Que sont devenues les montres d'Observatoires lauréates des concours de précision ?
Les concours de précision et de réglage ont vu le jour au cours des années 1860 dans les plus grands observatoires astronomiques. Des milliers de montres ont ainsi pendant plus d'un siècle été primées et fait l'objet d'attentions dépassant parfois des centaines d'heures par des régleurs chronométriers qui en ajustaient le fonctionnement pour se rapprocher de la perfection. La précision ultime permettait de remporter des récompenses autant en faveur de l'horloger qui avait préparé les montres que de la manufacture qui avait fabriqué et présenté les pièces et se trouvait valorisée par des résultats positifs.
Il ne fallait en l'occurrence pas être second mais bel et bien premier pour que les honneurs rejaillissent sur toute l'entreprise. La déception était de mise si le premier prix n'était pas à l'arrivée. Les concours étaient organisés par catégories au gré des règlements successifs qui ont précisé autant les épreuves, que les performances requises et ont tenté de classifier les montres par catégories "Poches", "Bord", "bracelets", "Chronomètres de Marine", voire "Torpedo Boat Watches" comme ce fut le cas pour l'Observatoire Naval de Washington.
Une Histoire très riche Genève, Neuchâtel, Hambourg, Kew-Teddington, Washington et plusieurs autres observatoires ont ainsi laissé une empreinte dans le temps en contribuant au travers de concours à encourager les fabricants à produire des montres toujours plus performantes et précises. Le calcul des Longitudes et les besoins de la marine marchande et militaire furent au delà des enjeux industriels de ces Olympiades du temps des fondements majeurs de l'activité de certains observatoires. Si la réussite de performances de haute volée était un facteur de motivation pour ensuite bâtir la communication des maisons lauréates, la satisfaction aux épreuves pouvait aussi conditionner des commandes spécifiques de l'armée comme ce fut le cas pour l'Observatoire Naval de Washington vis à vis de l'US Navy.
Les grandes maisons ont fait transiter par ces concours des milliers de pièces. D'autres étaient présentées aux observatoires pour obtenir des certificats ou bulletins de marche qui attestaient de leurs qualités chronométriques enfermées dans des normes sévères de qualité mais les pièces de concours présentaient une qualité supérieure et se plaçaient au rang des meilleures montres. La tolérance d'une dérive de quelques secondes par jour pour un chronomètre recevant un bulletin de marche, ne dépassait pas quelques dixièmes de seconde dans le niveau imposé à des pièces de concours.
Une fois les concours terminés, ces trésors de l'horlogerie avaient plusieurs destinations pas toujours respectueuses de leurs qualités. Les derniers chronométriers en action à la fin des années 1960 racontent que beaucoup de ces chronomètres premiers prix ou non, regagnaient les étagères d'armoires déjà très encombrées par les prix des années précédentes. Une même montre ne pouvait, en principe, pas prétendre une seconde fois à un prix dans la même catégorie. Certaines pièces connaissaient un second succès mais dans une catégorie différente.
Un double premier prix de chronométrie Cette Zenith, par exemple, fut premier prix en catégorie poche puis en catégorie Bord en 1924 et 1925 entre les mains d'ailleurs de deux régleurs différents. Le mouvement est un 20,5 lignes, une véritable formule 1.
Elle fut ensuite
prêtée en 1931 à Zenith Besançon pour l'Exposition Coloniale mais ne fut jamais restituée à Zenith en Suisse. Il faut attendre le début des années 2000 pour en retrouver la trace dans les réserves d'un horloger qui la céda avec ses outillages avant qu'elle ne soit vendue comme une simple montre de poche. Elle a été emboitée dans sa carrure en argent fin après sa carrière de pièce de concours et fut ainsi sauvée d'un probable stockage en vrac dans un carton.
Des pendules d'établi Parfois, les montres primées étaient préemptées par les horlogers qui s'en faisaient des pendules d'établi. La montre dans son bois de concours prenait alors place en face de l'horloger qui en prenait soin et la remontait scrupuleusement. Cette pièce est un exemple rare de montre de concours réaffectée à un établi. Elle est l'une des toutes dernières primées au dernier concours de chronométrie de 1968.
