On peut facilement y perdre des heures.

L'homme a son atelier au fond d'une petite rue exiguë. On ne le cherche pas dans l'annuaire. A 76 ans, il est en retraite et la fumée doit conserver les viandes comme disait Gainsbourg car lui, il vit dedans. En 2 heures chez lui, on sent le tabac jusqu'à imprégnation de la peau. On a intérêt à bien respirer avant car c'est irrespirable dans son atelier peu ventilé. On m'avait prévenu, pas de critique sur la cigarette sinon, il se referme comme une huitre.

Perché sur une chaise un peu haute, le dos tordu, la loupe sur l'œil, il lève à peine les yeux quand on rentre chez lui. Deux ou trois photos au mur démontrent qu'il n'ignore rien de la physionomie intime de Clara Morgane. Vêtu d'un polaire qui doit être imprégné par la fumée, manches retroussées, il lève les yeux et me dit "Asseyez-vous, j'arrive". Il n'y a aucun siège libre pour s'asseoir. Les deux chaises usées de l'atelier servent d'étagères à des pendules en cours de service.

Après cinq bonnes minutes, mon horloger me lâche "Alors vous êtes collectionneur ? " Oui " réponds-je "Hélas, pour mes deniers". L'humour introductif fait toujours son petit effet mais là, rien.... Il me retourne juste "Je n'ai jamais collectionné, c'est ridicule". Voilà qui est dit. Je suis venu chez cet horloger pour lui acheter des pièces, une IWC de poche et une Omega de poche parait-il exceptionnelles.

Bravant la froideur de l'accueil, je lui demande ce qu'il porte. D'un geste désabusé, il retire la boucle en acier du bracelet en cuir de veau de sa montre en or. Une Patek Philippe Calatrava. Je m'extasie mais non, ce n'est pas la bonne méthode pour séduire le bonhomme " C'est une montre comme une autre" me dit-il. "Quand elle déconne, elle déconne comme les autres". Une Atmos sur une étagère semble être là depuis fort longtemps. Reliée au mur par une toile d'araignée, l'insecte qui n'est manifestement pas allergique ni à la fumée, ni à la poussière semble l'habiter.

Je commence à attaquer le motif de ma venue mais non, là aussi ce n'est pas la bonne méthode pour intéresser l'horloger qui veut savoir pourquoi j'ai fait un livre sur Zenith. "Votre pote me l'a prêté. C'est bien la première fois que je lis un bouquin sur l'horlogerie sans connerie dedans". "Merci". "Je n'ai pas de Zenith, je n'en ai jamais vu aucune de celles que vous montrez dans le bouquin. Elles ne passaient pas chez moi. Bah, je n'ai pas vu beaucoup de Longines non plus à vrai dire. Par contre, des Omega, j'ai eu à en voir des tonnes. Des Lip aussi ! Ah quelle merde !" "Pourquoi ?" "Parce que les gens les payaient pas cher et voulaient des réparations pas chères." "Mais les montres étaient de bonne qualité ?" "Oui, pas assez chères, c'est tout".

On est à une heure de tergiversations quand la première Omega sort du tiroir... Une 15 rubis en acier chromé sans intérêt. "150 ! Si vous la voulez c'est 150 ! " Je signifie mon manque d'enthousiasme avec diplomatie et sortent une dizaine d'Omega dont une en or mais sans intérêt particulier. Il en sort une de plus 10 minutes plus tard... Le nom d'un haut directeur d'une maison de champagne (même pas sûr) parti en retraite dans les années 1910 est écrit. La montre est dans un tel mauvais état que je la regarde à peine. Je lance alors "Et IWC ? Vous avez des choses ? " "Oui mais je les vendrai à celui qui prendra les Omega".

La discussion vient de se fermer, je demande à les voir mais non, pas question, il faut d'abord acheter les Omega. Chaque montre est vendue de 150 à 350 euros et 500 en argent et 1000 en or. "Je les ai depuis plus de 20 ans et je m'en fous de les vendre" La loupe revient sur l'œil, le tournevis reprend sa fonction et il me reste à m'éclipser en m'excusant pour le dérangement. Voilà, c'est ça être collectionneur... On peut facilement y perdre des heures.

Voilà encore un personnage de roman! Ca ne s'invente pas...

C'est un peu comme quand vous allez chez des vignerons recherchés. Vous demandez rendez-vous (sinon vous restez dehors), après avoir écouté la présentation du domaine, la philosophie du monsieur vous dégustez ce qu'il a envie de vous présenter, selon l'impression que vous lui faite. Et s'il consent à vous céder quelque chose, c'est lui qui décide de la quantité et de la variété. A prendre ou à laisser...

En plus, vu son âge, cet horloger fait ça comme passion, pas pour vivre alors...

francoisb a écrit:

En plus, vu son âge, cet horloger fait ça comme passion, pas pour vivre alors...

Ouais bon, ça ressemble plus à de l'ego que de la passion!
Ce pauvre homme se réfugie dans son travail, ses clopes et le porno, il doit pas avoir grand chose d'autre!

Enfin bon, chacun son truc...

