Une montre de bord, en anglais Deck Watch n'est pas une simple montre de poche.
En inventant le chronomètre de Marine au sens moderne du terme, John Harrisson avait pleinement conscience de la nécessité de miniaturiser son instrument de précision pour le rendre facile d'utilisation sur les navires. L'instrument était essentiel car il permettait de calculer les longitudes et donc facilitait le repérage des bateaux. Dans la seconde moitié du 19ème siècle chaque navire marchand possède à son bord un chronomètre de marine précis mais l'instrument est lourd, encombrant et fragile. La plupart des chronomètres de marine sont en effet de grosses pièces et si dans un premier temps l'armée se satisfait de ce type d'équipement, il va vite lui en falloir de plus grands nombres.
La difficulté est que l'industrie horlogère peine à fabriquer ces pièces dont le prix de revient est élevé, la qualité de fabrication difficile à assurer et la précision est un critère d'absolu nécessité. La marine militaire en outre, a vite des besoins de mobilité du matériel et avec des navires de plus en plus rapides, doit rechercher des équipements plus légers mais aussi précis que les chronomètres de marine.
L'industrie horlogère va donc devoir déployer un savoir faire exceptionnel à partir de la fin du 19ème puis au début du 20ème siècle pour offrir sous forme de grosses montres intermédiaires aux montres de poche et aux chronomètres de marine.
A partir de 1876, Ulysse Nardin va se spécialiser dans les chronomètres de Marine et excella en ce domaine au point de rafler tous les premiers prix de chronométrie dans la discipline des chronomètres de marine des concours internationaux de chronométrie de l'observatoire de Neuchâtel. Paul-David Nardin, le fils d'Ulysse est si doué que les concurrents abandonnèrent cette catégorie qui constate chaque année la victoire de la manufacture Ulysse Nardin.
Chronomètre de bord de l'US Navy vers 1910
La demande militaire se fait alors pressante de la part des armées pour équiper les premiers sous-marins et les navires de guerre. Il faut des chronomètres dits de bord, notamment pour les torpilleurs et autres vaisseaux militaires où les chronomètres de marine, trop chahutés risquent les chocs et des dégradations qui feraient manquer au capitaine cette information essentielle qu'est devenue l'heure autant pour le calcul des longitudes que pour la coordination des actions militaires et le calcul de la vitesse de progression de l'ennemi.
Ulysse Nardin remporte en 1906 et 1907 les épreuves du concours de chronomètres de Naval Observatory de Washington. 35 pièces sont en concurrence à Washington. 25 est le nombre de classement qui ne doit pas être dépassé pour qu’une pièce puisse être achetée par l’armée américaine. La perfection est 0 classement. Sur les 35 pièces, seuls 11 chronomètres ont été classés et ils sont tous suisses. 10 d’entre eux sortent des ateliers Ulysse Nardin.
Mais que sont des chronomètres de bord ? Paul Ditisheim en donne en 1922 dans son catalogue une définition intéressante qui mérite toutefois d'être amendée.
« Ces chronomètres de bord à ancre, sont utilisés sur les ponts des navires afin d’éviter d’y transporter des chronomètres de marine ou en lieu et place de ceux-ci sur les torpilleurs et vaisseaux de petit tonnage qui par le fait de leur construction, ont des mouvements violents et des vibrations nuisibles à des instruments plus délicats. Ils doivent atteindre une précision équivalente aux chronomètres de marine »
Il faut ajouter à cette définition l’utilisation sur les sous-marins qui doivent rester silencieux à l’ennemi ce que les systèmes radio ne permettent pas.
Ces éléments ainsi posés, il faut se poser la question de ce qu'est le chronomètre de bord et de la manière dont il se présente. Les militaires ont ici davantage subi ce que les fabricants voulaient fabriquer qu'ils n'ont bâti des cahiers des charges par eux mêmes. S'il existe des chronomètres de bord de 50 mm de diamètre voire un peu moins, les-dits chronomètres sont en général de grosses montres de 55 à 65 mm de diamètre, parfois un peu plus et les calibres les plus en usage sont des 20 lignes, 20, 5 lignes et des 22 ou 24 lignes. Plus les balanciers sont larges plus les montres ont des probabilités de haute précision.
Paul Ditisheim, Ulysse Nardin, Zenith, Vacheron & Constantin, Longines et Omega furent entre autres très actifs dans la production de montres de bord. Jaeger LeCoultre, Lange & Söhne, IWC ont également fabriqué de remarquables pièces.
