Billet : Alain Delon et les montres

Combien d'hommes ont su incarner une époque ? Combien d'hommes ont essayé d'atteindre le firmament de la notoriété ? Et combien d'entre-eux sont restés et resteront dans les placards oubliés de l'histoire ? Pour un Steve McQueen qui, malgré sa part d'ombre, est devenu un éternel "King of Cool", combien ont tenté et échoué à devenir des "icônes" du style masculin ?  

Nous avons eu la chance d'avoir en France de très grands acteurs qui ne furent pas que des poseurs. Il y a eu Jean Gabin, immense acteur, belle gueule virile dans sa jeunesse qui devint un authentique géant de notre cinéma. C'était aussi un patriote qui refusa toute collaboration, il s'exila aux Etats-Unis puis il s'engagea en 1943 dans les Forces Françaises Libres en tant que fusilier-marin et devint chef de char (et plus exactement d'un chasseur de char, un M10 Woverine baptisé le Souffleur II) au sein de la 2ème DB, celle de Leclerc. Il ne fut pas un "traîneur de sabre" pour reprendre une expression de Victor Hugo dans les Misérables, auquel notre cher Jean Gabin incarna à mon sens avec perfection le personnage de Jean Valjean. Il n'utilisa jamais son engagement dans la France Libre pour enchaîner les rôles militaires ou pour renforcer son image. Il avait une certaine pudeur qui détonnerait à notre époque et c'était tout à son grand honneur.

Il y a eu le non moins immense Jean-Paul Belmondo. Incroyable incarnation du français éternel ou du moins celui d'une belle époque, celle du français qui a un immense culot, une audace folle et amusante, qui est capable de vous dire avec la plus incryoable nonchalance et avec un grand sourire : "Mais je vous emm... monsieur, vous et votre horrible boudin de femme" (Le Cerveau avec notre grand Bourvil et le très "british" David Niven). Moi-même, je ne peux m'empêcher de penser un peu à mon propre père en voyant les films de notre Bébel national, il y avait cette attitude, ce côté français débrouillard et au charme insolent.

Et il y a eu Alain Delon. Oui, au-delà de toute la part d'ombre de l'homme, lui aussi incarnait une part de France : celle du beau Français au charme ravageur. C'était authentiquement une figure et un style qui a valu pendant des décennies à notre pays une réputation internationale flatteuse pour nous les hommes français. Non, nous ne sommes pas tous des Alain Delon mais je pense que son image et son impact dans le monde a été bénéfique pour beaucoup d'entre-nous. Au-delà de son style, il écrivit ces quelques mots en 1969 :
"Mon Général,
Depuis toujours, et plus encore depuis des ans, j'étais, grâce à vous, fier d'être Français.
Ce soir, devant l'inconscience et l'ingratitude de plus de la moitié d'un peuple, je ressens avec effroi un sentiment de honte qui me brise le coeur.
Je tenais à vous le dire."

Nous pourrons dire ce que nous voulons de l'homme, je pense que pour son amour pour la France et par sa manière qu'il avait de l'incarner dans ses films, lui aussi "méritait de la patrie" pour reprendre une expression qui n'est certes plus guère usitée dans notre pays.

Mais saviez-vous qu'Alain Delon fut aussi un grand collectionneur de montres ?

Alain Delon portait de nombreuses Cartier : une Tank classique mais aussi une Tank Tonneau, une Santos Chronograph, deux Pasha et enfin dans le film Le flic (1962) une Cartier Jumbo Tank en or jaune et lapis lazuli gravée à son nom sur le fond de boite avec un bracelet blanc qui accentuait le contraste avec son bronzage. Il porta aussi dans le film Le Samourai une... Baume et Mercier avec un boitier coussin et des chiffres romains.

On ne souvient peut-être pas mais l'un de ceux qui ont contribué à la notoriété et la réussite - qui ne furent pas immédiates - de la Royal Oak d'Audemars Piguet fut Alain Delon avec une Royal Oak Jumbo qu'il porta plusieurs fois à l'écran dans par exemple Parole de flic.

Ce n'est pas tout ! Alain Delon n'était pas monomarque : il avait aussi du IWC et plusieurs Rolex, notamment une Milgauss et une Daytona. Il avait évidemment un chronographe Zenith doté du FAMeux El Primero. D'ailleurs, au niveau des chronographes, il semblait les cumuler et il avait ainsi plusieurs Breitling dont au moins une Navitimer, plusieurs Chronomat de différentes époques et un chronographe Premier. Encore des chronographes avec Blancpain mais pas uniquement, il possédait des modèles à phase de lune, GMT et aussi des modèles plus sobres toujours chez Blancpain.

S'il y a eu une grande vente de ses montres en 2012 dont le clou resta probablement la Royal Oak, même Hodinkee en parla d'ailleurs, il continua de porter des montres comme lors d'une cérémonie relativement récente pendant laquelle il a porté une Bulgari Octo Finissimo en titane.

Bien sûr, de nombreuses célébrités ont porté des montres et, si quelques-unes les collectionnent, beaucoup se contentent d'être des hommes-sandwichs en échange d'un (gros) contrat. Je ne pense pas que les montres d'Alain Delon soient issues d'une quelconque représentation sous contrat avec les marques de l'époque. C'était un autre temps, la "starification" des montres de luxe est arrivée bien plus tard et d'ailleurs plusieurs montres d'Alain Delon n'étaient pas nécessairement issues du monde du luxe, certaines marques le sont devenues en fait bien après. Alain Delon avait évidemment le souci de sa propre présentation, il aimait les belles choses, le succès et la célébrité lui ont permis de se faire plaisir et même beaucoup.

Aujourd'hui, si l'homme nous a quitté, ce qu'il a représenté continue de vivre aujourd'hui et j'aimerais rendre un humble hommage à son style. A sa manière, il représentait un certain panache à la française, une "certaine idée du style", que cela soit dans sa manière de se vêtir que dans sa manière de collectionner et de porter les montres. Je ne suis pas vraiment sensible aux célébrités, de ma vie je n'ai jamais demandé un autographe et fait la queue pour rencontrer une "idole". De même je n'ai jamais acheté une montre pour les imiter. Mais il faut reconnaître que certaines d'entre elles ont pu véhiculer quelque chose de beau et de positif qui nous dépassait. C'est à cela que je souhaite rendre hommage aujourd'hui. A cette image du beau et de la classe d'antan.