Actu: Le pont gratuit qui hérisse la Ville de Genève

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Citation :: Le pont gratuit qui hérisse la Ville de Genève

Photo: Le Temps

GENEVE. Avec la bénédiction de l'Etat, la Fondation Wilsdorf offre de construire, aux Vernets, un pont d'une valeur de 10 millions de francs environ. Mais la Ville défend son propre projet de rénovation de l'ouvrage existant. Facture: 1,5 million.

Sandra Moro
Mercredi 28 novembre 2007

Genève peut-elle se permettre de refuser une telle faveur? Alors que la Fondation Wilsdorf, propriétaire de Rolex, offre, avec la bénédiction enthousiaste du canton, un pont pour remplacer l'une des passerelles délabrée de la cité, la municipalité présentait stoïquement hier son propre projet de réfection de l'ouvrage.

Le projet élaboré par la fondation privée, comme le révélait lundi la Tribune de Genève, prévoit la construction d'un pont à haubans (voir ci-contre) d'ici au deuxième semestre 2009, pour un coût de 10 millions de francs environ. Il permettrait de traverser l'Arve non loin de l'actuelle passerelle des Vernets, dont le siège de Rolex est tout proche.

Délabrement avancé

Construite en 1952 par l'armée, celle-ci est fermée à la circulation automobile depuis plusieurs mois, en raison de son état de délabrement avancé. Une situation qui irrite Pierre Mottu, le président de la fondation: «La passerelle a été fermée plusieurs fois cette année en raison des crues de l'Arve et, désormais, la circulation est limitée aux piétons et aux cyclistes. Il faut remédier à cette situation, mais pour l'heure rien ne bouge. Notre proposition a pour but de rendre service à la collectivité, elle s'inscrit aussi dans le développement du futur quartier de la Praille.»

Une aubaine pour un canton endetté jusqu'au cou, contraint aux économies et à l'austérité? Mark Muller, le ministre genevois des Constructions, l'affirme: «Ce n'est pas tous les jours que l'on reçoit un cadeau de cette valeur. Dans de pareilles circonstances, on peut dire merci, et faire en sorte que cela se réalise.»

Mais l'engouement du canton ne trouve guère d'écho auprès des autorités municipales, même si elles se gardent bien d'afficher une opposition frontale au projet Wilsdorf. Hier, le conseiller administratif Rémy Pagani, à la tête des Constructions et de l'aménagement de la Ville, présentait son propre projet de réfection de la passerelle, en deux phases, et pour un coût total de 1,5 million de francs.

La première étape doit permettre à la passerelle d'être sécurisée par une structure en bois et ouverte à la circulation alternée des véhicules à temps pour l'Euro 2008, en juin prochain a expliqué l'édile. Une rénovation qui s'impose, en raison des nombreuses manifestations prévues à cette occasion sur la plaine de Plainpalais, toute proche. Coût de cette première opération: 320000 francs.

La deuxième étape, qui devrait s'achever au printemps 2009, prévoit le remplacement du revêtement actuel par un béton plus léger et plus résistant. Quant à la structure métallique qui supporte l'ouvrage, elle serait uniquement consolidée en quelques points précis.

Source d'un vieux conflit entre la Ville et le canton, le financement des ponts et des passerelles «revient à la Ville», soulignait hier Rémy Pagani, «en vertu de la loi sur les routes, comme nous l'a rappelé le canton.» Faisant ainsi valoir ses prérogatives, la municipalité goûtait apparemment fort peu d'avoir été tenue à l'écart des discussions entre le canton et la Fondation Wilsdorf. «J'ai pris connaissance du projet dans la presse, aucune demande officielle n'a été formulée», expliquait Rémy Pagani, qui se disait cependant «ouvert à toute discussion avec les représentants de la fondation.»

Le canton et le mécène, eux, se défendent d'avoir voulu court-circuiter l'autorité municipale. «Il n'y avait aucune volonté de tenir Monsieur Pagani à l'écart, assure Pierre Mottu. Simplement, nous nous sommes adressés à Mark Muller, car les autorisations de construire dépendent de son département.» Le conseiller d'Etat dit pour sa part «comprendre que la Ville puisse être surprise», mais il souligne que le projet Wilsdorf n'est pas le résultat d'une négociation menée en secret. «On me l'a présenté tel quel il y a une quinzaine de jours», note-t-il. D'ailleurs, «il n'y a pas d'incompatibilité entre les deux projets, poursuit le ministre. Dans un premier temps, la réfection provisoire de la passerelle que prévoit la Ville est nécessaire.»

Le rôle de la collectivité

Mais Rémy Pagani défend l'ensemble de son projet, et voit les choses autrement. Le magistrat souligne que le fait de confier la construction d'infrastructures routières à des privés «pose un certain nombre de questions. A mon sens, c'est un rôle qui revient à la collectivité.» L'édile se dit cependant prêt à envisager une participation financière de la Fondation Wilsdorf. Qui semble cependant fort peu séduite par le projet de la Ville: «Nous sommes prêts à discuter d'un projet qui nous plaise, mais nous ne sommes pas là pour entretenir les ponts. S'il s'agit simplement de remettre à niveau la passerelle des Vernets, ce n'est pas un projet d'avenir susceptible de nous intéresser», souligne Pierre Mottu.

Quant à Mark Muller, son choix est fait et il ne doute pas que la Ville doive s'y plier: «Ce n'est pas parce qu'il incombe juridiquement à la Ville d'entretenir les ponts que l'Etat ne peut pas accepter un cadeau.»

http://www.letemps.ch/template/regions.asp?page=7&article=220345

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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).

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Citation :: Le pont privé de Genève

Editorial.

Yelmarc Roulet
Mercredi 28 novembre 2007

A travers sa Fondation Wilsdorf, Rolex propose de remplacer à ses frais un pont genevois qui menace de s'effondrer. Cette passerelle mène aux bureaux du groupe horloger mais elle aura aussi à desservir la Praille, le quartier du futur de Genève. Bien sûr, le mécène n'entend pas subventionner un simple rafistolage. Il veut associer son nom à une réalisation de prestige, un geste architectural contemporain jeté sur l'Arve.

Trop beau pour être vrai?

Comme l'histoire se passe à Genève, on pressent tous les dangers qui menacent cette belle idée. Cette ville, qui vit en bonne partie de l'horlogerie et du luxe, a l'art de faire fuir «l'argent des riches». La même Fondation Wilsdorf a retiré sa subvention au Grand Théâtre, dont elle était l'un des piliers, refroidie par la gestion du maire écologiste Patrice Mugny. Un maire qui regrettait aussi, lors de la dernière Fête de la communication, que le financement de cette réunion mondaine de la Genève internationale soit assuré par des privés. Il serait désastreux qu'un a priori idéologique pousse la Ville à préférer la simple réparation par les deniers publics de sa médiocre passerelle. Ou que les sempiternelles querelles entre Ville et canton sapent le futur pont. Il était certes peu habile de la part de la fondation d'avancer de conserve avec le canton sans en informer les premiers interlocuteurs concernés.

Il faut maintenant que la proposition Rolex, encore unilatérale, s'inscrive dans le cadre du partenariat public-privé qui se développe actuellement sous des formes diverses dans nos villes. Un type de collaboration qui représente un potentiel de développement considérable pour des collectivités endettées. Il y a eu des stades, il y aura des RER, d'autres réalisations encore à explorer en commun. La vocation d'une métropole comme Genève n'est-elle pas de mobiliser toutes ses forces vives, publiques ou privées peu importe? Le pont Wilsdorf, donc, pas le pont du Diable.