Comme notre bon Bilbon le hobbit, j’ai aussi récemment eu la chance de vivre une aventure extraordinaire. Et tel un Gandalf des temps modernes, notre vénéré modo Poilu, Tokage, (qui connait mon engouement pour la marque) m’a proposé de l’accompagner dans son périple : la visite de la manufacture Péquignet… La similitude s’arrête là. Je clôture néanmoins ce préambule par deux différences flagrantes :
· je n’ai pas quitté la Comté, mais j’ai rejoint la Franche-Comté (oui, je sais…)
· contrairement à Bilbon, je savais par avance que j’allais trouver le « précccccieux » !
Le décor est planté. Place au compte-rendu ! Gollum ! Gollum !
Lundi 19 novembre 2012
Après une bonne nuit d’un sommeil réparateur et un petit déjeuner roboratif dans un charmant hôtel mortuacien, Pierre Leibundgut passe nous prendre sur le parking de l’hôtel. Le brouillard est épais, comme si les ombres néfastes qui ont plané sur la manufacture s’attardaient péniblement. J’y reviendrai plus tard…
A notre arrivée, nous sommes chaleureusement accueillis par Didier Leibundgut. Nous nous installons dans son bureau et sommes rapidement rejoints par François Irion, le responsable communication. Rapidement mis à l’aise, nous entrons rapidement dans le vif du sujet. Heureusement, car une question me brûle les lèvres…
Qu’est-ce qui a bien pu pousser Didier Leibundgut à se lancer dans ce pari un peu fou (insensé diront certains) ?
Pour comprendre cette démarche, il nous faut replonger dans l’histoire et le patrimoine.
En 1960, 250 entreprises horlogères dont 15 manufactures sont implantées en Franche-Comté (situées plus précisément à Villers et… Morteau). L’horlogerie française représente alors 38% de la production horlogère. Les années 70 et l’avènement du quartz ne les épargneront pas, les conduisant inexorablement à leur perte. L’entreprise familiale Rectius Hora fondée en 1920 par le grand-père de Didier Leibundgut et alors tenue par son père faisait partie du lot.
En 2006, après avoir longtemps travaillé chez Zénith, ce petit-fils d’horloger, profondément attaché à ses racines, veut redorer le blason de l’horlogerie française, anciennement florissante. L’idée du Calibre Royal germe alors, telle une injonction du passé.
Mais pourquoi un tel mouvement ?
« Nous devions lancer un produit exceptionnel ou rien ! » nous déclare Didier Leibundgut. « Une exception technologique, mais aussi identitaire ».
Le postulat de départ est simple : le marché des « simples » 3aigilles propose déjà une offre pléthorique. Le choix de s’orienter vers une montre à complications s’impose d’elle-même. Mais là aussi, bon nombre de marques achètent des mouvements simples et y ajoutent des modules de complications. L’exception recherchée serait de proposer toutes les complications dans une même platine. Du jamais vu qui permettrait de diminuer l’épaisseur de la montre et de simplifier la maintenance.
Une grande inconnue subsiste : « Est-ce possible ? ».
La réponse positive viendra de Monsieur Huy Van Tran, alors maître horloger chez Greubel Forsey. Les bases étant établies, l’année 2007 sera consacrée à la recherche de fonds. 2008 verra naître l’installation des laboratoires. Forte de l’acquisition de 150 outillages, la manufacture produit 5 prototypes fonctionnels en 1 an. Tout semble être parti pour un lancement sur une voie « royale ».
Mais pourtant…
Les problèmes de passage de date.
Parallèlement, 2008 verra aussi poindre un bouleversement économique majeur. La crise financière est en marche avec, pour dommage collatéral, un amoindrissement du marché déjà largement dominé par les grands groupes horlogers. La situation n’est pas facile mais il faut continuer à avancer envers et contre tout car les investissements sont faits et les premiers résultats prometteurs.
En 2009, le premier article important concernant le calibre (encore nommé EPM01) verra le jour sous la plume de Pierre Maillard. « Toute l’horlogerie de luxe bougera » déclare ce dernier. Devant cet engouement, l’équipe de Péquignet, galvanisée, continue à peaufiner son produit.
Les premières collections seront présentées à la foire de Bâle en 2010. Là aussi, la presse est unanime. Un article de Laurent Picciotto parlera même de « révolution horlogère incontournable ». D’autres affichent un certain pessimisme voire scepticisme : ils ne croient pas qu’une aussi petite équipe puisse sortir un nouveau calibre innovant et fonctionnel avec si peu de moyens.
Malgré tout le pari est réussi et les collections sont présentées en 2011. Cependant, le diable est dans les détails, et le fonctionnement de la grande date qui donnait satisfaction au cours des tests, laisse entrevoir quelques soucis lors de sa commercialisation. En soi, rien d’exceptionnel dans le monde de l’industrie, et une correction sera apportée dans le design du mécanisme, fiabilisant l’ensemble, mais ces problèmes ont semé le doute chez certain, tandis que les Cassandre évoqués ci-dessus crient victoire. Et pourtant...
La suite, nous la connaissons tous. D’un côté, des montres iront de retour en SAV pour faire disparaître ces maladies de jeunesse (votre serviteur en a lui-même subi les affres) ; de l’autre, exténuée par tant d’efforts, la société doit demander un concordat judiciaire, avant d’être reprise par Philippe Spruch et Laurent Katz de la bien connue société informatique LaCie. Aujourd’hui, alors que les ennuis techniques et financiers font partie du passé, un nouveau chapitre s’ouvre donc pour le Calibre Royal…
Déjà plus de deux heures de discussions passionnées et passionnantes ! Il est temps d’entamer la visite des ateliers, ce qui me donnera l’occasion de prendre quelques photos (et je sais que les FAMeurs aiment les photos
)
Nous arrivons dans l'atelier de montage, spacieux et lumineux.
Nous nous approchons des horlogers, le plus discrètement possible pour ne pas troubler leur concentration.
Ici, séance de huilage
Montage du pont d'ancre
Un petit coup d'air pour vérifier que tous les engrenages tournent correctement (chaque établi dispose d'une "soufflette")
Le calibre est testé dans 6 positions différentes
Le calibre royal, presque nu...
Côté pile :
Côté face :
Nous nous dirigeons à présent dans l'antre du Maitre, le "papa" du calibre Royal, Huy Van Tran.
Celui-ci répondra à toutes les questions techniques que nous lui poserons, en illustrant ses propos par une vue en 3D des entrailles du mouvement.
Monsieur Van Tran, "auréolé" d'une Paris Royal
C'est bien joli tout celà, mais il faudrait peut-être penser à manger un petit morceau, si on veut tenir le coup jusqu'au bout.
Retour au bureau de Didier Leibundgut, où un plateau de produits du terroir nous attend.
Après cet excellent repas, nous repartons pour l'atelier du SAV.
Un mouvement remis d'applomb
Des pièces à profusion
Un dernier test avant de rejoindre son propriétaire
Nous clôturerons la journée par... des montres!
Il est déjà temps de partir. La brume matinale a enfin fait place à un soleil radieux, comme un auspice bienveillant augurant du meilleur pour l'entreprise.
C'est tout le mal que je lui souhaite (et vu les premières infos "off the record" de développement de la gamme prévue pour Bâle 2013, ça devrait aller
)
THE END