Le grand mea culpa horloger des CEO désemparées.
Comment tenter de convaincre qu'on a "tout compris" quand on voit poindre le vent contraire, celui de la tempête qui va vous pousser vers l'extérieur ? Les CEO les uns après les autres, ont leur interprétation de la crise qui s'est installée même si le discours officiel est d'annoncer une reprise.
La tendance est d'expliquer que l'on a mal communiqué, que l'on s'est trompé non par erreur stratégique, car non on ne commet jamais d'erreur stratégique, mais par emballement dû à l'enthousiasme, et qu'on a trop joué des messages creux et des superlatifs désuets. Autant dire que les mots "Tradition, iconique, intemporel, d'exception, garde-temps etc ... " sont ringardisés, cramés, has been et que le CEO nouveau tel le navet nouveau ou le Beaujolais chasse l'ancien par sa seule présence. Il faut en effet démontrer que tout a changé ! C'est comme ça qu'on rassure l'actionnaire et qu'on parle au client auquel aurait pu échapper la profondeur de la transformation.
Une Lange & Söhne vendue il y a 5 ans avec une communication frisant le ridicule n'a plus rien à voir avec une Lange & Söhne vendue aujourd'hui par le même staff mais avec des éléments de langage renouvelés. Richemont a sans doute battu le record de la communication décalée continuant à bavarder de la même manière alors qu'un séisme secouait toute l'industrie horlogère.
Pas de doute, dans l'anticipation de l'ouragan qui a touché le luxe micromécanique, Biver avait 2 ans d'avance. Il a non seulement vu venir la tempête, mais il a en outre sauvé les meubles et une bonne partie des matelots embarqués avec lui. Certes quelques têtes sont tombées par dessus bord mais à trop s'attacher à un seul chef, les cadres finissent par se vider avec l'eau du bain quand la branche se casse.
Nos CEO nouveaux et nos anciens renouvelés font plaisir à entendre. Le journal "Le Temps", le bien nommé est en cela devenu avec "la Tribune de Genève" un confessionnal helvétique où se précipitent les CEO pour hurler leur compétence retrouvée et les erreurs passées. Tout se passe si bien dans ces interviews qui jamais, non jamais ne poussent jusqu'à l'introspection et l'analyse des vraies causes des errements passés que les CEO en redemandent. Il est vrai qu'on les connait ... La prétention et une forme d'orgueil sourd aux avertissements extérieurs, ont perturbé les qualités managériales des grands CEO.
Finies donc, nous explique-t-on, les grandes dépenses non maîtrisées, "Vive la gestion !" Après avoir de manière boulimique englouti et gaspillé à tout-va des budgets colossaux en évènement incertains, actions sans échos, soirées sans retombées, l'horlogerie a tout compris !
Elle coupe le robinet de la publicité !
Faut-il revoir les cours dans les écoles de commerce ? En tous les cas, Omega, Hublot, Tag-Heuer, Rolex ou Breitling ont bien compris qu'il ne faut rien lâcher de la publicité ! En étant absente des pages des magazines, une marque s'enfouit sous terre et recule à grande vitesse. Ils sont extraordinaires les communicants des marques et leurs grands CEO, ils croient que l'idée qu'ils se font du WEB est pure vérité. "Réallouer le budget à quelques blogs vaudrait dix fois mieux que de continuer à s'afficher dans la presse".
On a comme par le passé, une analyse de sachants, des gens qui ne cherchent pas la vérité mais sont convaincus de l'incarner. Alors, comme le ferait l'enchanteur Merlin, ils distribuent la manne publicitaire aux meilleurs reproducteurs/duplicateurs de communiqués de presse. Ce sont forcément eux les meilleurs puisqu'ils ne changent rien du message originel de la marque. Et les blogueurs dupliquent tant qu'ils peuvent jusqu'au moment où les marques comprendront que cela ne change rien et leur couperont les invitations VIP à des évènements fadasses organisés pour eux et pour qu'ils répandent sur la toile le message dont on les a chargés.
C'est que les blogs qui caressent dans le sens du poil ne sont pas porteurs. Le sens critique n'est pas leur tasse de thé et d'images reprises en textes copiés/collés, l'uniformité des contenus les tue lentement mais surement faute de lecteurs plus curieux des critiques que de la consommation de ce miel trop sucré coulant de la ruche virtuelle des journalistes en herbe.
Il va y avoir des déçus ! Messieurs les CEO, soyez vigilants que toute cette population ne se retourne pas contre vous quand vous lui couperez les vivres car le revers sera sévère. Il n'est rien de plus méchant que le morveux affectueux que l'on écarte d'un revers de main pour lui signifier que l'on n'a plus rien à lui donner. Les blogueurs se feront roquets et les plus agressifs se feront pitbulls. Vous ne maîtriserez plus alors les réseaux sociaux. A trop leur donner aujourd'hui, vous vous condamnez à ne devoir jamais cesser de leur donner et là où vous pensez renouveler votre communication, vous la figez durablement.
On aurait pu imaginer que les sombres résultats d'une décennie d'errements aurait conduit à davantage d'écoute de la part des CEO mais non, il faudra que la crise soit davantage préoccupante, que la survie professionnelle de ces premiers de la classe soit l'enjeu du débat pour que la réflexion soit approfondie et que l'on cesse de laisser la voie ouverte à des communicants qui avec des outils des années 1980 tentent de convaincre qu'ils sont ancrés dans la modernité.
Il ne suffit pas de demander pardon, il faut encore tirer les bonnes conséquences de ses erreurs. Oui, vous avez raison de faire votre mea culpa mais n'en profitez pas pour annoncer l'avenir car vous n'en savez rien.
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).