Le Chronographe LIP aux mains des armées de la première guerre mondiale
Les chronographes sont parmi les premiers instruments de précision dont furent dotés les militaires lors de la première guerre mondiale pour améliorer le réglage des tirs. La firme française LIP fut l’un des fournisseurs institutionnels des armées et livra plusieurs milliers de pièces aux militaires. La marque, très populaire, gagna en notoriété et rivalisa avec les plus grandes maisons suisses. La naisssance d’une grande firme horlogère En 1867, Emmanuel Lipmann, avec ses fils Ernest et Camille, fonde un atelier d’horlogerie sous l’enseigne « Comptoir Lipmann ». L'atelier devient, en 1893, la « Société Anonyme d’Horlogerie Lipmann Frères ». En 1896, le « Chronomètre Lip » est commercialisé et LIP devient la marque de la manufacture horlogère et prend alors place sur les cadrans des montres. La manufacture produit à ce moment, plus de 2 500 pièces par an. LIP ne va alors cesser de progresser autant dans la diversité des produits que dans les volumes fabriqués. La marque pratique de véritables opérations marketing et la publicité devient omniprésente dans tous les journaux de l’époque.
La concurrence est féroce face aux manufactures suisses avec lesquelles LIP rivalise avec habileté et malice. Les Lipmann qui font de nombreux déplacements en Suisse maitrisent parfaitement les orientations à donner à la production pour conserver des marchés sur lesquels les Suisses viennent également se battre.
Une politique de communication intense a donné des ailes à LIP Lorsqu’éclate la première guerre mondiale, LIP est sans doute l’une des marques qui investit le plus dans la publicité. Très vite, l’armée française déjà cliente de LIP, va commander pour ses artilleurs des chronographes afin de faciliter le réglage des tirs. En connaissant la distance à laquelle était placé l’ennemi et le temps mis par un obus à atteindre un point donné, on pouvait avec un bon chronographe adapter l’angle de tir et ainsi atteindre l’objectif à la distance voulue.
La manufacture annonce en 1916 avoir vendu des milliers de pièces aux armées françaises et alliées. Les références d’inventaires militaires à quatre chiffres gravées sur les pièces LIP attestent de la véracité de ces affirmations.
LIP ne fabrique pas ses ébauches de chronographes mais les achète en suisse. Ce sont essentiellement des mouvements Valjoux que la firme n’hésite pas parfois, à modifier pour y mettre ajouter une note propre à « LIP ».
Une marque omniprésente aux cotés des poilus Les montres livrées aux armées françaises sont gravées par ces dernières sur le fond « Guerre SG » suivi d’un numéro d’inventaire. La plupart des montres chronographes à vocation militaire livrées étaient en acier noirci, matière préférée au métal nickelé et à l’argent plus onéreux. Les cadrans sont marqués « LIP », « Chronographe LIP » ou « Chronotachymètre LIP ». Les différentes versions ont sur le cadran en émail, à de rares exceptions près, un double marquage des heures en périphérie avec au centre et en rouge, les heures postérieures à 12 heures. L’armée a manifestement privilégié la lisibilité des pièces et a quasi systématiquement opté pour des chiffres arabes. L’illettrisme des soldats en 1914 était relativement courant et l’armée devait « former » ses troupes à la lecture des cadrans et parfois leur apprendre à lire les chiffres, voire leur enseigner la lecture de l’heure.
L’armée française a beaucoup joué le jeu de la préférence nationale dans le choix de ses montres, en privilégiant la manufacture de Besançon. Les Lipmann n’hésitaient pas à intervenir au plus haut niveau pour défendre les intérêts de leur entreprise. Leurs efforts furent largement payants et la notoriété de LIP s’élargit grâce à la livraison de pièces aux militaires. Parmi les concurrents directs de LIP, Zenith dont une filiale était installée à Besançon ne bénéficia pas des mêmes attentions militaires de la part de l’armée française.
La marque LIP était à l’époque très populaire. Il était courant que des poilus portent à titre personnel des Lip, soit de poche, soit des montres bracelet. Chez LIP, en livrant les armées, on savait que cela renforçait la notoriété de la marque bien au-delà des garanties de commandes que cela offrait à la manufacture. Les porteurs de montres plaçaient autant de fierté à annoncer qu’ils portaient une LIP que ceux qui avaient choisi Longines ou Omega pouvaient en avoir. Voir des pièces LIP utilisées par les militaires procurait un sentiment de fiabilité et de longévité des instruments. La manufacture en communiquant dans ses campagnes de publicité sur son soutien aux armées, se rend ainsi encore plus populaire.
Un dynamisme à toutes épreuvesLip va aussi soigner son réseau de distribution. Les montres bien conçues et fiables sont aisées à réparer et les détaillants se voient consentir des facilités de paiement s’ils font de LIP leur marque leader. Les représentants de commerce chargés de faire vivre le réseau de distribution maintiennent un contact régulier avec chaque détaillant dont le stock est renouvelé rapidement. La manufacture met même à disposition des clients, des montres de SAV pendant le temps des réparations, une pratique héritée des américains.
LIP fait preuve d’une dynamique sans pareil à un moment crucial de l’histoire de l’horlogerie, histoire qui coïncide avec la guerre au cours de laquelle la montre bracelet va se répandre et venir progressivement se substituer aux montres de poche qui vont tout de même demeurer encore en têtes des ventes, plus de 20 ans, avant d’être dépassées en volumes par les pièces de poignets.
LIP ira pendant la guerre jusqu’à personnaliser les montres en diffusant sur ses cadrans, des messages glorieux ou encourageants à côté du nom de la marque. Il n’est pas une idée que LIP n’ait pas exploitée avant ou simultanément aux autres marques suisses. Le succès du chronographe est immense également auprès de la clientèle civile à laquelle LIP offre le choix entre l’acier et l’argent ou l’or.
L’image de LIP après la première guerre mondiale est celle d’une manufacture proche des besoins de ses clients et largement diffusée jusqu’à la moindre commune de province. LIP fut l’une des firmes qui assura la conquête sociale de la détention individuelle de l’heure juste, une marque transgénérationnelle dont on achetait les montres avec la certitude de pouvoir les céder à ses enfants.
Les armées finirent par réformer dans les années 30, les chronographes utilisés pendant la première guerre. L’évolution des armements rendirent ces pièces obsolètes même si les militaires lors de la seconde guerre mondiale utilisaient encore des chronographes de poche et notamment ceux de LIP ou Airin.
Témoins d’une époque, ces instruments de précision marquèrent les prémices des guerres modernes, celles où l’aviation allait devenir un redoutable moyen d’aller à la rencontre de l’ennemi avec à bord, des instruments tels les compteurs ou les altimètres que les horlogers allaient également fournir aux armées.
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