Depuis que FAM a été créé, je n'ai cessé d'écrire des récits dont la source est puisée ça et là dans des très vieux journaux, des livres, des témoignages qu'on m'envoie, des histoires entendues il y a plus ou moins longtemps parfois auprès de gens qui m'étaient proches et qui réparaient des montres. Les sources se mélangent et se recoupent parfois pour des surprises auxquelles moi-même je ne m'attendais pas. Certaines correspondent à des mois de recherches, à des kilomètres parcourus pour entendre un témoin qui a vécu l'histoire ou auquel on l'a racontée. De ces rencontres multiples et diverses, des centaines d'histoires sont nées pour lesquelles, la réalité n'a pas besoin d'être parée de fiction.
Il y aura surement un ou des livres car il y aurait de quoi en faire plusieurs. Certains n'attendent plus qu'un partenariat avec une marque car ils sont prêts, maquettés par l'éditeur et moi, je les lis de temps en temps sur mon Ipad ou mon PC. Laissons le temps au temps.
Mes témoins sont ici et là, un descendant collatéral d'Henri Farman, un témoin qui a vu Adrienne Bolland, un chronométrier qui a trouvé l'astuce qui a fait fonctionner un El Primero dont l'accouchement n'en finissait pas, un survivant de la guerre 14 de plus de 104 ans qui raconte des souvenirs avant de s'éteindre et me livre des histoires de montres, un gamin intrépide qui a vécu la seconde guerre et explique comment il a volé la montre d'un officier Allemand craignant pour sa vie jusqu'à la fin des conflits, ou cet homme qui n'a jamais reçu la montre de fiançailles que sa belle lui avait envoyée et a cru qu'elle ne l'aimait plus au point qu'il voulut en mourir. Il y a ce gamin qui a perdu son frère parti à la guerre et dont les parents sont morts de chagrin ne lui laissant que la montre de son frère comme souvenir d'un jour de communion où la famille était réunie. J'ai parfois oui, je l'avoue, pleuré des malheurs qu'on me racontait, des moments de désespoir des gens qui lâchaient prise avant qu'un évènement ne vienne les sortir du fond du gouffre où ils se noyaient comme cet Américain qui n'ayant pas les moyens de soigner un cancer en phase terminale devait payer des soins en vendant la montre d'un grand-père avocat et sénateur. Cette histoire de Fanny polisseuse chez Zenith qui vit sa famille décimée par la grippe de l'après-guerre, cette montre retrouvée 60 ans après qu'une famille de bijoutiers déportée l'ait enterrée dans un jardin, toutes ces histoires m'ont fait frémir et m'ont forcément touché, dévasté parfois avec des jours pour les relire après les avoir écrites.
Vous me l'avez dit, elles vous ont parfois tiré des larmes, renvoyé à vos propres souvenirs comme elle remontaient dans ma propre mémoire. Ce gamin ami d'enfance qui perdit ses parents à 10 ans dans un accident et apprit en même temps que sa mère était condamnée par un cancer que son père médecin allait tenter de faire soigner ce jour-là à Paris chez un ami spécialiste. La gendarmerie rendit une boite à chaussure avec les affaires retrouvées et le sac à main maternel. La montre de son père avec le bracelet cassé était dans le lot, 50 ans plus tard, il ne la quitte jamais.
Je reçois de beaucoup d'entre vous de très nombreux messages très sympathiques qui témoignent de votre émotion que pudiquement vous préférez ne pas afficher sur le forum. Vous me demandez combien cela prend de temps d'écrire tout ça. Sincèrement, je ne sais pas, si l'écriture par elle-même est rapide, c'est tout ce qui précède qui est long, les recherches, les recoupements, les fausses pistes… Il m'est arrivé de chercher pendant des dizaines de jours et de finir par ne rien trouver parce qu'il ne reste rien ou simplement parce que je n'ai pas su remonter une filière d'informations. Il est très rare qu'on me ferme la porte pour me donner des renseignements, il n'est guère que Longines qui il y a plusieurs années s'est montré hermétique mais les conservateurs de musées, de bibliothèques, d'archives municipales françaises ou étrangères sont toujours ouverts et même enthousiastes.
