Hamilton : L'histoire très spéciale du Chronomètre GTC 24 heures
Hamilton Watch C° fut l’une des compagnies horlogères américaines les plus prospères pendant la seconde guerre mondiale. La firme mit toute son énergie à fabriquer des montres militaires pour répondre aux commandes de l’armée américaine au point de se consacrer en quasi-totalité à cette production. Parmi les modèles emblématiques livrés par la manufacture, la montre chronomètre G.C.T (Greenwich Civil Time) fut l’un des instruments les plus précis jamais livrés.
Une montre au mouvement déjà affranchiLorsqu’éclate la seconde guerre mondiale, consciente qu’il faut que ses troupes se coordonnent avec des instruments de mesure du temps précis et fiables, l’armée américaine équipe ses hommes de tous grades, de montres pour lesquelles elle impose au fabricant, un cahier des charges drastique.
Plus que tout autre corps désireux de précision, « Army & Navy » (Les lettres « AN » sur le fond de boite) font naturellement appel à Hamilton watch C°, compagnie florissante et réputée notamment pour ses montres de chemins de fer dites « Railroad watches ». Hamilton fabrique en effet, une montre conforme aux exigences extrêmes imposées par les compagnies de chemins de fer depuis qu’en 1891, un accident dû à une mauvaise synchronisation de trains sur une ligne unique, a conduit ces dernières à acquérir des chronomètres pour leur personnel.
Le mouvement mis au point par Hamilton, le 992 B d’une taille (américaine) de « 16 size » soit 19 1/8 lignes, fut doté de 21 rubis et profita de 6 réglages liés aux températures et à la position de la montre. Il devint sans doute le plus connu des calibres de montres de poches américaines. Pendant la seconde guerre mondiale, « The Army Air Corps », connue aujourd’hui sous le nom de l’US Air Force, sollicite Hamilton pour la livraison de montres dotées d’un cadran et d’un mécanisme proposant un affichage de type « 24 heures ».
Les ingénieurs de la firme préfèrent modifier ce mouvement et l’adapter aux besoins de l’armée de l’air américaine plutôt que d’en créer un autre. Ils font donc évoluer l’échappement, le train de rouages et adaptent le cadran et les aiguilles qui, sur la nouvelle version, comporte une trotteuse centrale. Le mouvement est baptisé 4992 B et passe à 22 ou parfois 23 rubis. Le cadran n’est pas marqué au nom d’Hamilton mais comporte 3 lettres en majuscules : «G.C.T.» pour Greenwich Civil Time. Le fond des montres comporte les numéros d’inventaire de l’armée de l’air et la référence du contrat qui lie l’armée à ces livraisons. Par exemple, AF 42 -42366 Contract NO W535 ac-28072 fera présumer d’une montre produite en 1942 et livrée dans le cadre d’un contrat de l’armée référencé comme précédemment indiqué. La montre dont les boites étaient fabriquées dans leur quasi-totalité par Keystone étaient en général en nickel chromé et parfois en argent. La mention AN 5740 est une référence militaire qui correspond aux montres dites « Master Navigational Watch », soit les montres de ponts donnant à bord une heure de référence.
Pour son balancier monométallique et son spiral, Hamilton Watch C° a recours à l’Elinvar, alliage de pointe peu sensible aux variations de température et donc favorable à une meilleure précision quelles que soient les conditions d’utilisation. La firme était en la matière très au fait des technologies les plus modernes et à leur mise en œuvre industrielle.
La Direction d'Hamilton, consciente des risques de désintérêt du public et donc de ses clients finaux si la firme ne s'intéresse plus qu'aux livraisons faites auprès des militaires, continue pendant toute la guerre à communiquer en multipliant les publicités "mises en scènes". Des images accompagnes les publicités dans la presse et présentent les montres "en situation" avec des acteurs qui jouent des scènes de roman-photo pour contextualiser les montres.
La montre chronomètre G.C.T (Greenwich Civil Time) fait elle aussi l'objet d'une publicité en 1941 à destination du grand public. L'idée est singulière car la pièce est exclusivement fabriquée pour l'armée et en dehors des unités militaires américaines ou alliées et, le cas échéant, dans le cadre de missions scientifiques elle n'est pas susceptible de toucher le grand public. Toutefois dans une logique d'image patriotique, elle trouve sa place sans que la firme américaine n'insiste sur son utilisation par les militaires au front. L'idée est subtile, le consommateur voit ainsi ancré dans son esprit l'idée qu'acheter une montre militaire est un acte patriotique qui en outre lui offre la même précision que celle donnée aux militaires. Cette publicité, conçue comme une fusée à deux étages, est un exemple rare dans l'univers de l'horlogerie où l'on ne communique au public que sur des produits qui l'intéressent directement.
