- Sissou a écrit:
- moi c'est les montres "SUISSES" depuis 31 ans et ce sera les montres "SUISSES" dans 31ans si je suis toujours là.
Le Swiss made, un label qui ne vaut plus grand-chose (l'article
d'origine dans la revue de presse de Worldtempus).
Galvaudé, le made in Switzerland de l'horlogerie doit être sérieusement revisité. Mais au-delà des bonnes intentions, les horlogers suisses peinent à trouver une solution satisfaisante pour tous.
La rumeur courait. Tissot, la montre suisse par excellence, violerait allégrement le Swiss made sur certains marchés, notamment celui des Etats-Unis. Bilan a alors acheté une Tissot électronique à 152. 25 dollars, dans un magasin spécialisé, à McLean, dans l'Etat de Virginie. Après une expertise réalisée en Suisse, le verdict est tombé: la montre en question respecte strictement l'ordonnance réglant l'utilisation du nom « Suisse » pour les montres, « à sa limite inférieure » (voir l'encadré ci-dessous).
Le mouvement est marqué par le code certifiant son origine suisse. Même si, comme l'autorise l'ordonnance, certaines de ses pièces constitutives ont pu être réalisées à l'étranger, pour moins de 50 % de leur valeur. Prémonté en Asie, ce mouvement est ensuite importé en Suisse pour y être assemblé par un procé
dé automatisé. Le tour est joué. Quant à l'habillage (boîtier, cadran, aiguilles, bracelet), il a été en très grande partie fabriqué en Asie. Sur le fond de la boîte, on peut lire la mention « Tissot Hongkong ». Cela ne trouble guère les douanes américaines qui, comme celles de Hongkong, ne s'intéressent qu'au mouvement pour
déterminer l'origine
d'une montre.
Si Tissot respecte le Swiss made sur le fil du rasoir, à l'instar de bien
d'autres
marques, certaines sociétés n'hésitent pas à le violer
délibérément. La Fé
dération de l'industrie horlogère suisse (FH) traite plus de cent nouveaux dossiers litigieux par année (voir l'encadré « La FH contre les pirates »). Ces derniers ne sont que la partie visible
d'un iceberg. Comme le reconnaît Jean-Daniel Pasche, président de la FH, l'organisation faîtière des horlogers suisses aurait encore du travail pour réprimer les abus si son personnel
décuplait ! Réuni le 24 novembre dernier, son conseil a pris une
décision qui va lui donner du grain à moudre. Il va mener « une étude
détaillée sur l'opportunité de réactualiser l'ordonnance sur le Swiss made ». Le ton est à l'extrême prudence. Nous ne sommes visiblement pas à la veille du grand chambardement. Pourtant, pour la première fois, les horlogers suisses membres de la FH ont trouvé un consensus. Les partisans
d'un nouveau Swiss made pur et dur, convaincus que la réglementation actuelle a été vidée de sa substance, semblent prêts à dialoguer avec ceux qui s'accommodent toujours plus
d'un cadre juridique mou, doux et flou. Lequel leur permet de hisser le pavillon helvétique tout en produisant le plus possible en Asie. Mais concilier les intérêts des uns et des autres ne sera pas une sinécure. Ce sera même « un grand
défi pour les horlogers suisses », selon Karl-Friedrich Scheufele, vice-président de Chopard, à Genève.
Ficelée au
début des années 1970, alors que les horlogers nippons suivis des Chinois de Hongkong commençaient leur grande offensive électronique contre l'horlogerie suisse, l'ordonnance sur le Swiss made était notamment destinée à rassurer le consommateur sur la qualité de ses articles. Elle lui disait en substance: « Vous qui êtes sensible à la tradition et au savoirfaire unique des horlogers suisses, sachez que votre montre estampillée Swiss made vous garantit absolument cette authenticité. » Mais en trente-cinq ans, l'Asie a passé du rôle de grand méchant loup à celui de la belle au bois dormant qui se réveille.