L'excitation de trouver juste, parfois en ciblant un objectif et en trouvant la montre avec des coups de chances inouïs comme cette montre qui fut la première récompensée au premier concours des Torpédos Boat watches en 1905 et fut la meilleure de toutes les concurrentes. Internet a permis depuis son fauteuil de trouver l'introuvable, de dénicher l'improbable, de sympathiser avec des gens à l'autre bout du monde. Le numéro de juillet-aout de la Revue des Montres raconte une histoire exceptionnelle d'une montre de Gaucho argentin, une trouvaille faite au hasard et une recherche passionnante de deux mois pour faire deux pages. Non, ces articles ne peuvent pas être des articles de commande car si je devais me faire payer le temps passé, c'est par milliers d'euros qu'on chiffrerait la page.
Je ne sais pas ce que j'écrirai demain… je sais seulement que j'ai découvert des montres qui portaient d'incroyables histoires. L'une des plus folles est celle d'un chrono qui servit dans la prospection pétrolière dans les années 1930 sur le lac Maracaibo, à moins que ce ne soit celle qui a révélé l'amour qu'un homme porta secrètement à une femme toute sa vie dans les années 1920 sans jamais le lui dire. Il avait sa photo cachée dans le double fond de sa montre. Aimer quelqu'un d'autre sans le dire, c'est tromper ? Il choisit de tenir ses engagements en sacrifiant ses sentiments.
Certaines de ces histoires ne sont pas encore publiées ici, d'autres sont réservées au papier. Fanny cette polisseuse dont j'ai parlé plus haut m'a incroyablement touché. Un grand patron d'une maison horlogère m'a appelé un samedi après la publication d'une histoire sur la solitude d'un homme qui avait perdu tous les siens. J'avais acheté dans une vente sa montre et raconté son histoire qu'un maire chargé de liquider sa succession m'avait livrée. J'ai passé des heures il y a des années chez une jeune enseignante qui revendait la collection de son père et connaissait l'histoire de chaque montre qu'il avait racontée dans un cahier d'écolier. Comme son écriture était illisible et qu'elle voulait garder le cahier il fallut écouter et prendre des notes jusqu'à ce qu'une histoire naisse des histoires.
Il n'y a pas de méthode pour conduire une recherche, il faut savoir où aller frapper, rechercher, se plonger, réfléchir, déduire, démontrer, prouver, parfois scientifiquement parfois sommairement parce que tout n'est pas du même niveau de besoin de précision. Non, les trains ne font plus de fumée et le gamin suisse qui habitait près d'une gare est devenu grand-père et la question de son enfance qui lui avait fait désirer une montre gravée d'une locomotive n'a pas le même sens pour son petit fils. C'est vrai qu'elle ne sont pas toujours drôles ces histoires, mais ce qui fait rire s'oublie plus vite que ce qui fait pleurer.
On me demande s'il m'arrive de conduire des recherches pour des grandes maisons horlogères. Oui, je le fais avec curiosité et passion. Le livre Zenith n'était pas un livre de commande, c'est moi qui suis parti seul dans cette aventure sans commande, ni garantie et qui pendant 10 ans ait travaillé sans aucune certitude de résultat. Non, on ne fait pas fortune en faisant un livre et j'en suis de ma poche mais s'il le fallait je le referais sans doute autrement dans la construction de la relation auteur/éditeur/maison horlogère. Est-ce gratifiant de faire ces recherches, oui mon égo en est flatté surtout quand à minuit un Américain que je ne connais pas m'appelle par mon prénom pour me féliciter et me poser quelques questions. Ah au fait, il est quelle heure en France et c'est où exactement la France par rapport à Londres ?
On m'a souvent demandé ce que ça faisait de voir son nom sur un livre dans le rayon d'une Fnac. On en est forcément fier mais se voir traduit en 16 langues n'est pas mal non plus. Oui j'aime écrire, fouiner, rechercher et trouver, et ma première gratification est de réussir à trouver ce que je cherche. Je travaille presque seul aujourd'hui sur ces recherches, moins demain parce qu'il faut pour travailler à plusieurs être au diapason. La confiance se construit lentement et partager ses victoires ou ses échecs c'est se dévoiler ce qui implique une confiance immense. Un échec est une faiblesse, il faut de la distance pour le relativiser quand c'est le sien propre et quand c'est celui d'un autre.
Voilà, je suis prêt à répondre à ceux qui auraient encore des questions. Je le fais ici car j'ai des semaines de mails en retard et me rend compte que c'est le seul moyen de ne heurter personne, qu'on ne prenne pas mon silence pour de la négligence mais les jours n'ont que 24 heures.
Merci à tous
NB : La prochaine histoire sera celle de 2 frères qui faisaient de la compétition cycliste et se chronométraient avec un chrono Omega…
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).