Billet : Le culte des icônes horlogères

Quand j’entends le mot icône, deux significations me viennent à l’esprit. La première est liée à l’Histoire et plus particulièrement à celle de l’Empire Byzantin – appellation qui est arrivée en fait au XIXème siècle, les « Byzantins » n’ayant d’ailleurs jamais cessé de se considérer comme des Romains. La représentation de Dieu a toujours été un sujet de débat en particulier dans les religions monothéistes. Dans l’art byzantin, cette représentation de Dieu avait abouti aux « icônes », chefs d’œuvre artistiques envers lesquels progressivement un culte s’était développé. En cette période de crise – l’Empire était confronté à de multiples invasions et jouait sa survie – les populations commençaient à rendre un culte à ces icônes, en vertu de la protection supposée qu’elles conféraient.

La seconde signification qui m’arrive en tête c’est évidemment nos FAMeuses « icônes horlogères ». Vous savez, celles qui reviennent inlassablement dans les communiqués de presse des marques ou sur leurs sites internet ou encore dans les médias. Si nous devions compter le nombre de fois que nous avons lu l’expression « icône horlogère » à propos d'une montre, nous pourrions croire qu’au moins la moitié des modèles actuels des marques sont des « icônes intemporelles » qui réunissent en elles « l’ADN » des marques concernées… « Intemporel », « icône », « ADN », tant de termes qui à force d’être utilisés à tout va sont devenus totalement vides de sens.

Entre les icônes de l’art religieux de l’Empire Romain d’Orient et les icônes intemporelles des communiqués de presse des marques, il existe quelques années-lumière d’écart mais permettons-nous un petit rapprochement.  

Qu'est-ce qu'une icône horlogère ?

Quand nous pensons à une marque en particulier, comme Omega, qu’est-ce qui vous vient à l’esprit en premier ? L’innovation ? La quête de la performance ? Le luxe ou du moins le haut de gamme ? En définitive, nous pensons souvent en premier aux modèles référents de ces marques. Pour Omega, ce qui vient à l’esprit c’est souvent la Speedmaster – et la « collaboration » récente avec la marque Swatch issue du même groupe pour donner naissance à la MoonSwatch n’a fait que de renforcer cette idée. Chez Rolex, plusieurs montres viennent directement à l’esprit, preuve que la marque a su stratégiquement multiplier les modèles qui peuvent servir aussi de référence à tout un secteur.

L’histoire de ces modèles peut être certes passionnante mais je pense aussi que ces « icônes » sont surtout des vaches à lait, des machines qui apportent la majorité du cash de ces entreprises. Imaginez que certaines marques peuvent percevoir jusqu’à 80% de leur chiffre d’affaires grâce à leur « icône ». Ce n’est probablement pas la marque Audemars Piguet qui vous dira le contraire avec la part de la Royal Oak et ses déclinaisons dans ses ventes – son PDG François-Henri Bennahmias  l’ayant d'ailleurs confirmé et disant de la Royal Oak que « c’est une marque dans la marque ».

Si beaucoup de médias recopient à n’en plus finir les communiqués sur les « icônes » ou les « intemporels » des marques, je me demande pour certaines marques si ces modèles sont d’authentiques icônes pour les clients ou si cela ne serait pas surtout pour les marques elles-mêmes. Quand une marque dépend économiquement autant d’un modèle en particulier, il serait normal qu’elle lui rende un culte me direz-vous, leur survie en dépend après tout. Bien entendu, les deux cultes peuvent co-exister dans une belle communion. Saint Speedmaster ou Déesse Submariner soient loués.  

Une marque a tout intérêt à créer ces « icônes », soit par un design, une histoire et des caractéristiques techniques singulières ou en la créant de toute pièce par la machine marketing bonne à faire écrire et répéter 100,000 fois dans les médias que leur nouveau modèle en un (énième) « intemporel ». Toutefois, dépendre trop d’une « icône » peut aussi être aussi une menace pour une marque surtout quand la « hype » devient « has been ».

Être prisonnier de ses icônes

Le culte des icônes peut en effet se retourner contre ses adorateurs le jour où elle se retrouve dédaignée suite à un retournement de mode. Je pense que Panerai serait en ce sens l’illustration la plus notable, la marque ayant construit son succès sur des modèles qui partagent un design reconnaissable entre tous. Si historiquement Panerai n’avait certainement pas le monopole du boitier coussin, plusieurs FAMeuses marques ayant eu dans leur passé des boitiers de ce genre quand les marques recherchaient des solutions pour rendre étanche leurs modèles, Panerai a réussi le pari dans les années 2000 et jusqu’aux années 2010 de capter et de fidéliser une clientèle importante qui recherchaient ce style de montres. Puis, un jour, la bulle a dégonflé. Et là arrive un problème notoire : le fait d’être prisonnier d’un design qui peut tomber (temporairement) en désuétude.

Personne ne veut imaginer, surtout dans les marques mais aussi pour les possesseurs, que les icônes perdent de leur attrait. Mais l’histoire nous a montré que les icônes peuvent être brûlées ou mises à l’écart pendant de longues voire même de très longues périodes. Nous ne rappellerons pas la crise iconoclaste du VIIIème siècle (cf. la querelle des images) ou bien plus récemment et dans un tout autre domaine celle du quartz – cette dernière suite à une rupture technologique mais aussi économique en cassant les prix – qui a mis tout un secteur en crise. Au final, si nos « icônes horlogères » ont fini par revenir sur le devant de la scène, c’était après une longue éclipse de près de 20 ans qui a accessoirement fait disparaître au passage de nombreuses marques.

In fine, les « icônes horlogères » ne sont pas si éloignées des icônes byzantines, du moins dans leur destin. Rappelons-nous des paroles de Saint Rémi : « Courbe-toi, fier Sicambre. Adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ». Il est bon de se rappeler que les iconoclastes du VIIIème siècle avaient eux aussi brûlé ce qu’ils avaient adoré auparavant. Il n’est pas exclu qu’un jour cela puisse se reproduire dans des domaines autres que le religieux.

QUE VIENS FAIRE CETTE IMAGE D'ILLUSTRATION? AVEC LES MAINS COMME ÇÀ, C'EST SÛR: IMPOSSIBLE DE LIRE L'HEURE!

En dehors de cela, il est possible également de ne pas oublier que les marques que tu cites (et les autres non citées mais connues pareillement, qui dépendent aujourd'hui de la défense et la mise en avant d'une de leurs montres en particulier) ont proposé une quantité incroyable de montres avant d'arriver à celle-là. Probablement issues d'une somme considérable de travail. Mais un jour tout s'aligne parfaitement et la clé fait jouer la serrure.

Ce serait ballot de jeter ces autres montres et le savoir-faire qui les a emmené là tout comme ensuite d'oublier d'utiliser le faire-savoir. 

Sur ce sujet je pense que ces entreprises ne peuvent pas repartir de zéro pour élaborer une nouvelle création en faisant table rase du passé. Tout le travail réalisé pour en arriver là ne peut pas être seulement écrasé par ce succès et ne servir qu'à ce succès. Elles doivent forcément maintenir présentes dans leurs catalogues les modèles phares, jusqu'à ce que l'ampoule éclaire moins...

Les montres sont ici notre sujet d'interêt et certaines sont des icônes à nos yeux. Dans d'autres domaines, la  ds pour Citroën, Marie-Galante pour Laurent Voulzy, La XT500 pour Yamaha... faute de rencontrer un impératif économique ces references reviennent toujours sur le devant de la scène et difficile d'aller contre. Elles nous plaisent.