes. Viennent ensuite
Polo Ralph Lauren,
Phillips - Van Heusen (la maison mère de Calvin Klein),
Dior et
Swatch. En sixième position, nous avons également
Coach. Notre fonds n'investit pas seulement dans le luxe, il recherche avant tout les sociétés dont les marques peuvent être définies comme premium.
Ce sont les entreprises qui proposent des produits uniques, pour lesquels les consommateurs ont un attachement fort et sont prêts à payer beaucoup. Voilà pourquoi nous avons Nike, ou encore Sonova, une entreprise suisse qui fabrique des appareils auditifs très haut de gamme. Nous nous intéressons également aux valeurs du tourisme, en particulier à l'hôtellerie de luxe qui a été durement touchée par la crise.
Isabelle Ardon Nous avons sélectionné
LVMH pour la force de sa marque Louis Vuitton, mais aussi pour sa division vins et spiritueux, qui va rebondir en 2010. Sephora est également une enseigne en plein développement, et ce au niveau mondial. Ensuite, je choisis
Swatch. La marque est présente depuis très longtemps en Chine. Elle offre des produits dans toutes les gammes de prix, des montres Swatch en passant par Rado ou Longines dans le milieu de gamme, jusqu'à Oméga, Breguet ou Blancpain dans le haut de gamme.
Nous aimons également l'américain
Coach, qui, dans l
'affordable luxury, c'est-à-dire le luxe abordable, a bien adapté son offre à la demande, tout en préservant ses marges. Nous sélectionnons également
Tiffany, premier joaillier américain, qui contrôle tout son réseau de distribution. Nous apprécions
Rémy Cointreau car, comme il a mis en place son propre réseau de distribution en Chine, il y regagne des parts de marché dans le cognac très haut de gamme.
Enfin, nous choisissons
Adidas, pour les raisons évoquées auparavant à propos de Nike. Mais Adidas
, qui a perdu des parts de marché aux Etats-Unis depuis deux ans, peut avoir un plus fort potentiel de progression. Une meilleure gestion de ses stocks a atténué le poids de sa dette et la Coupe du monde de football en 2010 devrait avoir un impact positif sur les ventes. Toutes ces sociétés recommandées sont exposées aux pays émergents et doivent bénéficier de leur essor.
Propos recueillis par Ingrid Labuzan et Alexandra Voinchet
http://www.moneyweek.fr/conseils/02531/luxe-perspectives-secteur.html