Montres et régate ... [régatières]

Salut à toutes et à tous !

Pour le petit monde de la voile sportive, 2013 restera dans les souvenirs comme une année exceptionnelle !
Il est rare en effet qu’une même année voit se courir deux des épreuves les plus mythiques de la course à la voile: le Vendée Globe Challenge pour la course au large en solitaire, et la Coupe de l’América pour le match race autour de trois bouées en équipage.





C’est même la première fois que l’ arrivée du Vendée Globe et la finale de la Coupe de l’America se jouent la même année !
C’est dans ce contexte exceptionnel que je vous présente, dans un rendez-vous désormais classique depuis trois ans (voir ici et ici mes aventures en 2011 et 2012) mon équipage de régatières 2013, et répond par la même occasion à la question posée par ZEN en 2007… Un marin qui fait du déterrage (de post), original non ?

Pour cette année magique, mes ambitions étaient grandes, elles n’ont pas été déçues…  Le monde des Yachting vintage m’ayant depuis longtemps prouvé que ses horizons étaient sans limites, je rêvais à nouveau de construire un équipage international, haut en couleur, variant les mouvements et les marques avec toujours plus d’exotisme. Je n’avais pas prévu qu’il me serait donné par surcroit de rencontrer quelques collectionneurs renommés dans ces murs et de voir certaines de leurs pièces rejoindre mon équipage !

S'il veut connaître la victoire en régate, un équipage doit être compétent, faire preuve de culot (de bouteille), et posséder une bonne expérience de toutes les situations, accumulée au fil des milles parcourus. Si en plus il possède un bon répertoire de chants de marins, et qu’il sait tenir l’alcool sans tomber du quai, il est alors imbattable même à terre… Mais restons concentrés sur la compétition.

Pour la compétence, il me faut des équipières dotées d’ un mouvement classique, répandu et fiable, capable d’assurer la vitesse optimale au bateau à toutes les allures, un mouvement sans histoire sur lequel les autres équipières pourraient compter en toutes circonstances. Le hasard me guide vers le classique Valjoux 7733, présenté en trois variantes :

Pour commencer je trouve au Canada une modeste Candino Yachting Chronograph des années 80, dotée d’un V7733 standard:



Propriété de Festina depuis 2002 (ça y est j’ai déjà perdu trois quart des lecteurs…), la marque a toutefois un passé un peu plus glorieux. Créée en 1947, l’entreprise de Herbetswil a survécu à la crise des années 70 en produisant du quartz, tout en maintenant une production de montres mécaniques, notamment pour la plongée, ou elle revendique des montres étanches à 300 mètres. La marque signera un partenariat avec Steve Ravussin, voileux suisse célèbre, entre 2003 et 2005.
Cette petite régatière discrète a, comme ses soeurs plongeuses, le dos du boitier orné d’un plongeur (qui a bien pu avoir cette idée géniale ?) et est tout de même donnée pour une étanchéité à 200 mètres.



Discrète et sans histoire, je lui ai offert un Hirsch Rally façon racing qui lui permet de passer de la semaine au week-end en alliant élégance et décontraction.

Toujours dotée d’un Valjoux 7733, mais cette fois-ci agrémenté d’un S, j'ajoute à ce premier groupe une Seaboard-Yacht  de la fin des années 70.



Ceux qui suivent mes aventures depuis quelques temps se souviennent que j’avais déjà intégré une Seaboard similaire à mon équipage 2012. C’est donc la seconde, mais je ne me lasse pas de sa ligne épurée et de ses cornes de seamaster. C’est l’état dans lequel je l’ai trouvée qui m’a incité à la recruter: mécanique bloquée, boitier assez abimé, plus de poussoirs de chronomètre: arrachés, les deux trous laissés par les poussoirs avaient été rebouchés par des soudures à l’étain… Bref un petit travail de restauration en perspective…
Réalisé par les mains expertes d'un horloger vannetais, Christophe Phélippeau, elle m’est revenue transfigurée, et aussi précise mécaniquement que belle à porter. Voilà, je ne serai jamais Isosta même si j'essaie très fort, ouvrir une boite, voire sortir proprement un mouvement sont déjà pour moi des gestes de chirurgie cardiaque, ou peut-être ici plutôt de chirurgie esthétique, mais le simple fait de pouvoir sponsoriser une restauration apporte un petit bonheur supplémentaire à celui de collectionner ces vieilles dames !

