On parle aujourd'hui de montres de luxe et de fait, les prix des montres en font des produits haut de gamme dans une société de consommation qui depuis 20 ans a replacé la montre mécanique comme symbole de luxe. Au dèbut du 20ème siècle, la montre n'était pas du tout perçue comme elle l'est aujourd'hui et nos ancètres y voyaient un instrument de mesure du temps qui donnait à son propriétaire la détention individuelle de l'heure. Il faut dire que cette approche était une véritable conquête sociale et que l'heure avant la création des montres à ancre, c'est à dire avant 1870 n'était donnée que par des montres à la précision aléatoire et les versions les plus précises étaient par leur prix réservées aux plus riches.
La fin du 19ème siècle démocratise l'heure et les manufactures pour répondre à toutes les demandes se mettent à proposer des montres sur mesure où le client définit tous les paramêtres ou presque de sa future montre. C'est un peu comme si tout était en option payante avec au final une totalisation des demandes du consommateur
Le rôle de conseil du détaillant prend toute sa dimension lorsqu’on découvre dans le catalogue de 1902, les déclinaisons multiples de modèles proposées par la manufacture à ses clients et les combinaisons qui leurs sont ouvertes.
Une fois que le client a opté pour un modèle Lépine, savonnette ou demie savonnette, il choisit la finition désirée du mouvement (à moins qu’il ne termine par ce choix, ce qui l’obligerait à s’assurer que les options suivantes sont disponibles pour le mouvement retenu). Il doit ensuite sélectionner son cadran. Le catalogue ne propose pas moins de 37 modèles de l’émail blanc, éventuellement nuancé de couleur crème (supplément de 0,50 francs), sous fondant ou noir facturés un franc avec ou sans heures paillon qui vaudra un débours supplémentaire de 3 francs. Il peut encore opter pour une seconde rapportée qui lui coûtera éventuellement 75 centimes de francs.
Le client n’en a évidemment pas terminé puisqu’il va devoir procéder au choix important des aiguilles avant de passer au boîtier de la montre. Le matériau est alors la première sélection à opérer. Avant que dans les années 20, on ne lui propose l’agate, il doit en 1902, choisir entre l’or, l’argent, le plaqué or, l’acier et le nickel. On parlera plus tard de métal blanc éventuellement nickelé. Si après avoir choisi un mouvement de 19 lignes, il opte pour l’acier facturé 17,50 franc pour un montre Lépine et 19,50 francs pour une savonnette, un « oxydage » ardoise brillant lui coûtera 1 franc de plus. S’il a choisi une demie savonnette, le gravage du guichet optionnel est facturé 1,5 franc et un filet de glace en or de 9 carats 2,50 francs.
Le choix d’une montre en boite faite d’argent n’est pas une mince affaire. Le prix de base est de 21 francs pour une Lépine et 25 francs pour une savonnette. Il faut en choisir le titre de 800, 875, 900 ou 935 millièmes avec à nouveau une majoration de 1 à 1,50 francs selon l’option retenue. La boite en argent peut être niellée ( + 6 francs en Lépine et 7,50 francs en savonnette), comporter une incrustation (ajouter 2,50 francs) par exemple, pour graver ses initiales et bénéficier de charnières en or et d’olivette en or pour 3,50 francs. La couronne enfin, peut être en or pour un franc de plus.
Les options du plaqué or sont plus limitées puisqu’il suffit de choisir un plaqué garanti 5, 10 ou 20 ans. Le plaqué est vendu à l’époque de 30 francs (Lépine avec plaqué or garanti 5 ans) à 57,60 francs (savonnette au plaqué or garanti 20 ans), plus cher que l’argent.
L’or enfin, si le pays de l’acheteur autorise le bas titre peut être de 14 ou 18 carats, il sera proposé à 9 carats quelques années plus tard.