A son âge je ne sais pas pour l'ego...

Pour le reste, j'ai déjà vu des personnes prendre trop au sérieux leur travail au point d'en oublier le reste, en particulier la vie "sociale" (famille, amis avec lesquels on passe du temps, des soirées).

Cet horloger à 100% raison.
Totalement à l'inverse du commerçant qui se doit de recevoir le client courbé en quatre, la bouche en forme de cul de poule, et la boite de cirage prête, et la brosse idem.
Le "patron", le décideur, étant celui qui a la came.
Le client, content, alors c'est parfait, pas content ... c'est pareil.
Et oui, et je viens de m'embourber un lot à la con, juste pour deux éléments, histoire que personne ne mette les pieds chez ce type.
C'est la vie, et je connais ça depuis plus de 40 ans.
Ego, passion ... mais oui, c'est ça ...
Ce type n'en a strictement rien à faire de vendre, des collectionneurs et du temps qui passe.
Il est dans le vrai absolu : ni acheteur, ni vendeur, et c'est la seule solution pour bien gagner !

En effet drôle de personnage, j'en ai aussi un par chez moi, toujours l'impression de déranger, j'essaye de lancer la discussion sur les montres, mais non, il coupe court, minimum syndical.

J'attends surement d'un horloger qu'il soit passionné et partageur, je dois avoir tort.

Arno a écrit:

Cet horloger à 100% raison.
Totalement à l'inverse du commerçant qui se doit de recevoir le client courbé en quatre, la bouche en forme de cul de poule, et la boite de cirage prête, et la brosse idem.
Le "patron", le décideur, étant celui qui a la came.
Le client, content, alors c'est parfait, pas content ... c'est pareil.
Et oui, et je viens de m'embourber un lot à la con, juste pour deux éléments, histoire que personne ne mette les pieds chez ce type.
C'est la vie, et je connais ça depuis plus de 40 ans.
Ego, passion ... mais oui, c'est ça ...
Ce type n'en a strictement rien à faire de vendre, des collectionneurs et du temps qui passe.
Il est dans le vrai absolu : ni acheteur, ni vendeur, et c'est la seule solution pour bien gagner !

Zen en a trouvé un comme toi

Autant je n'aime pas le côté "faux-culs" des vendeurs de boutiques dites "de luxe", autant ce genre de vieux m'exaspère.

Il n'aime pas les clients ? Et bien qu'il laisse sa porte fermée.

Il attend le pigeon pour refourger un lot de daube sans intérêt ? Et bien qu'il attende encore.

Si son seul plaisir est de "bricoler" des montres, qu'il le fasse, mais qu'il ne se sente pas obligé de mépriser le passant, sauf à lui donner l'impression d'être important, ça ne sert à rien.

On peut se prétendre passionné sans pour autant faire perdre son temps aux autres...

Toniodell a écrit:

En effet drôle de personnage, j'en ai aussi un par chez moi, toujours l'impression de déranger, j'essaye de lancer la discussion sur les montres, mais non, il coupe court, minimum syndical.

J'attends surement d'un horloger qu'il soit passionné et partageur, je dois avoir tort.

Il est clair que tu as tout faux.
L'idéal à atteindre est de se foutre du monde, de vendre ou d'acheter, ou du temps qui passe.

D'ailleurs ce type n'est pas passionné, il attend juste que le temps passe, tout seul avec Clara Morgane et ses clopes. Accessoirement si un collectionneur passe, il peux lui montrer qui est le patron - le clou de la semaine...

J'en suis malheureusement très loin...

Mouais ça ressemble fortement à un vieux aigri qui se raccroche à ce qu'il trouve pour éprouver encore quelquechose quitte à ce que ce soit en emmerdant le monde.
Il claquera probablement seul dans son atelier la clope au bec un soir de réveillon...

Ce qui est authentiquement désagréable c'est que ce type a clairement voulu me faire venir en parlant à un de mes amis qui lui avait indiqué que je pourrais être intéressé et m'a pris pour un pigeon parce qu'au prix de ses Omega , j'en suis vendeur !

ZEN a écrit:

Ce qui est authentiquement désagréable c'est que ce type a clairement voulu me faire venir en parlant à un de mes amis qui lui avait indiqué que je pourrais être intéressé et m'a pris pour un pigeon parce qu'au prix de ses Omega , j'en suis vendeur !

La question est de de savoir si la belle IWC existait , la belle Oméga non !!

ZEN a écrit:

La discussion vient de se fermer, je demande à les voir mais non, pas question, il faut d'abord acheter les Omega. Chaque montre est vendue de 150 à 350 euros et 500 en argent et 1000 en or. "Je les ai depuis plus de 20 ans et je m'en fous de les vendre" La loupe revient sur l'œil, le tournevis reprend sa fonction et il me reste à m'éclipser en m'excusant pour le dérangement. Voilà, c'est ça être collectionneur... On peut facilement y perdre des heures.

J'ai  rencontré  quelques 200  horlogers,  ayants  exercés entre  1950  et  1980.
La    période  pour  acheter  était  1980/1990.
Simplement  parce que 80 % des  boutiques  étaient  invendables,
en  raison  de  l'arrivée  du  quartz et  des  manèges  à  bijoux en  hyper.