C’est dans cet état d’esprit que je me suis attaqué à une nouvelle résurrection, toujours sur une mécanique de Valjoux 7733S, mais cette fois sur une montre très connue des FAMeurs, presque mythique pour certains, la Yéma Yachtingraf du début des années 70.



Je sais, c’est la troisième dans cette collection, mais c’est un modèle un peu addictif. Acquise à la dernière seconde d’une enchère e-bay assez animée, elle m’est arrivée dans un état de fatigue certain… La dame devait avoir quelques milles de course au compteur. Tout le mouvement bloqué, tige de remontoir faussée, réhaut avec échelle tachymétrique presque totalement effacée, boitier assez rayé. A l’ouverture il s’est avéré que le mouvement avait pris l’eau et que plusieurs pièces devaient aussi être remplacées. Plusieurs mois de patience, un réhaut réimprimé, toutes les pièces mécaniques abimées remplacées, un boitier remis à neuf, et voilà la dame reliftée pour quelques années !



Seule opération restant à conclure, le changement de l’aiguille de trotteuse centrale qui n’est pas d’origine. Mais la pièce semble plus compliquée à trouver qu’un marin sobre après minuit sur le port de Lorient … Si vous croisez cette aiguille, n’hésitez pas à me la signaler !!!

A la compétence de ces presque anciennes, il faut maintenant marier la hardiesse et le culot de la jeunesse. Composer un groupe de jeunes équipières qui ne craignent pas l’affrontement avec les équipages plus récents de l’ère du quartz, qui ne doutent de rien et croient même qu’on peut faire tourner une montre avec 50 pièces !

Je recrute tout d’abord en Angleterre une Ilona Yachting de 1975.



Déja présentée dans un précédent post, il s’agit d’un chronographe sans compteur qui embarque un mouvement simplifié, le BFG (Baumgartner Freres Granges) 597. Baumgartner a été créé en 1899 à Granges par Arnold Baumgartner avec l'objectif de fabriquer des montres à prix abordable et l'entreprise s'était spécialisée dans la montre Roskopf.
Pour les néophites de mon espèce, la montre Roskopf est née de l’idée (d’un certain Roskopf donc) qu’il était possible de fabriquer une montre économique avec peu de pièces, une cinquantaine environ contre 200 en moyenne dans un mécanisme courant. Le calibre chronographe de 1973, à ancre à goupilles, baptisé BFG 598, est un mouvement de 13,5 lignes qui existait en version 1 ou 17 rubis et qui disposait de 3 poussoirs à 2h, 4h et 8h. Son fonctionnement est assez complexe car il n’y a pas moins de trois compteurs et 7 aiguilles (6 sur le 597) : à 3h un compteur 5 heures, à 6h une trotteuse permanente, à 9h un compteur 30 minutes et en plus des heures et minutes, une autre trotteuse centrale permanente et l'aiguille des secondes de chronographe. Le premier poussoir à 2h démarre et arrête l'aiguille centrale des secondes. Le deuxième poussoir à 4h assure la remise à zéro après arrêt mais également la fonction retour en vol. Quant au troisième poussoir il assure exclusivement une fonction retour en vol de l'ensemble des trois autres compteurs qui travaillent donc de façon indépendante pour le chronométrage des temps longs.