Publicité Vacheron & Constantin en 1951
Chronomètre de bord Zenith 1924
calibre de 20,5 lignes de chronomètre de bord
Chronomètre de bord de sous-marin 1942 - diamètre de 50 mm
Avant la seconde guerre mondiale, aucune firme américaine n’avait jamais produit en série des chronomètres de marine. Les manufactures d’horlogerie d’outre Atlantique concentraient leur production sur les montres avec beaucoup de succès tant par les volumes fabriqués, que la qualité des pièces, reconnues comme très précises et d’une excellente finition.
L’engagement de l’armée américaine dans le conflit mondial crée dès 1939, un besoin conséquent de chronomètres de marine destinés à être embarqués à bord des navires de l’US Navy. Les militaires américains s’étaient jusqu’alors contentés des chronomètres fabriqués en Europe, essentiellement en Suisse, en particulier par Ulysse Nardin qui était reconnu comme détenant une immense expertise dans ce type de pièces. Cette manufacture accumulait d’ailleurs avec un quasi monopole, les premiers prix des concours de chronométrie notamment de l’Observatoire de Neuchâtel dans la catégorie des chronomètres de marine.
A partir du juin 1939 et jusqu’en juin 1940, l’USNO (United States Naval Observatory) qui était aux Etats-Unis l’autorité de référence en matière de chronométrie et d’instruments de navigation, s’adressa par courrier à huit compagnies américaines afin de les inviter à produire des chronomètres de marine pour l’armée. Les firmes horlogères américaines faisaient de la précision leur fer de lance et quasiment chacune disposait de son propre observatoire et d’un centre de recherche très pointu.
La firme Hamilton, de Lancaster, répondit à l’invitation de l’USNO par courrier le 2 juillet 1940 en sollicitant toutefois, que soit mis à sa disposition un chronomètre de marine du type de celui que l’on souhaitait lui faire fabriquer. Les experts de l’USNO après examen donnèrent un agrément officiel à la manufacture Hamilton, le 26 février 1941.
Chronomètre de bord Hamilton- Seconde guerre mondiale - 1943
Les chronomètres de bord doivent en général être précis avec une dérive inférieure à 30 secondes par semaine. Ce sont le plus souvent des mouvements dotés de 19 à 23 rubis rarement moins même si l'on en connait à 17 rubis. Ils offrent une heure de référence sur les navires et à ce titre sont en général conservés dans un coffret en bois lui même hébergé dans un caisson en bois épais. Tout est fait pour les protéger et à bord des navires militaires, un officier est chargé d'en gérer le bon usage et la conservation. Ces chronomètres de bord se voient ouverts à un véritable culte, ils sont une sorte de ligne de survie entre la terre ferme et la vie en mer. Ils garantissent le retour avec la certitude de ne pas s'échouer et ils offrent à chaque marin la possibilité de régler sa montre sur une heure fiable et commune à tous ce qui peut être vital. L'heure se respecte !
Les chronomètres de bord sont un peu l'alter égo des montres de chemins de fer qui bien que d'un format plus petit étaient aussi des chronomètres élaborés notamment pour ce qui concerne les montres américaines (voir sur Forumamontres l'histoire des montres de chemins de fer
https://forumamontres.forumactif.com/t24500-l-histoire-des-montres-de-chemins-de-fers ).
Il n'est pas rare qu'un chronomètre de bord fut d'abord un chronomètre de concours avant d'entamer une carrière militaire ou civile. C'est davantage vrai pour les montres suisses dont les manufactures recyclaient les mouvements que pour les montres américaines mais il arrive parfois d'avoir la surprise de retrouver dans les résultats des concours, des références de mouvements emboités dans des chronomètres de bord.
L'affichage de la réserve de marche n'est pas un critère qui fait qu'un chronomètre de bord est meilleur qu'un autre. Ce dispositif est simplement une sécurité qui permet au manipulateur de cet instrument de savoir s'il est remonté ou non. En général, par sécurité, le remontage est toujours contenu en marge haute afin de profiter du meilleur réglage calculé ressort de barillet tendu.
Un budget contenu d'environ 500 euros permet d'accéder à d'excellents chronomètres de bord russes des années 1970 et 1980 dont le mouvement est fabriqué à partir des étampes d'Ulysse Nardin et sur la base du calibre 22 de la manufacture. La finition de l'époque soviétique est certes moins élaborée mais reste tout à fait honorable. La précision est par ailleurs souvent excellente.
Les chronomètres de bord sont chargés de rêve et d'histoire, ils portent un savoir-faire horloger de haut niveau qui correspond à une parfaite maîtrise industrielle dans la fabrication des montres mais aussi à un art du réglage qui lui, fait appel à la main et à l'esprit de l'homme.
Droits réservé- Joël Duval - Juin 2017