Le calibre est un 261Le 261 imaginé en 1928 et fabriqué dès 1930 connaît jusqu’en 1968 une longue carrière au titre des concours de chronométrie. Ce calibre de montre d’observatoire d’un diamètre de 65 mm avec une platine petit modèle est muni d’un remontage et d’une mise à l’heure arrière, d’un indicateur de développement du ressort par engrenage sans arrêt du balancier Guillaume qui lui apporte sa précision. Ce mouvement fut exclusivement emboîté, montre de concours oblige, dans des coffrets en bois vitrés, parfois des deux côtés, pour satisfaire aux épreuves. Destiné aux compétitions dans la catégorie des chronomètres de bord, le calibre 261 a deux variantes non destinées aux concours.
La montre est devenue aussitôt la fin des concours, une montre d'établi d'un chef d'atelier en France, dans les ateliers de Zenith à Besançon. Beaucoup de ces montres dont la destination a été de rendre service aux horlogers sont restées leur propriété ou sont restées sur les établis. A la fin des années 1980, on trouvait encore au détour des ateliers du Locle ce type de pièce sur les établis. Malgré tout, le nombre de pièces retrouvées est infime au regard de celles proposées au concours et au vu de celles primées.
Dans les réserves des manufactures D'autres pièces sont restées dans les réserves des manufactures et y sont encore ou ont été vendues au gré des propriétaires successifs des maisons pas toujours très vigilants sur leur patrimoine.
Le 135 Observatoire Dans la catégorie des montres bracelets, le 135 Observatoire est une pièce qui diffère un peu de la version commerciale. Non décorée, la raquette du 135 de compétition est de type soit monoflèche soit bi-flèche, système largement préféré des chronométriers car permettant un réglage plus fin que le système à disque excentrique breveté en 1903.
Le calibre 707 Le calibre 707 est un mouvement d’observatoire. Surnommé « la patate » à cause de sa forme à la fois triangulaire et ovoïde, il fut conçu en 1961/1962 et construit en 1963. Exclusivement destiné aux concours, il ne connut aucune carrière commerciale.
Ce mouvement est le dernier conçu pour la spécificité des concours de l’observatoire par Zenith. Sans nul doute, ce n’est pas sa décoration qui le distingue particulièrement. Il tient son nom de 707 de la catégorie ouverte par le règlement qui limite la participation à des chronomètres de moins de 30 mm de diamètre et/ou à une surface de 707 mm carrés. Il fait donc partie d'une catégorie à part jamais commercialisée.
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La surface exacte du 707 est de 687 mm carrés. Le choix de cette surface de 707 millimètres est la conséquence d’une volonté d’avoir au concours des pièces qui soient ouvertes sur la créativité des fabricants qui y participent. Aurèle Maire, Directeur technique de ZENITH s’investira avec son équipe dans ce projet d’autant plus qu’il a acquis la conviction que malgré toutes ses qualités, le calibre 135 a atteint pour les concours la limite haute des performances accessibles. Toute l’équipe de régleurs de l’époque composée de René Gygax, Jean-Pierre Vuille et Paul Favre et Jean-Pierre Sunier contribuent à ce projet. Le mouvement a participé aux concours dans la catégorie des chronomètres bracelets de 1963 jusqu’en 1967. Réglage, remontage et mise à l’heure se fond par l’arrière au moyen d’une couronne, Le train de rouages (roue des minutes et roue de moyenne) est celui du calibre 17 ¾ lignes, un calibre de poche de 17 lignes et si le balancier est commun avec celui du 135, la ressemblance s’arrête là. En effet, le pont de balancier transversal s’appuie sur trois points dont deux sont situés du même côté et le troisième à l’opposé. D’une construction totalement atypique et asymétrique, le 707 répond au seul souci des chronométriers et se veut avant tout expérimental. Ses caractéristiques sont optimisées pour les compétitions auxquelles on le voue. D’une épaisseur de 5 mm, reçoit un échappement à ancre, un balancier Guillaume de 13,80 mm x 0,99 mm à 14 vis, un double anti-choc Duofix à l’échappement et au balancier, 21 rubis, un ressort en inox 1.4310 Nivaflex de 460 mm pour une hauteur de 2,10 mm, une épaisseur de 0,16 mm, d’un diamètre enroulé de 15, 50 mm dispose d’une réserve de marche de 36 heures, d’un angle de levée de 52 degrés et sa fréquence est optimisée à 28 800 alternances par heure.
Peu de 707 sont encore accessibles.
Les mouvements ont été disséminés et s'il en reste quelques exemplaires chez Zenith, la plupart ont pris des chemins détournés de pendule d'ateliers puis de fonds de tiroirs. L'absence de vie commerciale du calibre et sa forme atypique n'ont pu lui assurer une carrière autre que celle de vitrines de collectionneurs au mieux.