La montre du régatier jeune, et donc souvent pas encore capable de s’offrir une montre couteuse, mais qui ne démérite pas pour autant, avec un mouvement à 17 rubis, 21 600 alternances/h, une belle réserve de marche de 48 heures, et surtout un boitier aux couleurs vives dont je ne me lasse pas. Une présence imposante au poignet, mais c’est dans l’esprit seventies, et les couleurs vives font passer la chose sans effort.

Second recrutement dans le même esprit, une Sorna Yachting trouvée en Espagne.



Dotée d’un mouvement dans la même philosophie que celui des frères Baumgartner: un Ebauches Bettlach 8420-74, composé d’une cinquantaine de pièces, conçu lui aussi pour résister à l’envahissement du quartz au début des années 70. Ce mouvement propose un compteur 15 minutes pour la régate à 10 heures, une petite trotteuse à 6 heures et une trotteuse centrale de chronographe. En plus des poussoirs de départ et d’arrêt du chrono (à 4 heures) et de remise à 0 (à 2 heures), on trouve une couronne à 10 heures qui permet de régler le réhaut de régate (aux couleurs italiennes).

Enfin, troisième et dernière, mais pas en terme d’attractivité à mon gout, cette Leonidas Easy Rider Skipper, dont je rêvais de posséder un exemplaire depuis que son précédent propriétaire me l’avait faite découvrir ici même l’an dernier.



Merci à lui d’avoir finalement pu me la céder ! Référencée 423-804 au catalogue Heuer de 1972, je lui trouve un caractère extraodinaire, et le NATO bleu et rouge dont Eric l’a dotée pourrait avoir été inventé pour elle. Certes une fois encore, j’imagine que le moteur n’est pas de grande qualité (je ne le connais pas, si l’un d’entre vous a des informations je suis preneur), mais ce n’est pas l’esprit de ces petites montres qui sont là pour mettre un peu de fun dans l’équipage !

Le fun et la compétence sont garantis à bord. Il faut désormais compléter le team avec l’expérience. Je pars en chasse de régatières plus agées, pour équiper la fameuse cellule arrière, celle qui regroupe à bord le stratège, le tacticien et le barreur. Les gars qui pensent, quoi...

Je commence par la plus ancienne des montres de régate automatiques (à ma connaissance), la fameuse Aquastar régate dotée du Felsa 4000N, mouvement automatique à 17 pierres, 18 000 alternances et 43 heures de réserve.



Avec ces 5 disques rouges qui ne changent qu’une fois de couleur elle compte à rebours les 5 minutes qui précèdent le départ de la régate par une simple pression sur l’unique poussoir à 4 heures qui déclenche la fonction fly back ou stop-en-vol. Une fonction largement décrite ici, ou l’on retrouve la présence de cette Aquastar, qui date de 1967.

Un peu plus jeune, puisque datée du début des années 70, cette Gallet Yachting dotée de l’incontournable Valjoux 7733:



Acquise dans un état déplorable auprès d’un vendeur américain, j’ai constaté à sa réception que la remise en état du cadran serait impossible. C’est par le réseau de FAM que j’ai été mis en relation avec l’un des experts de la restauration qui circulent ici, et après quelques mois passés entre ses mains, elle m’est revenue comme neuve et magnifiquement réglée ! Un cadran blanc qui facilite la lecture du compte-à-rebours, une jolie touche de couleur sur le compteur des minutes, je lui ai offert un Hirsch marron à boucle déployante qui réhausse son caractére néo-classique. Une pièce rare que j’aurai cherché plusieurs années…  Encore un très grand merci à son restaurateur !

Plus rare encore, au point que je n’imaginais pas pouvoir la trouver un jour, une autre Gallet, Multichron Yachting datée de 1945 cette fois, et qui embarque le magnifique mouvement à remontage manuel Excelsior Park 4:



En taille large (37,5mm, alors que le boitier de la version standard fait seulement 33,5 mm) et elle-aussi présentée sur cadran blanc, elle est très lisible même si l’époque n’était pas à l’ajout de couleurs. Placée à coté des Leonidas et Ilona, elle ne dégage pas le même esprit mais remplit les mêmes fonctions. C’est tout le charme de la complémentarité d’un équipage de régate.