Un usage bien contrôléCe type de montres fut engagé d’une part, dans des vols de courtes distances dans des missions ponctuelles et était réputé être d’une précision redoutable et d’autre part, dans des opérations de la Marine et de l’armée de l’air de grande envergure. Profitant d’un système de stop seconde lorsque la couronne de mise à l’heure est soulevée, le mouvement pouvait facilement être synchronisé avec d’autres montres ou des horloges de bord sans dévier de l’heure donnée en amont. Cela pouvait être essentiel voire vital quand sur des missions de plusieurs heures, des tirs devaient être coordonnés entre différents groupes d’hommes en intervention.
Les montres une fois fabriquées étaient emballées individuellement dans des boites comportant toutes les références du contrat dans le cadre duquel elles avaient été produites et livrées. Chaque boite mentionnait une date de « péremption » renvoyant à une révision de la montre si celle-ci était mise en service au-delà d’un laps de temps trop long, à l’issue duquel Hamilton ne pouvait plus garantir la précision de la pièce à cause notamment de l’état des huiles de lubrification des mouvements. La qualité des pièces était celle de chronomètres reconnus parmi les meilleurs.
Pour préserver la montre dans des milieux hostiles notamment à cause des chocs, plusieurs systèmes furent validés par l’armée dont une boite vitrée dans laquelle la montre était placée en suspension, maintenue en place par des systèmes assortis de ressorts amortisseurs. Plus simplement, il fut également proposé une sorte de surboite en matière souple absorbant les chocs directs et venant recouvrir la carrure et le fond.
La boite de livraison - La date de péremption après la dernière révision est mentionnée par sécurité sur la boite Ces pièces étaient très soignées par leurs utilisateurs. C’est sur elles que reposait l’heure de référence de l’équipage. L’un des membres de celui-ci, le plus souvent le chef de quart était chargé de veiller à ce que le chronomètre du navire soit remonté chaque jour et toujours parfaitement entretenu et en état de marche. Il devait en outre veiller à la sécurité de l’instrument en l’enveloppant en cas de risques de casse et le cas échéant, l’emporter avec lui si l’équipage était contraint de quitter le navire.
Hamilton sous contrat militaire perdit ses marchés civils Hamilton signa plusieurs contrats militaires dès 1940. Celui de 1943 étant de plus de 24 000 pièces pour livrer des 4992 B dans une période si prospère pour la firme grâce aux commandes de l’armée, que celle-ci dut réduire à minima ses productions « civiles », compromettant ainsi son avenir et son équilibre économique. Les premières livraisons de chronomètres Hamilton aux Militaires datent de février 1942. La manufacture américaine produira jusqu’à 500 chronomètres par mois. La quasi-totalité des contrats liés à l’ensemble des livraisons de montres militaires furent résiliés dès la fin de la guerre alors que toutes les montres commandées n’étaient pas encore livrées, laissant Hamilton Watch C° dans une situation difficile. Même si la manufacture fournit aussi les armées canadiennes, anglaises et plus étonnamment les forces russes, la fin de la guerre et l’arrêt des livraisons ne fut pas sans déséquilibrer l’entreprise.
Plusieurs marques fabriquèrent ce type de montre, l’aéronavale française passa par exemple par la maison Breguet qui lui livra une montre marquée non pas G.C.T. mais T.U. pour Temps Universel et dont le mouvement était celui d’un chronographe de type Valjoux 5 dépouillé de sa partie chrono.
Les montres ne comportaient jamais d’aiguilles ou de cadrans recouverts de matière luminescente. En revanche, les aiguilles étaient blanches tranchant avec le noir mat des cadrans. Leur forme dite « Poire » était déterminante pour la lisibilité de l’heure sans risque d’erreur en une fraction de seconde. Le cadran séparant bien les minutes et les heures rend enfin impossible la confusion entre les minutes, les secondes pointées par la longue trotteuse centrale à contrepoids et les heures. La version fabriquée par Hamilton est de loin la plus répandue car distribuée à l’armée américaine dans les plus grands volumes.
Ces montres furent actrices et témoins de la libération de l’Europe, aux mains d’une armée de pointe qui engagea d’immenses moyens au service de la liberté et de la démocratie. Elles restent aujourd’hui des pièces de grand intérêt même si la lecture d’une montre graduée sur 24 heures impose un temps d’adaptation à tout possesseur d’un modèle de ce type.
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