Comme beaucoup de rivières, la Marne est à certains endroits propice à la baignade en été. Le début septembre de 1942 connaît une période de forte chaleur après des orages parfois violents dans la seconde quinzaine du mois d'août ou des grêlons de plus de 70 grammes sont tombés en région parisienne. Les Allemands se sont installés un peu partout dans le département Marne et il est courant de retrouver des soldats voire des officiers en train de se baigner dans l'eau fraîche de la Marne.
Le niveau de l'eau est assez bas et lorsque le sol y est propice, les enfants se retrouvent souvent dans ces zones pourtant risquées afin de se baigner.
Le courant est pourtant assez fort et beaucoup de parents ont interdit à leurs enfants d'aller s'y baigner. "Je vous interdis d'aller jusqu'à la rivière " répète la mère de Jules et celle de Patrick à chacune de leurs sorties. Jules 14 ans et Patrick 15 ans vont s'affranchir ce 2 septembre 1942 des recommandations maternelles. Il fait chaud et discrètement, les gamins emmènent un maillot de bain.
Lorsqu'ils arrivent à l'endroit qu'ils connaissent, il aperçoivent sur une souche deux uniformes militaires allemands et divers effets dont deux pistolets avec leurs étuis et deux montres militaires posées à côté de l'un des uniformes sous lesquels ils devaient être cachés mais que le vent a dû déplacer. Les gamins s'accroupissent derrière des buissons pour voir les soldats sortir de l'eau mais visiblement ces derniers se sont éloignés de leur point de départ. "On s'en va " murmure Jules "S'ils nous voient on va se faire embarquer" "Non ! répond Patrick attends moi ! " et le gamin saute de derrière les buissons et se saisit des deux armes et d'une des montres, l'autre étant accrochée par une ficelle à la veste du militaire. En quelques secondes, Patrick est de retour et murmure à son ami "Barrons-nous !"
Les gamins courent à toute vitesse et sont très vite de retour chez Jules qui est tétanisé par la peur. "On a chacun un flingue " dit Patrick "... et je prends la montre" . "Je ne veux pas de ce pistolet " dit Jules en pleurant. " Trouillard !" se moque Patrick qui repart avec la totalité de son butin.
Lorsqu'il rentre chez lui, Patrick est attendu par son père. Il est 8 heures du soir et "tu devais être là avant 6 heures !" lui dit son père. Le gamin se fait discret mais son père remarque qu'il a caché quelque chose sous sa chemise. En quelques secondes, le père de Patrick se retrouve avec deux pistolets allemands entre les mains. "Vous êtes fous ! " dit le père en réponse aux explications de son fils qui prétend avoir été influencé par Jules.
"Je vais les faire disparaître ! Vous n'avez rien pris d'autre ?" demande-t-il "Non" jure Patrick. Les armes seront rejetées dans la Marne mais la montre est cachée par Patrick dans un trou existant dans le garage de son père sous un établi. Patrick enterre non seulement la montre mais avec du ciment, il rebouchera le trou. L'épisode n'a aucun écho et sans doute les soldats ont-ils dû justifier de la perte de leurs armes. L'affaire n'eut aucune conséquence. Jules et Patrick sont restés amis et en 1954, muni d'une pioche, Patrick est allé rechercher cette montre qui l'avait tant inquiété.
Il l'a placée chez lui dans une vitrine. Il raconte encore aujourd'hui cette histoire à ses amis partagés par la bravoure du geste et son inconscience.
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).