Pour  acheter,  il  fallait  acheter  le  tout pour  la  plupart,
quitte  à  laisser  sur  place,  parfois,  un  monticule de  rossignols
qu'aujourd'hui se  vendent sur  le  bon  coin, par des sepudos collectionneurs.

Combien  de  fois  j'ai  entendu "j'ai  rien  à  vendre" ,  sans  connaitre  l’exactitude du  lot,
et  qu'une  fois  sur  place,  dans  une  cave  ou  cages  à  lapins,
 les  boites  bleues  de  rhabilleurs  étaient  remplis de  montres démontées  et  classées  irréparables...

C'était  le  quartz  et  on marchait  sur ces  vieux  chronos  délaissés  par  tous  ou  presque.
Le  collectionneur  de  montres  bracelet  naissait juste.

Quand  au  caractère  bien  trempé  de  l'horloger, comme  ses  burins,
il  existe. Il  faut  y  aller  à  pas  de  velours...
mais  on  renifle  à  100 m  l'emmerdeur (  très  développé  avec  son  mail  anonyme  et  sa  gueule enfarinée) ,
qui  voudrait tenter  sa  chance  d'escroquer celui  qui  ne'st  aps  un  lapin  de  3  semaines...

C'est vrai. On a vu il y a des années des boutiques entières à vendre avec dedans du bon voire de l'excellent et de la daube. Mon pépé sur ce coup n'avait je pense rien de mieux à me montrer. Il a été agacé de me voir ouvrir chaque montre et lui dire que c'était une version classique. J'aurais du m'en douter et j'aurais gagné 2 heures.

Il a certainement vu beaucoup de monde avant moi. C'était le choc des blasés ....

Eh bien moi j'aime assez ce genre de personnages, un peu bourrus au premier abord, dont l'attention et le respect se méritent au fil du temps (si cela arrive un jour, ce qui est loin d'être une obligation).

Merci en tout cas pour ce récit Zen  

ZEN a écrit:

Ce qui est authentiquement désagréable c'est que ce type a clairement voulu me faire venir en parlant à un de mes amis qui lui avait indiqué que je pourrais être intéressé et m'a pris pour un pigeon parce qu'au prix de ses Omega , j'en suis vendeur !

Bon, ça, c'est le coup foireux, qui hélas est relativement courant.
Mais bon, l'essentiel étant de pouvoir sortir la came, le reste est accessoire.
Pendant des années j'ai guetté une collection à tomber raide, à rendre visite à ce gars, ( qui n’était pas désagréable, d'une culture hors du commun, et d'une classe infinie ) régulièrement, à lui acheter des merdes pas possible, ainsi que mon ex assoce, à s'envoyer en l'air dans des conneries impensables.
J'ai claqué plusieurs dizaines de milliers de francs ... en vain.
Niqué sur toute la ligne. ( Tout au moins, rentré dans nos fonds, mais le gras du gras ... pfffttt ... parti )
C'est facile de dire qu'il fallait faire ça, ou mieux comme ça ... mais non, c'est inutile.
Car chaque adresse, chaque personnage, chaque situation à son problème, mais aussi sa faille.
Il suffit de la trouver, et de s'y engouffrer.
Je me suis rendu dans des centaines et centaines d'adresses dans ma vie, et jamais, pas une seule fois, ce fut le même processus, le même déroulement.
Ce sera pour une autre fois, voila tout.

Arno a écrit:

Bon, ça, c'est le coup foireux, qui hélas est relativement courant.
Mais bon, l'essentiel étant de pouvoir sortir la came, le reste est accessoire.
Pendant des années j'ai guetté une collection à tomber raide, à rendre visite à ce gars, ( qui n’était pas désagréable, d'une culture hors du commun, et d'une classe infinie ) régulièrement, à lui acheter des merdes pas possible, ainsi que mon ex assoce, à s'envoyer en l'air dans des conneries impensables.
J'ai claqué plusieurs dizaines de milliers de francs ... en vain..

Faut sortir autre chose qu'une oméga or à ce tarif!

Une souscription ?

fly back a écrit:

Faut  sortir  autre  chose  qu'une  oméga or à  ce  tarif!

Une  souscription ?

Il me semble d'ailleurs qu'il n'y avait aucune Omega.
Mais des dizaines de chronos, y compris tous les Type 20 dont Breguet.
Qqs Rolex, et des poches, et toutes à complications.
Tout est parti à New York ...
En horlogerie, nous n'avons pratiquement rien acheté hormis l'une ou l'autre pendule Directoire et Empire.
Pas mal de verrerie, dont des modèles rares et la méga tuile : une Aubusson XVIII éme, mais au premier plan un paon ...
P'tain, de tuile ...
Quand mon assoce s'est pointé avec ça à Biron, on a failli lui jeter des caillasses !
Pourquoi l'avoir achetée ?
Parce que il fallait l'acheter.

Sortir une très belle pièce aujourd'hui est tres compliqué.
Sauf à payer encore plus cher.