Les marques s'intéressent-elles à leur histoire ? - Billet
4 participants
Auteur
Message
ZEN Rang: Administrateur
Nombre de messages : 57505 Date d'inscription : 05/05/2005
Sujet: Les marques s'intéressent-elles à leur histoire ? - Billet Jeu 21 Nov 2019, 13:03
La démarche d'Omega qui vient de renouveler son intérêt pour son Musée et de le transférer dans le nouveau siège de SwatchGroup est intéressante. La marque a un énorme patrimoine historique composé de pièces et de son histoire et y trouve les fondations de son message et de sa communication mais évidemment puise aussi ailleurs des bases de communication. La maison s'est ainsi constituée une boite à outils et cultive son histoire. D'autres maisons comme Zenith notamment mais aussi Longines ont su constituer un "capital patrimonial" et ainsi disposer elles aussi d'une boite à outil qui les aide à fonder une communication intelligente. La plupart des musées des marques sont gratuits et si Patek Philippe fait payer les entrées, il faut admettre que le montant est symbolique au regard de l'ampleur de ce qui est montré.
D'autres maisons sont beaucoup plus sporadiques dans l'approche de l'histoire. Eberhard vient avec la vente record d'une de ses montres militaires de donner un exemple d'intérêt exclusivement lié à la valeur et la marque en situation de léthargie n'a même pas été capable d'exploiter l'évènement pour fonder quoi que ce soit. Une maison comme Bell & Ross qui n'a que 35 ans de recul a déjà fondé l'équivalent de 2 siècles d'histoire et a bâti ses collections en nourrissant des références que des maisons cent cinquantenaires sont incapables de mettre en avant. Souvent, emportées par les réseaux sociaux et le vernis qui y colle, les fabricants misent de plus en plus de moyens sur l'image instantanée, celle qu'on oublie dès que le doigt a ripé sur la suivante et abandonne leur propre histoire.
Une marque me demandait il y a quelques semaines comment je verrais son "attaque" sur le registre de l'exploration scientifique. Pour nourrir ma réponse, je dus recourir à des iconographies appartenant à d'autres et non exploitées par ces dernières. La légitimité appartient "aussi" à celui qui dégaine le premier fut-il construit sur des capitaux chinois. C'est sans doute là que le danger se situe, les Chinois "actionnaires" sont plus sensibles au passé, au patrimoine et à l'histoire que les occidentaux actionnaires de l'entreprise. Le déficit de communication historique n'est même pas dû à une clientèle indifférente puisque dès lors qu'on lui propose d'avancer avec l'histoire du fabricant de ses montres, l'intérêt manifesté par le client se prolonge bien au delà de l'achat. Le responsable marketing d'une grande maison m'expliquait qu'avec histoire sa montre se vendrait à peine avec 2 à 5 % de recettes en plus mais que le rapport coût/avantage n'était pas si probant. Sans doute a-t-il raison et grâce à son raisonnement à courte vue, l'image des nouvelles marques va s'ancrer dans les esprits du public au même niveau que celle de la maison plus que centenaire qu'il défend. 100 ans de travail pour n'avoir qu'une image de Start-up ! Belle ambition ! Ce qu'une génération va oublier s'arrêtera là. C'est un peu comme lorsque les Chinois rachètent Ingersoll. La marque n'évoque plus rien. Prenons Hublot, la marque existait avant Jean-Claude Biver mais personne ne s'en souvient parce que charismatique, il a emporté avec lui un nouvel élan. Hélas, nos marques plus que centenaires ne sont pas pilotées par un Biver et leur image se fond avec le paysage. Vulcain n'est déjà plus qu'une montre des présidents américains… Paul Ditischeim doit se retourner dans sa tombe….D'ailleurs, Je suis certain que la plupart des fondateurs de grandes maisons sont déjà sur le ventre à force de voir ce qu'ils ont créé sombrer dans l'oubli.
Un CEO qui évoque sa marque en expliquant qu'elle est historique devrait se demander si elle l'est encore et si, à cause de lui, elle n'a plus qu'un lointain rapport à son histoire. Certes, les CEO d'aujourd'hui ne laisseront pas forcément la même empreinte que ceux qui restaient en place 20 ou 30 ans alors que le turn-over ne laisse qu'une espérance de vie inférieure à 5 ans. Après-tout, ils ont peut-être raison, et le sens de l'histoire ne serait donc plus que de ne laisser aucune trace auquel cas, ils sont très doués.
