On est au début des années 1970 dans les Alpes suisses. Peter Van Dick est avec son épouse Suzan en vacances d'hiver et pratique pour la première fois de sa vie le ski après quelques leçons avec un moniteur de la station où il séjourne. Le moniteur l'a trouvé doué pour un homme de plus de 50 ans qui n'a jamais fait de sport. Leurs amis français Claudie et Gilles Servant ont respectivement 34 et 41 ans. Ils sont enseignants à Paris, lui en sciences naturelles et elle en anglais pour des classes de 6ème jusqu'à la 3eme. Le couple en est à ses 4èmes vacances au ski et Gilles est assez habile. Quant à Claudie, elle s'affranchit plus lentement.
Ce jour là, à 2500 mètres une brume épaisse a envahi les pistes, on ne voit pas à plus de 20 mètres. Peter annonce qu'il va tenter la descente en moins de 6 minutes, chrono en main. Il tient dans la main droite un compteur de sport qu'il déclenche au départ et qui pendant la descente est accroché par un lien autour de son poignet. Peter est vétérinaire et il n'est pas allé chercher très loin son chrono car c'est celui qu'il utilise dans son cabinet où il fait également quelques examens de laboratoire.
Gilles se lance le premier en compagnie de Suzan mais celle-ci chute sans conséquence et Gilles la relève. Puis contre toute attente, Claudie s'engage dans la descente en poussant un cri car elle ne voulait pas partir si vite et la pente est bien plus abrupte qu'elle ne l'avait imaginé. Claudie tient bien sur les skis mais ne sait pas vraiment se diriger et elle disparait dans le brouillard en poussant de grands cris de détresse. Gilles l'entend et tente de se porter à son secours mais il n'arrive pas à identifier d'où viennent les cris de son épouse qu'il a perdue de vue. Peter rejoint Gilles quand Claudie hurle qu'elle est tombée et coincée entre deux rochers.
Gilles s'avance mais ne voit rien. Peter crie à Claudie de continuer à parler et après 40 minutes, il finit par la retrouver. Claudie est blessée, coincée dans un trou au sein d'un glacier. Sa jambe semble tordue laissant le pied à 45% vers l'extérieur. Pour la sortir de là, il faut descendre en cordée, l'accrocher et la hisser mais cela semble complexe car la paroi est constituée de glace et non de roche. Claudie dit qu'elle a froid et Gilles lui répond qu'il va falloir chercher des secours. Claudie répond qu'elle se sent très faible et qu'elle ne tiendra pas plus d'une demi-heure ce à quoi Gilles répond par une note d'humour qui surprend tout le monde. Gilles se met alors à crier après Claudie et lui dit qu'elle a gâché les vacances et que si elle ne se sentait pas capable de descendre, elle n'avait qu'à rester à l'hotel. Suzan n'est guère plus compatissante avec Claudie et dit qu'il va bien falloir qu'elle attende et que la matinée va passer à chercher des secours et l'accompagner à l'hôpital.
Peter mécontent du comportement de Suzan, lui dit qu'elle reste une égoïste qu'elle a toujours été et que l'urgence est bien à aller chercher des secours et non à faire une crise stupide. Suzan gifle alors Peter et lui dit qu'elle rentre en Belgique et qu'elle ne veut plus jamais entendre parler de lui. Claudie se plaint d'avoir froid et supplie qu'on l'aide. Elle demande si quelqu'un peut lui passer une couverture ou un anorak. Gilles tourne les talons et en haussant les épaules, part derrière Suzan pour chercher des secours.
Peter reste sur place et retire son anorak mais ne peut le faire parvenir à Claudie. Elle est trop en contrebas et surtout ne doit pas bouger car il reste en dessous d'elle au moins 20 mètres de vide. La faille est peu large et fait moins de 70 cm de bord à bord. Peter qui voue à Claudie une affection toute particulière car il lui trouve un charme certain, décide de descendre la rejoindre en s'appuyant son dos d'un coté et en poussant sur ses pieds de l'autre. ""C'est trop dangereux "dit Claudie. Têtu, il ne renonce nullement et arrive en 10 minutes à coté de Claudie et quoi que frigorifié, il lui donne son anorak et la couvre. Il regarde sa jambe. Il n'y a pas de fracture mais sans doute une rupture des ligaments. Dans la bataille, Claudie a perdu un gant. Peter lui donne le sien et vient tout contre elle et la prend dans ses bras.
Peter entend la glace craquer et s'inquiète de la fragilité de la paroi. "Regardez au fond " dit-il " il y a une corde et du matériel d'alpinisme !" Sans doute des tentatives ont-elles déjà eu lieu d'escalader cette paroi et le matériel tombé au fond n'a jamais été récupéré… Une idée germe dans la tête de Peter. Et s'il descendait et récupérait ce qu'il peut, pour ensuite remonter et essayer d'encorder Claudie pour la hisser en surface… Il explique à Claudie son intention. Celle-ci préconise d'attendre les secours. Peter ne croit pas à leur arrivée rapide. Il reprend son anorak et s'engage dans la descente. Il attrape une dizaine de mètres en contrebas un piolet planté dans la paroi et quasi entouré de glace. Celui-ci est bienvenu et va l'aider à ne pas glisser. Arrivé à hauteur de la corde et de quelques affaires disséminées dont un second piolet, il découvre aussi un sac à doc gelé et un gant, celui que Claudie a perdu … Sous la glace il voit une autre corde et d'autres affaires. Le lieu est manifestement très fréquenté. Par contre, une seconde faille est immédiatement accessible et se perd dans le noir. De celle-là, on ne doit pas remonter pense-t-il. La corde est gelée ce qui la rend très compliquée à manipuler pour remonter mais finalement, Peter parvient à la mettre en forme pour la transporter. Il lui faut 2 heures pour remonter les 17 mètres qu'il vient de descendre et il lui faudra encore 3 heures pour attacher Claudie et remonter puis la hisser en haut.
