La fable du Montblanc, du chrono en or et de la comtoise

L'étude notariale se situait dans un vieux corps de ferme rénové. Tout le mobilier était rustique sauf le bureau du notaire taillé dans la loupe d'orme, un orme si large qu'il avait parait-il servi de lieu de loisir au début du 20ème siècle grâce à un ascenseur qui permettait d'y faire monter jusqu'à 10 personnes à la fois. Sur la cheminée de la salle d’attente, une pendule du 19ème siècle égraine le temps. Elle est outre la table basse où sont posées 3 revues notariales, le seul élément décoratif consenti à la rigueur du lieu. Elle est à l’heure tout comme le notaire qui respecte précisément l’heure de ses rendez-vous et indique à l’entrée qu’il  considère comme annulé tout rendez-vous dont le client a plus de 5 minutes de retard.

Le parquet craque et le notaire fait son entrée en salle d’attente. Il accompagne les clients jusqu’à son bureau dans lequel une pendule comtoise  très bruyante donne l’heure. La chose est ancienne et le notaire la regarde avec une admiration qui confine au fanatisme.
Sur son bureau, quelques codes Dalloz, un sous-main en cuir patiné par le temps, un énorme stylo Montblanc Meisterstuck en argent des années 80 et un chronographe de poche en or rattaché à une chaîne que le notaire déclenche au démarrage de ses entretiens.
Tranquillement, il dévisse le capuchon de son Montblanc, le pose délicatement et prend des notes l’œil fixé » sur la plume dont il admire la beauté. Je lui donne mon analyse du sujet, il confirme et aperçoit ma Rolex Millgauss au poignet. Il lève légèrement la manche de sa chemise et de sa veste et me montre qu’il porte lui aussi une Rolex, une Explorer.  Il se met à me parler de montres, il est passionné. Il me montre son Chrono en or, un Longines hérité de son père. Il va sur internet pour me montrer un modèle de Rolex qu’il envisage, une Datejust.
L’entretien devait durer 15 minutes et nous sommes à 45 minutes quand il s’arrête brutalement et me dit qu’il a pris du retard mais que ça valait la peine.

Je repars. Cet entretien n’a servi rigoureusement à rien. J’ai bien aimé son énorme Montblanc, je me souviens en avoir désiré un comme ça très longtemps. Ceux en argent étaient réussis. On les appelait des Solitaires, je crois.  Je suis à la porte de sortie du cabinet. Le notaire ouvre la porte de la salle d’attente. Auprès du client suivant, je l’entends s’excuser… « Désolé, j’ai dû régler une urgence ».

Je me suis acheté ce stylo en version Roller parce que les Meisterstuck  plumes Montblanc m’ont coûté dans le passé des chemises et des vestes.  La version mammouth est difficile à trouver mais avec un peu de persévérance, on finit par l’avoir. Je l’ai posé sur mon bureau …  la sérénité ne tient pas à grand-chose …