La différence de prix est sensible entre la version Lépine et la savonnette car le couvercle supplémentaire augmente le poids de métal précieux. Les prix sont fonction des cours et sont manuscrits dans le catalogue. L’or d’une boite Lépine pèse 18, 20 (la cuvette est en métal dans ces poids), 23, 30 ou 35 grammes quand une savonnette est lourde de 24, 25, 30 (avec cuvette métal), 35, 38, 40, 45 ou 50 grammes (ces 5 dernières valeurs sont offertes avec cuvette en or). Selon le modèle et le poids, la montre est facturée hors options, de 72 francs pour une Lépine en version 14 carats avec cuvette métal (et seulement 18 grammes d’or) à 182 francs pour une savonnette en or de 18 de carats avec une boite de 50 grammes.
La savonnette à guichet est majorée de 1 à 3 francs et la boite à goutte 5 francs. Ces modèles sont réellement conçus avec le souci de plaire au plus grand nombre mais ne sont pas accessibles à toutes les bourses dans toutes les versions. Sans chercher dans les options supplémentaires de choix liées aux modèles, une évaluation de la montre est extrêmement significative. A l’époque, le salaire mensuel moyen d’un ouvrier spécialisé dans l’horlogerie qui travaille entre 58,50 heures et 60 heures par semaine est vers 1905 de l’ordre de 150 francs et de 27 francs de plus s’il est graveur guillocheur, c'est-à-dire au sommet de l’échelle des salaires des ouvriers en horlogerie.
Faisons le calcul du prix de revient pour le client d’une montre avec une boite acier oxydée et un calibre 15 rubis de qualité C (la meilleure « standard » et la plus courante), avec un cadran blanc classique.
22 Frs (Boite, calibre et cadran de base) + 1 Frs (oxydage) = 23 francs
Second exemple, celui d’un client qui souhaite une montre de type Lépine, un mouvement de 17 3/4 lignes de qualité Prima avec ressort de raquette, un cadran crème, boite en argent 935 millièmes de type Lépine avec du niel et une incrustation d’or.
27,50 Frs (base argent calibre + boite et cadran) + 3,50 francs (échappement antimagnétique) + 2 Frs (pour 4 chatons) + 1 Frs (ressort de raquette) + 0,50 Frs centimes (Seconde rapportée) + 1,50 (argent 935 millièmes) + 6 Frs (boite niellé) + 2,50 Frs incrustation sur niel) = 48,50 francs
Passons enfin à montre savonnette en or 18 carats de 45 grammes calibre extra (21 rubis) avec cadran sous-fondant à seconde rapportée, lunette et carrure galonnées, charnière or et couronne or.
179 Frs (base boite calibre et cadran) + 20 Frs (environs pour passer en qualité extra) + 1frs (cadran sous-fondant) + 2,50 Frs (carrure et lunette galonnées) + 0,75 Frs (seconde rapportée) + 1 Frs (couronne or) = 193,25 Frs
Les montres en or de haut de gamme sont évidemment d’un prix élevé au regard des salaires mais les prix d’accès sont très raisonnables dans ce que l’ont peut appeler des « montres sociales » qui donnent aux humbles et aux riches, une même chance d’accès à la détention de l’heure exacte. Ces montres sont toutes très précises avec évidemment une qualité supérieure en faveur des mouvements de qualité « extra ». ZENITH ne néglige toutefois aucune clientèle, ni couche sociale et même si on ne parle pas de parts de marché, l’universalité de la clientèle est bien un objectif cultivé inconcevable un siècle plus tard quand la montre est avant tout un objet de luxe.
Il est évidemment possible pour chaque client d’obtenir des versions spécifiques avec des cadrans peints spécialement, des décorations en émail, des ciselures et gravures de toutes formes, des incrustations de pierres ou perles et au final. Les variantes sont tellement larges que le client peut quasiment disposer d’une montre sur mesures.
La recherche de diversité et le besoin de conquérir des marchés vont pousser la manufacture Georges Favre Jacot et C° à multiplier les collections et en particulier, les collections thématiques.
C’est une véritable approche marketing emprunte de modernité qui fait ainsi proposer par la manufacture des collections comme celle par exemple destinées au marché Russe sous les marques Billodes et Diogène et décorées de scènes de cavaliers du tsar livrant le combats.
La montre moderne nbait à cet instant quand les horlogers comprennent qu'il faut donner au client l'envie non pas d'avoir une seule montre mais plusieurs... La notion de collection s'amorce !
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).