_________________ Contraria contrariis curantur. (Les contraires se guérissent par les contraires).
ET Membre Actif
Nombre de messages : 73 Date d'inscription : 02/12/2009
Sujet: Re: Les marques s'intéressent-elles à leur histoire ? - Billet Jeu 21 Nov 2019, 14:52
On trouve ce phénomène dans d’autres domaines et je n’arrive pas à savoir si c’est lié à une demande de retour sur investissement à court terme dû à un actionnariat financier plus qu’industriel ou si c’est un choix délibéré des directions commerciale & marketing qui ont pris de plus en plus d'importance dans les entreprises et qui misent nettement plus sur un attrait « disruptif » de leur produit, à mon avis surestimé, qu’à une légitimité historique et scientifique sous-estimée (cf l'actionnariat de moins en moins industriel).
Après, la légitimité historique en horlogerie provient à mon sens de deux choses. La première réside dans les recherches techniques qui ont permis de faire évoluer la précision des montres. Face au quartz, les montres mécaniques ne pourront jamais rivaliser sur ce point mais il est dommage que les relectures des avancées du passé sur les transmissions ou les échappements soient au choix inaccessibles (j’adore la transmission fusée-chaîne et notamment sa mise en valeur par Zenith, une des rares, avec sa Academy Georges Favre-Jacot mais cette dernière est inabordable) ou invisibles (le co-axial d’Omega par exemple) alors que l’on rend visible de plus en plus les mouvements même ceux sans grand intérêt (sans être péjoratif).
La seconde réside dans le caractère utilitariste des montres amenant à penser un design qui leur sont propre : montres militaire suivant les cahiers des charges des différentes armées, montres « d’ingénieurs » suivant des besoins spécifiques, montres de plongée, … Là aussi, la montre utilitaire actuelle reste principalement du quartz avec un cadran pratique (tel que les G-Shock) ou dernièrement les montres « connectées ».
Les marques horlogères mécaniques récentes ont peut-être mieux intégré ces aspects, justement parce qu’elles avaient besoin de justifier de leur intérêt, que ce soit sur les variantes techniques à la manière de Richard Mille à des prix « médiatiques » ou sur un design « iconique » nouveau et « utilitaire » comme Bell & Ross, deux maisons marquantes de cette dernière décennie (et pourtant qui me laissent froid).
ET Membre Actif
Nombre de messages : 73 Date d'inscription : 02/12/2009
Sujet: Re: Les marques s'intéressent-elles à leur histoire ? - Billet Jeu 21 Nov 2019, 14:55
PS : l'aspect utilitaire prend aussi en compte les complications comme la fonction alarme des Vulcain (maintenant accessible depuis n'importe quel téléphone portable)
Bruno_DN Pilier du forum
Nombre de messages : 1631 Localisation : Paris Date d'inscription : 28/09/2017
Sujet: Re: Les marques s'intéressent-elles à leur histoire ? - Billet Jeu 21 Nov 2019, 15:08
Tiens, ça me fait penser à la léthargie d'Eterna, pourtant sous actionariat chinois, qui, à part Thor Heyerdahl, et encore de loin, ne communique sur rien alors que quand même, quelle maison et quel patrimoine ! et surtout sort des pièces que je trouve bien insipides...
Jicé Animateur Chevronné
Nombre de messages : 1309 Localisation : Bourbonnais Date d'inscription : 11/02/2009
Sujet: Re: Les marques s'intéressent-elles à leur histoire ? - Billet Jeu 21 Nov 2019, 15:18
Ce sujet de l'histoire des marques a déjà été évoqué sur FAM.
J'avais du faire une réponse similaire à celle d'aujourd'hui ; du reste, les éléments de réponses sont dans le billet de Zen : l'histoire d'une marque, malgré le gisement qu'elle représente, est une charge un peu encombrante parce que les marques sont soumises aux aléas volatils de la mode ; alors il est parfois pratique de la mettre de côté, et ainsi de ne pas avoir à gérer un paquebot peu manœuvrant et avec beaucoup d'inertie, de s'en affranchir diraient certains. C'est une erreur, toujours, sur les moyen et long termes. Retrouver ses racines demande un gros travail et parfois une thérapie (tiens ! en voilà un métier : thérapeute de marque !).
Les marques sans histoire, ont toute liberté de l'inventer et de la réécrire ou de l'ignorer. Ces marques ont les coudés franches pour s'aligner au plus prêt et avec une grande réactivité aux canons du marché. Ceci-dit, il ne s'agit pas de faire le grand écart ni la girouette si on veut s'inscrire dans l'histoire.
Light is right, l'entretien d'une bâtisse du XVIIième est plus contraignante qu'un pavillon à ossature bois.
Les marques s'intéressent-elles à leur histoire ? - Billet