C’est désormais la montre la plus âgée de cette collection, et je la respecte beaucoup.

Pour compenser l’ âge de ces deux grand-mères, il me fallait une dernière et 10ème montre plus récente mais représentant elle-aussi une forme d’héritage et donc d’expérience. Ca tombe bien, cette année Michel Herbelin fête les 25 ans de son modèle phare, la Newport Yacht-Club, et sort pour l’occasion 500 pièces numérotées, animées par le Valjoux 7750 que j’avais déjà découvert sur mon Hamilton il y a trois ans.



Un mouvement que j’aime beaucoup, ici mis en valeur par les côtes de Genêve et un dos transparent.



Parmi ces 500 montres, 25 ont été frappées du mot “Régate” sur le flanc gauche du boitier, de touches jaunes sur les compteurs et les aiguilles, et d’un bracelet en toile de voile à surpiqures jaunes elles aussi et constituent donc une série limitée dans la série limitée. Avec son boitier en forme de hublot, dépourvu de cornes, un peu à l’image du modèle “Tambour” de Louis Vuitton, son esthétique ne fait pas l’unanimité, mais j’ai personnellement trouvé l’ensemble assez réussi pour demander à l’AD Michel Herbelin du coin de m’en trouver une, ce qu’il a fait. Merci à lui.

Voilà, un nouvel équipage de 10 régatières rejoint la flotte qui peut désormais naviguer à 3 bateaux! Autant que le nombre de participants à la Louis Vuitton Cup cette année !!! Ce n’est pas encore le Spi Ouest France, mais cela commence à ressembler à un petit groupe !

Est-ce la fin de nos aventures pour 2013 ? Peut-on voir s’achever vraiment cette année parfaite ou ont éclatés au grand jour les talents de François Gabart, qui nous régala cet hiver dans le Vendée Globe, ou de James Spithill qui nous impressionna cet été dans la Coupe de l’America  ?





Pas vraiment, en fait… Alors pour que la fête se prolonge encore un peu, il nous faudrait recruter un dernier talent à la hauteur de ces gaillards… Voire un peu plus encore, une sorte de Russell Coutts, désormais cinq fois vainqueur de la Coupe.



Quelle pourrait être cette perle rare ? J’en suis là de mes réflexions quand un mail inattendu tombe dans ma boite. C’est un autre grand collectionneur de montres, parfois présent sur FAM, qui me contacte pour me proposer l’équipière idéale dans ce rôle: une Breitling Co-Pilot 7650 Yachting, en état de restauration parfait, datant de 1969, seule année de sa production.



Déjà décrite superbement par son propriétaire ici, c’est une montre magnifique, équipée du trés beau Vénus 178. Une bien belle manière pour moi de conclure cette année exceptionnelle, avec de surcroit une “livraison” en main propre à l’occasion d’un déjeuner autour de quelques autres pièces d’exception… Merci Laurent !

Voila, mon team 2013 est au complet ! 11 membres cette année, au lieu des 10 habituels, mais l'année fut vraiment belle ! Et elle n'est pas finie, puisque la Transat Jacques Vabre démarre le 3 novembre ! Allez voir un départ de course, c'est toujours très beau, et cette bonne ville du Havre vaut aussi le détour ! (Un breton qui fait la promotion des Normands, on aura tout lu...)

Pour ma part, je commence à réfléchir à l'année 2014, et à mes prochaines cibles...

Mais en conclusion je veux surtout remercier toutes celles et ceux que j'ai croisé ici depuis trois ans, qui m'ont gentiment écouté poser mes questions, qui m'ont guidé dans certains choix, aidé à trouver des pièces, des restaurateurs, que j'ai rencontré pour certains, qui sont parfois devenus des amis, merci à tous !

A bientôt pour tracer de nouveaux sillages !

Amicalement,

Jean-Marie



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