Cinq fois moins cher en Asie
« Jusqu'à un
prix public de 2500 francs la montre, le passage par des sous-traitants bon marché est devenu obligatoire », constate Pierre-Olivier Chave, président de PX Group, leader de l'habillement horloger à La Chaux-de-Fonds (NE). Une boîte acier de qualité fabriquée en Suisse au
prix de
250 francs coûte 50 francs si elle est produite en Asie. A qualité égale, ou presque. Ce rapport de un à cinq vaut aussi pour les mouvements à quartz. Mais s'il s'agit
d'une montre mécanique, plus celle-ci est compliquée, moins la nécessité de la produire en Asie s'impose. Difficile, voire impossible techniquement, c'est économiquement sans intérêt. Les premiers tourbillons chinois font encore pâle figure. C'est pourquoi les partisans
d'un renforcement du Swiss made se trouvent chez les horlogers qui se concentrent sur la haute horlogerie. Ainsi, Georges-Henri Meylan, administrateur-
délégué de la maison Audemars Piguet, au Brassus (VD), estime qu' « on fait fausse route en tolérant un Swiss made que l'on peut trop aisément contourner ». Pour Carlos Dias, patron fondateur de la maison genevoise Roger Dubuis, il est urgent de réformer ce label qui ne devrait servir qu'à promouvoir des produits intégralement fabriqués en Suisse. « Aujourd'hui, le Swiss made profite à des opportunistes du business prêts à expatrier notre savoir-faire dans des pays qui, un jour, deviendront de gros concurrents de la Suisse. »
Selon la réglementation actuelle, un mouvement horloger est
déclaré Swiss made si la moitié, au moins, de la valeur de toutes ses pièces constitutives est de fabrication helvétique. Mais il suffit pour cela qu'un seul composant réponde à ces critères ! Ainsi, une marque peut fort bien acheter en Chine la majeure partie des composants
d'un mouvement, à des
prix très bas, et se contenter de produire en Suisse une ou deux pièces à des coûts nettement plus élevés. A partir de ce constat, que faire ? Supprimer un Swiss made sans grande valeur, le réformer de fond en comble, le remplacer par une autre indication
d'origine ? Toutes les options restent ouvertes.
Un outil marketing
Les horlogers ne semblent pas vraiment disposés à voir sombrer leur made in Switzerland qui reste non seulement une nécessité juridique pour passer certaines frontières, mais aussi un argument de vente. Un consommateur chinois habitant Shenzhen n'apprécierait sans doute pas de
découvrir que sa montre « suisse » est en majeure partie fabriquée et assemblée dans l'usine de son quartier. Ce qui vaut pour l'horlogerie de luxe est également valable, mais dans une moindre mesure, pour les montres économiques. Il y a quelques années, une partie des montres Tissot et Mido étaient assemblées à Manaus, au nord du Brésil. C'était, pour Swatch Group, la contrepartie
d'une forte diminution des taxes douanières exigées par le Gouvernement brésilien. Les montres concernées ne portaient évidemment pas la mention Swiss made. Il y a environ deux ans, François Thiébaud, le patron de Tissot, a préféré mettre un terme à cette expérience financièrement alléchante, qui risquait cependant à terme de porter préjudice à la marque. Indispensable pour entrer dans certains marchés, comme celui des Etats-Unis, l'indication
d'origine helvétique confère à la marque horlogère qui s'en prévaut une image de qualité qui perdure encore aux yeux des consommateurs à l'étranger.
Des labels tels que le Poinçon de Genève, la Qualité Fleurier ou le Contrôle officiel suisse des chronomètres (COSC), aussi prestigieux soient-ils, ne peuvent dans l'immédiat remplacer un Swiss made
défaillant (voir l'encadré « Floraison de labels »). Le Poinçon de Genève, géographiquement limité au canton de Genève, et la Qualité Fleurier, étendue à l'Europe, ne sont pas des indications de provenance acceptables au regard des douanes. Mais ils pourraient sans doute devenir les modèles
d'un Swiss made à venir, qui ne serait plus limité au territoire helvétique, mais engloberait aussi quelques partenaires horlogers européens de la Suisse.
Au vrai, vouloir continuer à appliquer une seule indication
d'origine, à laquelle s'ajoutent de vagues critères de qualité, à l'ensemble de l'horlogerie suisse n'a plus de sens. Les montres « économiques » ne le seraient plus du tout si elles devaient être entièrement fabriquées en Suisse où la main-
d'œuvre est trop chère. Les montres « de luxe » ne le seraient plus si elles devaient être réalisées en Asie où les compétences ne sont pas (encore) au niveau helvétique. Un Swiss made à deux vitesses s'impose donc. Le premier serait proche de celui existant
déjà, rassemblant les
marques qui font à tout le moins l'effort
d'un contrôle final, selon les normes suisses. Le second, à créer, serait un catalogue
d'exigences très rigoureuses à respecter, concernant aussi bien le mouvement que l'habillage, l'assemblage que le contrôle final de la montre.
Chacun pour soi ?
L'ordonnance réglant l'utilisation du nom « Suisse » fait en effet l'objet
d'un accord entre la Confé
dération helvétique et l'Union européenne. Pour la réformer, il faut donc l'approbation de la Commission européenne et du Parlement européen. Eu égard à une telle procédure, la tentation est grande de laisser à chaque marque le soin de
défendre ses propres critères de fabrication et de qualité. Ce serait sans doute la solution la plus simple. Encore faudrait-il convaincre les douanes nord-américaines et chinoises de l'accepter et de renoncer à l'obligation de mentionner l'origine des biens manufacturés importés. Ce serait un miracle. Les horlogers suisses ont alors tout intérêt à s'entendre et à trouver ensemble comment rendre crédible un voire deux nouveaux Swiss made. Ce serait, là aussi, un authentique miracle.