"Il faut se faire remarquer à tout prix", voilà bien une idée qui peut être excellente quand elle n'est pas désastreuse. Un ambassadeur médiatisé, une soirée hors de prix dans un lieu branché, un produit hors norme, un CEO qui fait un concours de grimaces... il n'y a plus aucune limite pour jouer la carte du remarquable. Des maisons dont le volume des ventes s'étiole se retrouvent ainsi à couvrir des budgets qui ne sont pas dans leurs moyens pour se payer de l'image qu'elles espèrent positives. Cela fait plus de 25 ans que l'horlogerie fonctionne ainsi et celui qui aurait imaginé que la crise allait freiner les choses se serait trompé. On assiste à une sorte de surenchère dans l'excès comme si aucune leçon n'était tirée de l'expérience de ces trois ou quatre dernières années.
De grandes maisons n'hésitent même pas à cumuler les moyens dans l'excès. Présenter une montre moche, aux quatre coins de la planète avec un ambassadeur "kardachiant" sous l'égide d'un CEO euphorisé par la fatigue et le Champagne ne choque personne sauf... le client qui se demande combien dans sa montre à 10000 euros, a servi à payer tout ça.
Prenons un exemple simple, un artiste ambassadeur qui coute 5 millions et des montres vendues 10000 euros qui rapportent à la marque une marge nette de 3000 euros. Il lui faudra vendre 1700 montres pour se rembourser. Si la marque vend 700 000 pièces par an, cette dépense est dans ses moyens. Si elle doit se contenter de moins de 30 000 pièces, elle a vécu au dessus de ses moyens. Tout CEO expliquera qu'il faut communiquer à tout prix en oubliant souvent ce paramètre. Le client lui, y pense d'autant plus que la marque s'étale sur les réseaux sociaux et tartine son incurie sans jamais mesurer les effets de ce type de communication sur ses ventes. C'est que dans l'horlogerie on ne compte pas, on ne mesure pas, on ne pratique pas l'analyse d'impact, on ne fait pas d'étude de marché, on avance à l'instinct. "On est incapables" me confessait un CEO, "de déterminer l'impact d'une action sur les ventes".
Comme le champagne, le budget coule à flot sauf que désormais, l'actionnaire entre dans la partie. Il veut voir et savoir ce que ça coûte et ce que ça lui rapporte. Mais ce n'est pas l'excitation du CEO qui dope les ventes. Se mettrait-il à poil sur le bar d'un stand de Baselword que cela n'impacterait pas davantage ses ventes si le produit n'est pas bon. Pour vendre, il faut un bon produit et une communication ajustée, pas un cinéma de quartier autour d'une montre non évènement qui n'intéresse personne parce que son prix n'est plus dans les moyens des clients. L'époque où un modèle à 50 000 euros tirait les ventes des versions à 5000 est révolue.
Ce qui fait rêver c'est de voir sa montre, celle que le client peut s'offrir, être promue sans excès de dépenses pour qu'il en paie le juste prix par un CEO en forme qui lui garantit la pérennité du modèle. Les montres de mode tuent les modèles pérennes. Il va falloir que les CEO apprennent à écouter leurs clients à défaut de quoi, ils partent en silence acheter autre chose.
Là où les marques pensent attirer l'attention, elles ne font qu'attiser la tension entre des clients qu'elles ont rendus méfiants et des actionnaires vigilants. C'est comme ça qu'on rate le lancement d'un produit.
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).