Claudie est épuisée et a les membres gelés. Peter est lui aussi très affaibli. Lorsque les secours les retrouvent, il fait nuit et il est 19 heures. Ils sont descendus vers l'hôpital par les secouristes. Peter et Claudie ont passé des heures à parler, de longues heures à se raconter leurs vies… Ils découvrent qu'ils sont aussi isolés l'un que l'autre.
Suzan rentrera finalement avec Peter en Belgique mais le couple engagera une procédure de divorce. Gilles suscite une forme d'aversion de Claudie qui a compris que son mari se faisait passer avant elle et ceci même dans des cas où elle était en péril. Le couple se sépare également. Peter a revu Claudie, ils ont décidé après quelques mois de vivre ensemble et de ne pas faire de ski. En 2002, Peter est tombé de cheval, une chute grave qui lui a couté la vie. Claudie a décidé alors qu'elle ne referait pas sa vie jusqu'à ce qu'elle rencontre Philippe, un artiste peintre qui vit de sa peinture. Elle écoule avec lui des jours heureux mais fleurit chaque semaine la tombe de Peter. Elle dit qu'elle a vécu avec lui une grande histoire d'amour. Elle s'est mariée avec son artiste peintre et en est très amoureuse. De Peter, elle a eu un fils qui a poussé sa mère à refaire sa vie. L'autre jour, Claudie lui a donné le chrono que Peter tenait le jour de l'accident. Il était resté dans ses affaires. Claudie et son fils se sont assis dans la cuisine pour boire ensemble une tisane… Son fils lui a demandé si elle était heureuse avec son nouveau mari et elle a répondu que oui sans hésiter. Alors, il lui a demandé ce qu'elle ferait si son père revenait.
Claudie s'est tue et a réfléchi puis elle a répondu à son fils. "J'ai crû à chaque fois que j'étais amoureuse que c'était l'amour de ma vie. Cela m'est arrivée quand j'étais adolescente, puis lorsque je me suis mariée avec mon premier mari, lorsque j'ai rencontré ton père bien avant que nous ne vivions ensemble, je savais que nous le ferions et puis aujourd'hui je suis très amoureuse mais vois-tu, il y a l'intensité du sentiment et il y a sa durée. Un sentiment amoureux peut être très intense, puissant et s'user avec le temps insidieusement jusqu'à ce que l'on croit être encore amoureuse alors que l'on ne partage plus qu'une habitude de vie ensemble. Il y a aussi des sentiments qui se construisent lentement, pas à pas, millimètre conquis par millimètre conquis et qui sont d'une solidité sans faille. J'ai été amoureuse de ton père plus de 5 ans avant que les circonstance ne le conduisent lui-même à me faire part de son sentiment pour moi. Tu n'imagines pas la solidité des fondations de ce que nous avons partagé. Ma vie d'aujourd'hui est le fruit d'un sentiment opportuniste lié à une rencontre fortuite. On aime être ensemble et on se fait confiance mais nous avons à construire des choses encore et la construction se fait sur des fondations existantes et bâties avec un autre architecte. La séparation d'avec ton père, ni lui, ni moi ne l'avons voulue… Je l'ai subie. J'aime Philippe mais personne n'efface ce que j'ai construit avec ton père.
S'il revenait, oui forcément je repartirais avec lui mais ce qui est important est que chacun ait sa place. Philippe sait quelle est la sienne et il a la délicatesse de ne pas nier mon passé. Je sais aujourd'hui ce que signifie l'amour de sa vie. Je l'ignorais avant … J'ai regardé ton père des milliers de fois en comprenant que j'en étais folle. Il a fallu qu'il me sauve la vie pour qu'il m'avoue son sentiment. Sans cela on ne se serait jamais rien dit. Peter est toujours là pour moi mais j'aime Philippe autrement.
Claudie s'est levée et a laissé son fils dans la cuisine. Il venait de découvrir que sa mère avait une profondeur d'esprit qu'il ne suspectait pas, un recul, une expérience qui fait la différence entre l'être réfléchi et celui qui subit. Il n'en reparla jamais à sa mère mais le racontera un soir de spleen, un soir où sa fiancée est partie pour un autre parce que l'herbe lui semblait plus verte. Sa mère n'imagine pas qu'après tant d'années, son fils y pense lorsqu'il regarde ce chrono statique dans une vitrine. Il dit avec une justesse de ton sans pareil que ce chrono mesure le temps en permanence sans avoir besoin d'être remonté…
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Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).