Des montres présentées aux concours pour être venduesCertaines montres ont un vécu très différent. C'est le cas de celles qui étaient présentées à des concours car c'était la condition pour qu'elles soient vendues notamment à des gouvernements dans le cadre de leurs programmes d'équipements militaires. Ainsi en 1904, le gouvernement de Roosevelt mit en place avec l'Observatoire Naval de Washington une nouvelle catégorie de concours de précision destiné aux montres de torpilleurs. Ces Torpédo Boat watches, montres de bord des navires militaires devaient préalablement à toute commande de l'US Navy, satisfaire à des tests draconiens afin d'en apprécier les qualités. L'observatoire américain mit donc en place une série d'épreuves. Les manufactures américaines furent évidemment très intéressées par ces concours mais c'est une manufacture suisse qui remporta la plupart d'entre eux avec l'un de ses modèles emblématiques. Ulysse Nardin devient ainsi la première manufacture horlogère à avoir le statut de fournisseur officiel de l'US Navy. La première montre qui remporta le premier prix du premier concours organisé pour les Torpedo Boat watches est ainsi ressortie après plus d'un siècle d'absence
Ces pièces Ô combien rares et historiques furent cédées il y a quelques années par l'armée américaine sans vraiment vérifier l'intérêt des lots mis en vente. Les montres ont été stockées préalablement durant des décennies sans que plus personne ne se soucie de leur devenir. C'est donc auprès des autorités américaines que les montres ont pu être achetées par des marchands lors de ventes aux enchères. On peut estimer à moins d'une dizaine sur 120, le nombre de pièces dont on a retrouvé la trace. Beaucoup ont péri avec les navires notamment pendant et après les deux guerres.
Deux raretés Ulysse Nardin ne conservait pas ses montres lauréates à des concours. Elles étaient pour la plupart vendues soit en Argentine, pays où la marque était extrêmement prisée dans les années du début du 20ème siècle ou les mouvements étaient assemblés dans de très jolies boites qui mentionnaient toutefois l'histoire de ces montre de concours. En voici deux exemples :
D'abord ce chronomètre extrêmement rare lauréat du concours de Neuchâtel de 1905, on dit encore "Concours de réglage" . Ce genre de pièce est inespéré. Ces montres sont parties chez des amateurs de l'époque et très rares sont celles qui "ressortent" .
Cette seconde pièce est un cas ultime … Un premier prix retrouvé dans la boite/écrin qui l'accompagnait lors de sa vente dans les années 1920.
Des montres reconditionnées ou détruites On pourrait multiplier les exemples à l'infini. Pour ce qui est des montres bracelets, beaucoup furent reconditionnées après les épreuves et ont équipé des montres dont les propriétaires n'ont jamais eu l'idée qu'elles aient pu être des montres de concours. On peut estimer à 98 à 99% le taux de montres d'observatoire qui ont disparu de la circulation, c'est à dire qu'il en reste globalement une sur 100 de celles déposées pour participer aux concours. Pour ce qui est de celles primées, le taux est variable d'une marque et d'un modèle à l'autre. Les montres Omega de concours sont introuvables. Elles furent reconditionnées ou très malmenées car cannibalisées pour d'autres pièces. Chez Longines, le nombre de pièces accessible est à peine supérieur. Non pas que ces maisons fussent négligentes mais simplement, ces montres n'avaient aucune valeur commerciale et donc n'intéressaient personne. Paul Ditisheim, Vacheron Constantin, Patek Philippe, Movado sont autant de maisons qui comme celles déjà citées ont participé assidument aux concours de précision, déposant parfois plus de 100 pièces sur une même année et dont très peu sont aujourd'hui accessibles soit dans les musées, soit dans le patrimoine des marques.
Un horloger racontait il y a quelques années avoir vu envoyer en décharge des mouvements qui avaient équipé des montres de concours. L'intérêt récent pour les montres mécaniques a fait renaître un peu d'intérêt pour ces pièces qui méritent la lumière autant qu'elles ont pu en apporter lors de leur éclat au temps des concours.
Le devenir de ces montres de concours fait partie des sujets tabous au sein des grandes maisons qui ignorent souvent quel fut le sort de ces pièces. Les questions sont rarement les bienvenues et à chaque fois qu'une grande maison en a l'occasion, elle rachète un peu de son histoire en récupérant ces pièces au passé riche et passionnant.
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