Un souvenir personnel …
Cela se passe un 31 juillet au début des années 1960. Mes parents nous emmenaient passer les vacances aux Sables d'Olonne et comme chaque année, mon père avait failli se noyer trois fois, ma mère avait fait des signes chaque jour depuis le bord de la plage pour que mon frère n'aille pas nager trop au large et j'avais assisté depuis le sable humide à cette dramaturgie quotidienne qui me nouait la gorge de crainte de perdre un membre de la famille.
Malgré le beignet aux abricots un jour sur deux et la crêpe deux fois par semaine de "la Crêpe d'or" du boulevard de la plage, le moment sur le sable de l'après-midi était devenu une épreuve entre les recommandations maternelles liées au danger des vagues où le journal qui relatait des noyades servait de cautions aux mises en garde quotidiennes, et le geste paternel qui consistait à me jeter par surprise à l'eau en expliquant qu'ainsi, nager serait un réflexe.
Comme chaque année j'attendais donc avec impatience la fin des vacances pour retrouver une sérénité que l'exil en bord de mer m'apportait d'autant moins que les autres occupations comme la pêche sur la jetée par exemple, m'étaient défendues faute... de savoir nager.
Ce 31 juillet était le bon jour du mois, la peur que ma mère ne puisse refermer les valises était passée, la malle en tôle était fermée avec un cadenas à code à 3 chiffres que mon père ne savait plus modifier et qu'il avait gravé avec la pointe d'un tournevis dans la peinture d'un bord du bagage pour ne pas l'oublier. Ma mère mettait systématiquement dans cette malle la cocotte minute en aluminium de la maison remplie de torchons à vaisselle qui nous garantissait hygiène et sécurité de la cuisson. Tout était en ordre quand l'orage se mit à gronder. Un taxi devait nous emmener à la gare à 10 heures pour prendre le train vers Paris de 10 h47. Cet orage était juste au dessus de la ville et claquait si fort que les pauvres bibelots de la location vibraient sur les étagères.
Ma mère rassurante dit à mon père que l'orage était juste au dessus de nous. Traumatisée dans son enfance par une grand-mère qui la faisait aller prier sous la table de la salle à manger avec un chapelet pendant les orages, ma mère exprima sa crainte que le taxi soit en retard. Coup de chance, la ligne ferroviaire n'était pas encore électrifiée et le train à vapeur ne craignait pas la foudre. L'orage était de plus en plus près et terrorisé, je me blottissais sur un canapé en suppliant que cela se termine. Mon père vint vers moi et annonça que l'orage était tout près. Il m'expliqua alors le principe du télémètre et de la vitesse du son. Je compris très vite en comptant moins d'une seconde entre l'éclair et le bruit du tonnerre. Nous étions en dessous et l'éclair suivant qui inonda la pièce de lumière comme l'aurait fait un flash confirma cette proximité.
Petit à petit, l'orage s'éloigna mais la rue transformée en torrent restait impraticable aux voitures. Finalement, le taxi fut là à l'heure dite et nous reprîmes le train vers ce qui allait être de vraies vacances consacrées à jouer avec des enfants de mon âge à des jeux qui ignoraient l'angoisse et la peur. J'ai repensé à ça en retrouvant la montre de mon père, une Breitling dont le cadran nettoyé par un horloger incompétent est resté marqué par son intervention. Voilà comment j'ai appris à mesurer une distance avec un télémètre.
_________________
Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).